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Narcotrafic à Marseille : « Le rapport de la Cour des comptes traduit les recommandations de la commission d’enquête du Sénat »

Manque d’attractivité de la ville de Marseille, réforme de la PJ contestée, hausse des arrêts maladie, l’essentiel des effectifs mobilisé pour la lutte contre le narcotrafic au détriment d’autres missions… Dans un rapport publié ce lundi, la Cour des comptes liste des difficultés dans la gestion des effectifs de la police nationale au sein de la cité phocéenne. Plusieurs avaient été épinglées dans des travaux du Sénat.
Simon Barbarit

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Régulièrement au centre de l’actualité pour des faits divers liés au trafic de drogue, la ville de Marseille, à laquelle le président de la République est très attaché, a reçu ces dernières années le renfort d’effectifs supplémentaires dans la police nationale. Le plan « Marseille en Grand » annoncé en 2021a conduit au déploiement de « 400 agents de police, deux compagnies républicaines de sécurité, et des équipements (200 véhicules, 2 000 caméras piétons, et 5 000 terminaux téléphoniques) », dans la deuxième ville de France, liste la Cour des comptes dans un rapport publié ce lundi sur l’état des forces de police à Marseille sur la période 2016-2023.

Des effectifs plus bas qu’il y a huit ans

C’est pourquoi Gérald Darmanin s’était enorgueilli en janvier de constater que « 300 effectifs supplémentaires promis à Marseille depuis 2021 » étaient « arrivés ». Et pourtant, malgré des moyens en hausse, les magistrats constatent que le niveau des effectifs de 2016 n’a pas été retrouvé. Marseille comptait 4 232 effectifs de police il y a huit ans contre 4 064 en 2023. Les renforts du plan Marseille en Grand « essentiellement constitués d’agents sortis d’écoles, sont neutralisés par des départs de plus en plus nombreux, qu’il s’agisse de retraites anticipées ou des demandes d’affectations dans des zones dans lesquelles l’intensité des missions est moindre », évalue la Cour qui met en garde sur un risque de schéma d’emplois encore dégradé en 2024.

« Les agents ne veulent pas y rester »

Les conclusions de ce rapport n’ont pas surpris Linda Kebbab, policière et secrétaire nationale du syndicat UN1TÉ. « Marseille est connue pour être une ville de turnover. C’est la principale ville d’affectation pour ceux qui veulent quitter l’Ile-de-France. Mais les agents ne veulent pas y rester, car la ville est de moins en moins attractive. Les logements sont de plus en plus chers. Le commissariat, l’évêché, est dans le centre-ville, et donc difficile d’accès pour les personnels qui sont contraints d’habiter à l’extérieur de la ville ».

Ces facteurs sont effectivement relevés dans le rapport qui recommande de créer une indemnité de fidélisation pendant une durée continue de cinq ans ou encore de mener une réflexion sur l’accompagnement des nouveaux arrivants, pour faciliter leur accès au logement.

Autre élément qui explique la baisse des effectifs. Le cycle de travail dit « binaire » (un jour sur deux travaillé en moyenne) a conduit à une augmentation des heures supplémentaires et à de l’absentéisme. Au sein de la police aux frontières, « les heures supplémentaires ont quadruplé depuis 2016 et les jours d’arrêt maladie ont augmenté de 34 %. La police judiciaire a aussi vu une multiplication par quatre des jours d’arrêt maladie ». A ce sujet, la mise en examen de quatre fonctionnaires de brigades anticriminalité marseillaises, lors des émeutes de l’été 2023, a conduit à des « chiffres exceptionnels » de congés maladie entre le 21 et le 30 juillet (16,1 % d’agents) et 456 activations du « code 562 » qui indique que les agents n’assument que les missions d’urgence.

Pour le sénateur écologiste de Marseille, Guy Benarroche, la réforme la Police Judiciaire « a également pesé sur l’absentéisme ». « Au lieu de renforcer la PJ, cette réforme a conduit à une inquiétude et une dévalorisation du métier. Ça se traduit par un nombre grandissant d’arrêts maladie et de demande de mutations ».

« A l’insécurité physique c’est ajouté l’insécurité juridique »

En effet, à l’automne 2022, les policiers des Bouches du Rhône s’étaient particulièrement mobilisés contre cette réforme mise en place au 1er janvier 2024. Une mission d’information du Sénat avait plaidé pour un report de cette réforme censé mettre fin à ce fonctionnement en silo en créant quatre filières de métiers : les « filières » sécurité et paix publiques, renseignement territorial, police judiciaire et frontières et immigration irrégulière, chapotées par un directeur départemental de la police nationale (DDPN) sous l’autorité du préfet. Face aux craintes des OPJ (officiers de police judiciaire) de perdre leurs spécificités et de voir leur travail dévalorisé, le directeur de la Police National, Frédéric Veaux s’était engagé à ce que « les effectifs relevant du périmètre de la direction centrale de la PJ ne soient pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure, et à ce qu’aucun agent de la PJ ne soit contraint de changer de métier ou de résidence administrative. » Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic a pu constater lors de cette mission « une difficulté grandissante à recruter des enquêteurs. On l’a vu avec l’affaire Nahel, un climat général d’insécurité entoure les forces de l’ordre. A l’insécurité physique c’est ajouté l’insécurité juridique pour les enquêteurs qui sont devenus des paperassiers ».

« Les opérations ‘’Place nette’’ consomment des moyens considérables, mais ne permettent pas de remonter la filière »

Le rapport de la Cour des comptes constate que les missions périphériques représentent plus de 11 % du temps de travail des agents et plaide pour une révision des missions et une meilleure coordination des primes pour « améliorer la situation ». « Les agents de police judiciaire spécialisés dans le haut du spectre de la délinquance […] mènent des enquêtes longues et complexes, et craignent de devoir renforcer leurs collègues des divisions dont les procédures s’accumulent, en particulier concernant la délinquance du quotidien », écrivent les magistrats.

« A Marseille, vous avez 91 000 dossiers en attente. Le rapport de la Cour des Comptes traduit les recommandations de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, comme le renforcement de la prévention auprès des mineurs et le constat que les opérations ‘’Place nette’’ ne pouvaient pas, elles seules endiguer le trafic », observe le président socialiste de cette commission d’enquête, Jérôme Durain, par ailleurs co-rapporteur d’une mission d’information sur la réforme de la PJ. « Les opérations ‘’Place nette’’ consomment des moyens considérables mais ne permettent pas de remonter la filière. Le trafic reprend ses droits au bout d’un moment », complète Etienne Blanc. La commission d’enquête du Sénat, qui a conduit au dépôt d’une proposition de loi appelle à un renforcement de la réponse pénale par une lutte accrue contre le blanchiment et la corruption, c’est-à-dire « en tapant au portefeuille » des têtes de réseaux. (lire notre article).

« Nous avons un rendez-vous de travail avec la Chancellerie dans les prochains jours pour déterminer quel véhicule législatif vont emprunter nos propositions », indique Jérôme Durain. Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur a déclaré récemment vouloir faire de la lutte contre le narcotrafic « une cause nationale ».

Des opérations qui ont permis le démantèlement de 40 % des points de deal de la ville, mais restreignent « les moyens consacrés à d’autres missions, notamment la délinquance économique et financière et le blanchiment » ont relevé les magistrats. « La grande cause de Marseille en Grand, c’était la lutte contre la délinquance du quotidien. Si on décide de mettre le gros des effectifs dans la lutte contre le narcotrafic, ça se fait forcément aussi au détriment de la police de contact, qui fait du flagrant délit », ajoute Linda Kebbab.

Enfin, la Cour des comptes pointe de possibles problèmes de gouvernance, avec l’existence depuis 2012 d’une préfecture de police, la seule en France hors Paris. « La coexistence de deux préfets de plein exercice a entraîné des frictions et des conflits de compétence », observe la Cour qui recommande « d’ajuster et de clarifier la répartition des compétences entre eux ».

 

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