Les investitures de La République En Marche pour les municipales vont-elles se transformer en petit supplice, semaine après semaine, pour LR ou le PS, à l’annonce des transfuges ? Dans la dernière série d’investitures, dévoilée lundi 1er juillet, l’une des têtes de liste n’a pas un profil anodin. Wilfrid Pailhes, qui aura le « soutien » du parti présidentiel à Bourg-lès-Valence, commune de 20.000 habitants de la Drôme, n’est autre que le chef de cabinet de Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. Un soutien qui étonne et détonne chez des sénateurs PS, déjà marqués par les 10 abstentions au sein du groupe lors du discours de politique générale.
Ce soutien, qui n’est pas une investiture, signifie que le candidat n’aura pas de liste LREM face à lui. Il est donc considéré comme Macron-compatible. Sous le quinquennat précédent, il a été le chef de cabinet adjoint de Martine Pinville, secrétaire d’Etat auprès d’Emmanuel Macron, quand ce dernier officiait à Bercy. Il arrive au Sénat comme chef de cabinet de Patrick Kanner seulement en novembre 2018. C’est un certain François Hollande qui a œuvré pour le mettre en relation avec l’ancien ministre des Sports. Il n’est plus encarté au PS depuis plusieurs mois.
« Pas d’ambiguïté » ?
Invité de la matinale de Public Sénat ce mardi, le patron de La République En Marche, Stanislas Guérini, justifie ce choix : « On a considéré que son étiquette d’origine était secondaire. Les étiquettes m’intéressent beaucoup moins que le projet ». Wilfrid Pailhes, qui était bien présent en réunion de groupe ce mardi matin, n’a pas souhaité répondre à nos questions. A France Bleu Drôme, il assure simplement ne pas avoir « demandé d’investiture LREM ». Investi à l’insu de son plein gré donc. « Ma liste sera divers gauche. Il n'y a pas d'ambiguïté sur mon positionnement politique mais notre projet pour Bourg-lès-Valence, LREM va s'y retrouver » explique-t-il.
A l’entrée de la réunion de groupe, on ne se bat pas pour réagir. A son arrivée, Patrick Kanner coupe tout de suite court à toute polémique. Il ne voit pas d’inconvénient à cette situation. « C’est un homme gauche, convaincu, qui a mené l’opposition à la droite pendant 5 ans à Bourg-lès-Valence et aussi dans sa communauté d’agglomération. Cet homme de gauche présentera une liste divers gauche et je lui conserve ma confiance. Je sais qu’il sera loyal par rapport aux débats qui sont les nôtres » assure à Public Sénat le président de groupe, selon qui il n’y a « pas du tout » de risque de confusion (voir le sujet de Jérôme Rabier). « Il n’a rien demandé. On lui apporte un soutien. Voilà » minimise aussi Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret.
Patrick Kanner conserve sa « confiance » à Wilfrid Pailhes
« Débaucher un à un, jeter la suspicion »
Reste que cette annonce crée un certain émoi chez une partie des sénateurs PS. « Il va devoir choisir à un moment. Sa démarche le conduit vers En Marche, donc il faut qu’il aille à En Marche. C’est une question qui va se poser au groupe » prévient Rachel Mazuir, sénateur PS de l’Ain, « il faut qu’il en tire les conséquences ».
« Ça met Patrick Kanner dans une position délicate. Et ça crée de la confusion dans une phase de transition compliquée à vivre » confie un autre sénateur PS, qui ne peut qu’en tirer ce constat : « On est faible ». Pour le sénateur PS Jean-Yves Leconte, « c’est tout le sens de ce qu’ils font avec nous ou LR : débaucher un à un, jeter la suspicion. Rien de nouveau sous le soleil ».
« Insupportable », « on ne peut pas avoir un pied ici et un pied ailleurs »
A la sortie de la réunion de groupe, le sénateur Martial Bourquin est pour le moins remonté. La question vient d’être évoquée en petit comité autour de Patrick Kanner. « Je souhaite que tout ça se règle. Pour moi, c’est insupportable » lance Martial Bourquin (voir vidéo ci-dessous). Le sujet devrait être à nouveau abordé lors d’une prochaine réunion.
Martial Bourquin (PS) : "Depuis l’Elysée, et avec le ministre de l’Agriculture, on essaie de démanteler le groupe socialiste du Sénat"
« On est dans le clair-obscur. Je voudrais que tout ça se clarifie. On ne peut pas avoir un pied ici et un pied ailleurs. Aujourd’hui, depuis l’Elysée, et avec le ministre de l’Agriculture, on essaie de démanteler le groupe socialiste. Il faut savoir où on est, avec qui on est ». Le sénateur PS du Doubs ajoute :
« Je pense que Didier Guillaume est depuis longtemps à la manœuvre, y compris pendant les QAG, quand il fait des textos. Tout ça est assez misérable ».
Le ministre de l’Agriculture, ancien président du groupe PS du Sénat avant Patrick Kanner, agit en effet depuis plusieurs semaines pour tenter de structurer l’aile gauche de la majorité présidentielle. Une forme d’Agir de gauche, pour reprendre le nom du parti de centre-droit pro-Macron. Une situation qu’avait dénoncé lui-même Patrick Kanner, à la tribune, lors du discours de politique générale : « Je sais qu’un de vos ministres au moins, est en train d’envoyer des SMS, y compris à mon groupe, en ce moment même. Et j’en ai la preuve… » avait assuré le sénateur du Nord.
Mais selon un élu de la Drôme, même si l’idée est alléchante, ce serait une erreur de voir la main de Didier Guillaume derrière ce coup. « Ça relève du fantasme de certains que Didier Guillaume passe ses journées à s’occuper de la Drôme » selon cet élu.
Le PS « prend acte »
Du côté du PS, on « prend acte » sans y voir de difficulté. Pierre Jouvet, porte-parole du PS, retourne la situation. « Ça peut paraître surprenant du point de vue de LREM » souligne-t-il. « LREM a décidé de soutenir un homme de gauche qui ne soutient pas la politique du gouvernement, qui est depuis 6 ans le leader de l’opposition à la maire de droite, qui est conseillère régionale de Laurent Wauquiez, et qui a un projet de rassemblement de la gauche, des écologistes et de la société civile » ajoute Pierre Jouvet, élu lui aussi de la Drôme et proche de Wilfrid Pailhes. Il le connaît « très bien ».
Pierre Jouvet sait bien que « LREM essaie de créer parfois du trouble et de la confusion. On nous annonce chaque semaine des surprises, des grandes prises de guerre. Mais en réalité, tout cela n’arrive pas et on voit l’extrême fébrilité de LREM ».
Alain Richard : « Il a souhaité qu’il y ait une convergence entre les personnes de gauche de son équipe locale et les marcheurs »
Du côté du parti présidentiel, on ne cache pas une certaine satisfaction. « C’est un responsable local qu’on apprécie. On avait de bons renseignements sur le choix de sa liste. Il a souhaité lui-même qu’il y ait une convergence entre les personnes de gauche de son équipe locale et les marcheurs » explique le sénateur LREM Alain Richard, co-président de la commission nationale d’investiture (CNI) de LREM. « Notre doctrine, c‘est que la personne avec qui on a conclu un accord de soutien peut venir d’une formation d’opposition à condition qu’elle se tienne personnellement à l’écart des critiques sur la politique nationale. C’est donc le cas » assure l’ancien ministre de la Défense socialiste (voir ci-dessous). Quant à la fonction occupée par Wilfrid Pailhes, il n’y voit pas d’inconvénient. « C’est sa profession » balaie-t-il.
Alain Richard : « Wilfrid Pailhes a souhaité qu’il y ait une convergence entre les personnes de gauche de son équipe locale et les marcheurs »
Alain Richard écarte aussi un quelconque rôle joué par Didier Guillaume, appelant à ne pas « surinterpréter tous les signes ». « On demande à nos partenaires départementaux d’envoyer des dossiers bien vérifiés. Nos amis de la Drôme avaient trois dossiers bien vérifiés. Ils ont pris un peu d’avance sur d’autres » explique juste le sénateur du Val-d’Oise. Son collège de la Drôme Bernard Buis, qui a succédé à Didier Guillaume quand celui-ci est entré au gouvernement, assure de son côté qu’« on ne cherche pas à semer le trouble » au PS mais à « gagner » la ville avec Wilfrid Pailhes.
Si les enjeux seront avant tout locaux pour les municipales, le jeu d’équilibriste risque ne pas être évident pour le candidat-chef de cabinet. Pour l’heure, il devra préparer la venue de François Hollande et de Bernard Cazeneuve qui viennent échanger avec les sénateurs PS dans deux semaines, à la questure du Sénat, du passé, du présent et du futur…