Naissance d’une constitution : dans les archives de la Ve

Naissance d’une constitution : dans les archives de la Ve

Comment un texte rédigé en quelques semaines seulement peut-il encore régir notre vie démocratique aujourd'hui ? Au moment où l'on célèbre les 60 ans de la constitution de la cinquième République, Public Sénat remonte le temps et ouvre le dossier législatif de la première constitution rédigée sans qu’une assemblée constituante soit réunie.
Public Sénat

Par Pierre Bonte-Joseph

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Nous sommes le 3 juin 1958 et l’Assemblée nationale cesse de siéger, et donne les pleins pouvoirs au général de Gaulle. Les procès-verbaux de la dernière séance font état d’une certaine émotion chez les députés qui siègent pour la dernière fois sous la quatrième république. Ils ne savent pas quand ils siégeront de nouveau, et quelle sera la nature du régime qui sortira de la réflexion qui s’entame. C’est au nouveau président du conseil, Charles de Gaulle que revient la tâche de rédiger la nouvelle constitution. Et il y a urgence. La crise en Algérie s’éternise, et les généraux factieux défient le pouvoir de Paris.

L'urgence d'une nouvelle constitution

Très vite autour de Michel Debré, se réunit une équipe d’experts. Une dizaine d’hommes juristes, tous ou presque issus du conseil d’État. Évidemment ils ne partent pas d’une feuille blanche. Dans le discours prononcé à Bayeux dès 1946, le général de Gaulle a déjà énoncé l‘esprit d’une réforme qu’il appelle de ces vœux. Mais ils vont aussi devoir tenir compte de la loi du 3 juin. Un texte sommaire, qui sans rentrer dans le détail, trace les lignes rouges à ne pas dépasser. Le texte mentionne que le pouvoir provient uniquement « suffrage universel », ou encore que le gouvernement est responsable devant le parlement. C’est la première fois qu’une constitution est rédigée sans recours à une assemblée constituante. D’après Nicolas Rousselier « Il y a urgence parce qu’il faut donner des pouvoirs nouveaux […] au nouveau président, le futur président de la République pour intervenir sur la cause du changement, la guerre d’Algérie ».

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Car ce sont bien les rapports entre les pouvoirs exécutifs et législatifs qui sont au cœur des débats. Il faut rapidement donner des pouvoirs directs au président de la République, et limiter les pouvoirs des assemblées, à commencer par son pouvoir de renverser le gouvernement, au risque sinon de voir l’instabilité gouvernementale qui a paralysé la quatrième république se prolonger.

Faut-il que les deux chambres, Assemblée Nationale et Sénat puissent renverser le gouvernement, comme sous la troisième ? À quel rythme les parlementaires peuvent-ils déposer des motions de censure ? Dans sa première rédaction Michel Debré, va proposer de limiter le recours à la motion de censure à une fois par session parlementaire. Pour l’historien Nicolas Rousselier et spécialiste de cette période, c’est une version « très anti parlementaire » qui est posée au départ des travaux. Elle va rapidement évoluer. Finalement la disposition va être abandonnée, mais les parlementaires n’ont pour autant pas gagné la partie.

Vers une présidentialisation de la constitution

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Un autre article va surgir à la fin du mois de juillet. Au moment de sa rédaction il n’est pas encore l’article 49 alinéas 3. Pour le moment il est nommé article 42. Sa rédaction est raturée, hésitante : un vrai brouillon. Il est vrai qu’il s’agit de la possibilité donner au gouvernement d’engager sa responsabilité, et de faire passer un texte sans vote, une première sous la république note Nicolas Rousselier : « C’est la première fois que dans notre tradition politique on peut dire, qu’une loi qui a été préparée dans le gouvernement, passe en vitesse "grand V" devant le parlement et finalement la représentation nationale ne s’est pas exprimée sur le contenu du texte »

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Une fois rédigé par ce groupe d’experts, le texte passera en conseil interministériel, avant qu’un comité consultatif ne soit à son tour sollicité, composé de parlementaires ceux-ci n’auront finalement qu’un rôle marginal, et, ils ne modifieront qu’à la marge le projet de la constitution.

Charles de Gaulle, on l’oublie souvent, dernier président du conseil de la quatrième République, suit de près ces travaux même si dans les archives ses interventions manuscrites sont rares. Comme sur cette note où il donne raison à Paul Reynaud qui lui soumet ses réflexions et lorsqu’il décide finalement de ne pas donner au Sénat la capacité de renverser le gouvernement.

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De Gaulle dans le même geste tourne le dos au parlementarisme, et s’émancipe de la tutelle du président de la République René Coty qui avait demandé que le gouvernement soit responsable devant les deux chambres.
Un rapport de force que l’on retrouve dans l’ordre des signatures sur le livre de la constitution décrypte la conservatrice Marie Ranquet : «  Dans la mise en page, c’est très frappant, Charles De Gaulle signe vraiment en plein milieu, à la fois en largeur et en hauteur de la page » alors que la signature du dernier président de la quatrième est reléguée en haut.

Le 28 septembre 1958, soumise au référendum, la constitution est adoptée à près de 80 % pour les Français, 12 pages, 80 articles…pas sûr que les rédacteurs de la constitution aient un jour pensé que ce texte écrit en quelques semaines, serait 60 ans après, même modifié à la marge, encore le texte qui régit notre vie démocratique.

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