À contre-courant. Alors que l’avion et le transport aérien semblaient faire l’unanimité contre eux, attirant les foudres des écologistes sur les réseaux sociaux avec le hashtag #flygskam (la honte de prendre l’avion), 93 parlementaires, dont 77 sénateurs, relancent le débat. Dans une tribune publiée dans le JDD, ces élus de tout bord prennent la défense des vols domestiques. Selon les 93 parlementaires, interdire à terme l’ensemble des vols intérieurs pourrait avoir des conséquences dramatiques pour certains territoires.
« Nous souhaitons mettre en garde contre des solutions démagogiques et caricaturales qui sacrifieraient, encore une fois, les territoires les plus éloignés des métropoles et leurs habitants », affirment-ils dans l’hebdomadaire. Argument phare de la tribune, répété par les différents parlementaires : l’avion est « une nécessité pour de nombreux départements ».
Les élus soutiennent que « les lignes aériennes interrégionales, en particulier celles qui les relient à Paris, sont souvent le seul moyen de leur éviter un isolement mortifère, faute de dessertes routières et ferroviaires adaptées à notre époque ».
« Une nécessité pour les territoires »
Parmi les signataires, on retrouve de nombreux membres de la mission d’information sur les transports aériens et l’aménagement des territoires, lancée fin avril 2019. Celle-ci se rendait ce lundi à l’aéroport de Quimper, actuellement en difficulté. Jean-Luc Fichet, sénateur socialiste du Finistère et cosignataire du texte, défend le maintien des infrastructures et de la ligne aérienne reliant la ville bretonne à Paris. « Le critère d’accessibilité compte », affirme le sénateur, en clamant que « l’aéroport est vital pour le département ». Vincent Capo-Canellas, sénateur centriste et président de la mission d'information, le rejoint : « Il y a des entreprises étrangères qui avant d'investir ou de s'installer à Quimper, s'assurent de la liaison rapide avec Paris ». Jean-Luc Fichet souligne également l’importance du transport aérien en saison touristique.
Dans la tribune parue dans le JDD, c’était l’exemple du Cantal qui était mis en avant et son chef-lieu Aurillac. La sénatrice du département, Josiane Costes, expliquait que pour rejoindre Aurillac au départ de la capitale, « il faut compter sept heures de train et deux changements, avec souvent l'obligation de prendre un autobus ». « Dans le Cantal, en général, il faut en outre compter environ une heure et demie pour rejoindre une autoroute. C'est bien la ligne aérienne d'aménagement du territoire qui maintient une grande partie du département en vie et connecté au reste du pays », affirme-t-elle.
« La revitalisation des territoires est liée à l’accessibilité »
Cet isolement que de nombreux territoires ressentent ne date pas d’hier. Certains départements font même à eux seuls des exemples assez spectaculaires, comme l’Ardèche, qui depuis quarante ans ne compte aucune gare voyageur ni aucune autoroute. L’absence de nombreux services publics est donc au centre des débats. Depuis plusieurs années, de nombreuses gares ferment, enclavant encore un peu plus des territoires où les habitants sont obligés de prendre leur voiture pour leurs trajets de courte distance ou l’avion, qui devient le seul moyen de rejoindre des métropoles lorsque l’offre de train n’est pas avantageuse. En témoigne l’exemple d’Aurillac.
Pour revitaliser les centres-villes, le gouvernement a lancé en 2018 le plan « Action cœur de ville », qui permet à 222 villes réparties dans toutes les régions de profiter d’une convention de revitalisation sur 5 ans. Aurillac et Quimper font d’ailleurs partie des villes sélectionnées.
« Pour ces deux villes, la question est la même », affirme Jean-Luc Fichet. « Comment faire en sorte que les territoires ne soient pas totalement enclavés ? La revitalisation est liée à l’accueil de populations nouvelles et donc à la question de l’accessibilité ». Mais l’élu souligne également l’importance des transports complémentaires, pour relier les aéroports aux centres des villes.
« Privilégions l'écologie incitative plutôt que punitive »
Au-delà de l’enjeu territorial, l’enjeu écologique existe. Les signataires de la tribune se défendent de « remettre en cause l'urgence écologique et la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre ». Les sénateurs reconnaissent que l’avion est un élément de pollution assez important. Mais certains n’hésitent pas à pointer les conséquences que pourrait entraîner la fin de certains vols domestiques sur l’environnement, comme l’utilisation de la voiture pour se rendre dans d’autres aéroports plus lointains ou comme outil de substitution.
Les signataires de la tribune veulent « privilégier l'écologie incitative plutôt que punitive ». Exit donc les taxes sur le kérosène et les billets d’avion voulues par de nombreux élus. « Aidons le secteur aérien à adopter une stratégie bas carbone en développant la recherche sur l'hydrogène et le biokérosène », demandent-ils.
Un sujet qui dépasse les clivages
Parmi les 93 parlementaires signataires, on ne compte seulement que quatre socialistes : les sénateurs Jean-Yves Leconte, Maryvonne Blondin, Simon Sutour et Jean-Luc Fichet. Le sujet dépasse donc les clivages partisans et Jean-Luc Fichet avoue s’être posé la question avant de signer la même tribune que des élus centristes ou de droite, sachant que selon le niveau de lecture de chacun, il pourrait être vu comme un anti-écologiste tout comme un défenseur des territoires.
Pour le sénateur du Finistère, le sujet de l’accessibilité crée même une nouvelle grille de lecture entre élus ruraux et élus urbains. « Sur certains sujets dont celui-ci, la sensibilité immédiate n’est pas la même », explique-t-il. « Il faut convaincre les élus urbains que conserver les vols intérieurs est aussi utile pour leurs villes », argue le sénateur, prenant le fait que les petits aéroports désengorgent aussi les plus grands.
À l’Assemblée nationale, un groupe de députés transpartisan, allant de LFI à LREM et passant par le PS, voulait interdire les vols intérieurs lorsqu'il existe un trajet en train équivalent, sans correspondance, pour un temps supplémentaire allant jusqu'à 2 h 30. Si les vols Paris Lyon ou Paris Marseille auraient été supprimés, ce n’aurait pas été le cas d’une ligne aérienne comme Paris Toulouse, puisqu’il faut au moins quatre heures et vingt minutes pour relier la ville rose à la capitale en train, contre 1 h 15 en avion. Étudiée début au palais Bourbon, cette proposition de loi n’a pas été adoptée.
Une consultation sur le site du Sénat
Dix jours avant de cosigner cette tribune dans le JDD, les sénateurs de la mission d’information du Sénat sur les transports aériens et l’aménagement des territoires ont lancé un espace participatif, ouvert jusqu’au 21 juillet, qui permet à chacun de témoigner sur son utilisation du transport aérien. À son lancement, Josiane Costes voulait alors que « cette consultation permette de mieux identifier les préoccupations des personnes qui se sentent concernées ». Vincent Capo-Canellas abonde : « Nous allons faire des auditions, rencontrer des acteurs locaux, des élus et des entreprises, mais nous sommes aussi un Sénat ouvert. Chacun peut participer ».
Il reste encore un mois à cette consultation pour décoller et atteindre, peut-être, autant de contributions que l’une des dernières consultations lancées par une chambre parlementaire en France. Entre février et mars 2019, la consultation entreprise par l’Assemblée nationale sur le changement d’heure avait atteint plus de deux millions de contributions.