Après trois mois de débats houleux, la discussion est close. Ce 1er mars, à minuit, les négociations commerciales s’achèveront entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs de l’agro-industrie. Les discussions présagent de nouvelles hausses de prix (les tarifs payés par les distributeurs aux industriels pourraient augmenter de 10 %) alors que l’inflation a rebondi à 6,2 % sur un an en février, dont 14,5 % pour les seuls produits alimentaires.
Réalisées chaque année entre décembre et mars, ces négociations ont des effets très concrets sur le panier de courses des Français puisqu’elles fixent le prix d’une majorité des produits vendus dans les grandes surfaces alimentaires, du leader E.Leclerc à Casino. Les prix affichés en magasin dépendent en effet des conditions d’achat négociées à cette période par les enseignes avec leurs fournisseurs industriels. Cette année, les échanges ont été particulièrement tendus. Parmi les motifs de désaccords : la hausse des coûts de production (matières premières, énergie) que la plupart des distributeurs rechignent à prendre en compte. L’entreprise Lactalis demande par exemple une hausse de 8 % des prix proposés par la grande distribution.
Au salon de l’agriculture Porte de Versailles, le partage de la valeur entre acteurs de la chaîne de production est un thème central et une revendication portée par les producteurs français. « Si demain on veut encore avoir de la viande française, il faut que les distributeurs soient en capacité d’assurer un retour vis-à-vis des producteurs, qu’il y ait un réel partage de la valeur » a déclaré Patrick Soury, éleveur de viande bovine en Charente, au micro de Public Sénat.
Une loi qui vise à rééquilibrer le rapport de force
Cette année, les négociations sont particulièrement scrutées car elles font l’objet d’une proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat le 15 février 2023. Déposée le 29 novembre 2022 par le député Renaissance Frédéric Descrozaille et plusieurs de ses collègues, la loi en question vise à rééquilibrer le rapport de force entre les fournisseurs et la grande distribution. Le député assure que les distributeurs sont trop gourmands sur les marges et « profitent de leur situation » en brandissant la crainte de l’inflation. « Les distributeurs sont extrêmement puissants parce qu’ils sont beaucoup moins nombreux dans la grande consommation », déplore notamment Frédéric Descrozaille, député Renaissance au micro de France Info.
Dans sa proposition de loi, le député suggère notamment de ne plus obliger les fournisseurs à continuer de livrer les distributeurs en cas d’échec des négociations. Actuellement, s’il n’y a pas d’accord après la date butoir du 1er mars, les fournisseurs doivent livrer les distributeurs aux conditions de l’année précédente, et ce pendant plusieurs mois, même si leurs coûts de production ont augmenté. Les sénateurs proposent quant à eux que ce prix tienne compte de la situation économique du marché, notamment du taux de l’inflation.
Soumettre au droit français les centrales d’achats étrangères
Le texte prévoit également de soumettre au droit et aux tribunaux français les contrats négociés entre les fournisseurs et les enseignes de la grande distribution via les centrales d’achats qu’ils ont basées à l’étranger, dès lors que les produits sont vendus en France. Il s’agit ici de lutter contre « l’évasion juridique ». Pour la troisième fois en cinq ans, le législateur est amené à réglementer les relations entre fournisseurs et distributeurs, ce qui témoigne du climat de défiance qui règne lors des négociations commerciales.
Arrivée au Sénat, la proposition de loi a été adoptée et transformée par les sénateurs, qui ont suspendu l’imposition d’un seuil de revente à perte pour les distributeurs, consistant en la réalisation d’une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires (SRP +10 %). Selon le rapport présenté par la sénatrice Anne-Catherine Loisier, ce dispositif « s’est révélé être un chèque en blanc de 600 millions d’euros par an offert à la grande distribution, et un chèque en bois aux agriculteurs. » Le dispositif s’adressait en effet aux produits d’appel sur lesquels les distributeurs avaient pour usage de ne pas réaliser de marge.
La balance penche trop d’un côté selon le gouvernement
Ces propositions s’inscrivent dans un contexte de défiance envers les enseignes de distribution, notamment sur le déséquilibre entre les parties dénoncé par un grand nombre de parlementaires. En effet, si en amont de l’achat, le nombre de fournisseurs se compte en milliers, voire dizaines de milliers, le point d’accès aux millions de consommateurs est contrôlé par un petit nombre d’acheteurs (E. Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Auchan, Casino, Lidl). Pour le dire autrement, un fournisseur déréférencé d’un distributeur peut perdre jusqu’à 20 % de ses ventes, là où l’impact pour le distributeur se limiterait à 2-3 % de son chiffre d’affaires, comme l’indique la synthèse de la commission des affaires économiques.
Actuellement, la balance penche trop d’un côté d’après Emmanuel Macron. Le samedi 25 février, il avait demandé aux hyper et supermarchés de « faire des efforts sur leur marge » pour limiter l’inflation. Au micro de la matinale de Public Sénat lundi 27 février, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, avait quant à lui appelé les grandes enseignes à la modération face à une inflation qui impacte aussi les agriculteurs, premier maillon de la chaîne agroalimentaire. Pointant l’augmentation du prix des matières premières et la hausse des factures énergétiques, il avait tenu à rappeler que la chaîne alimentaire ce sont des producteurs, des transformateurs et des distributeurs. « Tout le monde doit gagner sa vie dans la chaîne » avait-il précisé sur le plateau de Public Sénat.