Se dirige-t-on vers un second tour des municipales en juin ? Cette perspective interroge les constitutionnalistes que nous avons interviewés. Pour le professeur de Droit Public, Jean-Philippe Derosier, « la déconnexion des deux tours » serait tout bonnement « inconstitutionnelle ». L’hypothèse d’un second tour est pourtant sur la table après la publication de l’avis du Conseil scientifique sur l’organisation de ce scrutin. Un avis qui se veut néanmoins très prudent notamment vis-à-vis des risques d’une reprise de l’épidémie en cas de campagne électorale (voir notre article). Le Premier ministre s’est entretenu, ce mercredi, avec les présidents de partis politiques au sujet de la date de ce second tour.
L’éventuelle tenue d’un second tour pose de nombreuses questions, comme c’était d'ailleurs le cas lors du report du second tour institué par la loi d’urgence du 23 mars (voir notre article). « L’abstention va probablement être majeure dès lors qu’il n’y aurait des élections que sur une partie limitée du territoire et donc l'impossibilité d’avoir une campagne nationale », soulève Benjamin Morel. En effet, seules les 4 922 communes qui n’ont pas élu leur maire au premier tour seraient concernées par ce scrutin. Benjamin Morel rappelle aussi que notre système électoral « a été construit pour que l'électeur n’ait pas peur d’aller voter » ce qui apparaît compromis avec les risques de contamination.
Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier juge par ailleurs que la déconnexion entre les deux tours est inconstitutionnelle : « cela porte atteinte au principe de sincérité du scrutin qui est un principe qui découle de l’article 3 de la Constitution. Une élection c’est une seule opération et pour maintenir cette unité de l’opération électorale il faut que les deux tours soient rapprochés ».
« Les programmes qui se sont imposés au 1er tour n’auront pas le même sens au 2e tour. Cela pose la question de l’information de l’électeur, ce qui justifierait qu’on reporte l’élection », abonde Benjamin Morel. Certains candidats pourraient aussi estimer que le changement de contexte entre le 15 mars et le 28 juin crée une rupture d’égalité. Comme au lendemain du premier tour, les recours devant le tribunal administratif risqueraient donc d’affluer.
« Sur les principes, il y a tout dans la Constitution pour invalider ces élections »
Avec d’autres professeurs de droit et juristes, Jean-Philippe Derosier a signé une tribune appelant à ce que le Conseil constitutionnel se prononce sur les élections municipales. Si le Conseil d’État avait estimé qu’il était encore possible d’organiser le second tour en juin, en présence d’un « cas exceptionnel », le Conseil constitutionnel ne s’est en effet pas prononcé. Jean-Philippe Derosier précise toutefois que si le Conseil constitutionnel n’est pas saisi avant le second tour, les chances sont très minces pour qu’il invalide l’élection.
« Sur les principes, il y a tout dans la Constitution pour invalider ces élections », explique aussi Benjamin Morel. En revanche, il peine à imaginer que le Conseil constitutionnel prenne une telle décision. « On peut se baser sur un certain nombre de dispositions constitutionnelles pour considérer que la sincérité du scrutin est altérée et qu’il faut refaire l’ensemble des opérations électorales. Mais au vu du consensus politique, au vu des circonstances, au vu également du caractère exceptionnel de la loi - dans le sens où cette loi n’instaure pas un régime général qui va s’appliquer pour l’ensemble des élections municipales - il faudrait beaucoup de courage au Conseil pour aller en ce sens. »
Un report des élections municipales à l’automne, comme cela a été envisagé, poserait aussi un certain nombre de problèmes, notamment sur le calendrier électoral. Les sénatoriales, prévues en septembre, seraient de fait repoussées, une perspective qui n’est pas plébiscitée par la majorité ou la droite sénatoriale. Certaines voix se sont néanmoins élevées pour appeler à la prudence, comme celle du président du groupe LREM au Sénat, François Patriat. L’aspect économique est aussi en jeu, du fait de « la nécessité pour les collectivités de pouvoir se constituer et investir rapidement dans le cadre du plan de relance », soulève Benjamin Morel.
Pour l’heure, les négociations sont en cours entre l’exécutif et l’opposition. Le président du Sénat, Gérard Larcher, et le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, ne se sont pas opposés à la tenue d’un second tour en juin. En revanche, ils ont d’ores et déjà refusé l’organisation d’un vote consultatif sur le sujet arguant que la loi du 23 mars avait déjà tout prévu. L’exécutif devra trancher avant le 27 mai entre la tenue d’un second tour le 28 juin ou l’annulation du premier tour qui entraînerait l’organisation de nouvelles élections municipales à l’automne ou l’année prochaine.