Quels sacrifices les citoyens sont-ils prêts à faire dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique ? C’est l’une des questions posées par plusieurs sénateurs mercredi matin, à l’occasion de l’audition des experts français du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) par la commission sur l’aménagement du territoire et le développement durable. Les élus s’interrogeaient sur l’acceptabilité de certaines mesures à mettre en place pour parvenir à freiner la hausse des températures, quand la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe n° 1 du GIEC, les a invités à se projeter dans le temps long pour dépasser leurs inquiétudes. Mais le ton adopté n’a pas manqué d’agacer certains parlementaires LR, qui lui ont reproché de vouloir leur donner une « leçon » de démocratie.
« C’est peut-être difficile pour vous de vous projeter en 2050 »
L’audition se focalisait sur la publication, en août dernier, du premier volet du 6e rapport du GIEC sur le réchauffement climatique. Un document synthétisant quelque 14 000 articles scientifiques, et qualifié d’« alerte rouge pour l’humanité » par Antonio Gutierrez, le Secrétaire général de l’ONU. Après avoir présenté les principaux chiffres du rapport, Valérie Masson-Delmotte a insisté sur la nécessité de lancer « une action coordonnée considérable » pour espérer limiter à 2°c la hausse des températures d’ici 2050, seuil fixé en 2015 par les accords de Paris sur le climat. Mais les sénateurs se sont inquiétés des risques liés à des mesures trop drastiques, comme l’interdiction de certains moyens de transport, qui pourraient être vécues comme une « privation de liberté » par les citoyens.
« Pour moi, la pire privation de liberté, c’est de subir les conséquences d’un changement climatique, en particulier pour ceux qui y ont le moins contribué : les jeunes et les populations avec un faible niveau de vie », a répondu Valérie Masson-Delmotte, estimant que « ne pas agir sur les émissions de gaz à effet de serre, [était] le pire en termes de soutenabilité ». La scientifique a également laissé sous-entendre que les élus ne tenaient pas suffisamment compte des paramètres environnementaux au moment de légiférer. « Je ne suis pas sûr que vous, dans vos propres travaux d’analyse des lois, vous utilisez ces objectifs de développement durable comme une grille d’analyse pour chercher à construire des politiques publiques qui maximisent l’écobénéfice ».
« Il existe des méthodes de délibération pour sortir des clivages d’aujourd’hui, et qui consistent à jouer le rôle de vos enfants », a poursuivi la scientifique. « C’est peut-être difficile pour vous de vous projeter en 2050. Nous le faisons au quotidien. Le climat en 2050, c’est quand mes enfants auront mon âge. »
« Il y a des gens, autour de cette table, qui agissent pour l’environnement au quotidien »
Philippe Tabarot, le sénateur LR des Alpes-Maritimes a fini par l’interrompre : « On ne vous en a pas tant dit pour avoir la leçon comme ça ! », s’est-il agacé. « Il y a des gens, autour de cette table, qui agissent pour l’environnement au quotidien, qui ont été très investis dans un certain nombre de lois », a-t-il plaidé. « Ne nous faites pas la leçon, s‘il vous plaît, chère Madame. »
Brièvement désarçonnée, Valérie Masson-Delmotte a tenté de se défendre en invoquant certaines formes de démocratie participative, efficaces selon elle pour concilier les aspirations des citoyens et les politiques publiques. Mais le sénateur d’Eure-et-Loir Daniel Gueret (rattaché au groupe LR) prenant à son tour la parole, a enfoncé le clou : « Il y a autour de cette table et au Sénat des hommes et des femmes avec des enfants qui sont largement en âge de vivre les conséquences du réchauffement climatique et l’on se sent concernés, au même titre que vous, par les sujets dont on discute depuis plusieurs heures », a-t-il déclaré. Avant d’insister sur le fait que les parlementaires, tout en ayant le souci de l’avenir, ne pouvaient pas tourner le dos aux contingences du présent. « Notre mission à nous, permettez-moi de le rappeler solennellement, c’est de s’occuper des gens au quotidien, et naturellement de leurs descendants. Je ne voudrais pas qu’un certain nombre de propos - c’est tout le dilemme de ces sujets -, dérivent sur des tensions, d’un côté ou de l’autre, qui nous conduisent à des impasses. »