Nicolas Baverez :  « Le paquet pouvoir d’achat s’attaque aux effets et non aux causes de l’inflation »

Nicolas Baverez : « Le paquet pouvoir d’achat s’attaque aux effets et non aux causes de l’inflation »

Pour Public Sénat, l’historien et économiste Nicolas Baverez analyse les perspectives économiques mondiales, et considère que l’Europe est le continent le plus fragilisé par le contexte actuel. Entretien.
Public Sénat

Par Steve Jourdin

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L’Assemblée nationale vient d’adopter un projet de loi sur le pouvoir d’achat. Est-ce que cette aide sera suffisante face à l’inflation galopante ou est-ce qu’il faudra procéder à des réformes plus profondes ?

Ce « paquet pouvoir d’achat » pose plusieurs questions. Est-ce qu’il sera vraiment efficace contre l’inflation ? Contrairement à ce qu’il se passe aux Etats-Unis, nous sommes confrontés, en Europe et en France, à une inflation importée. Si Vladimir Poutine met à exécution sa menace de couper nos approvisionnements en gaz, une envolée spectaculaire des prix serait inévitable. De même, en ce qui concerne les prix de l’alimentation, beaucoup de choses vont dépendre du résultat des négociations engagées sous l’égide de la Turquie visant à permettre une exportation des engrais et des céréales bloqués dans les ports ukrainiens. En résumé, le « paquet pouvoir d’achat » s’attaque aux effets et non aux causes de l’inflation.

L’idée d’une taxe sur les bénéfices des grandes entreprises qui ont profité de la reprise économique post-Covid et de l’inflation fait actuellement son chemin chez les députés et les sénateurs. Bonne idée ?

C’est une très mauvaise idée ! Il faudrait d’abord s’interroger sur le caractère constitutionnel ou non de cette taxe. Pour l’être, cette taxe devra se contenter de ne toucher que la partie française de l’activité des gros groupes mondiaux. Il me semble plus opportun et plus efficace d’obtenir des ristournes directes à la pompe de la part d’entreprises comme TotalEnergies.

Même chose pour le transport maritime. Nous avons actuellement un très fort risque de récession aux Etats-Unis et en Europe, et si cette récession venait à se produire les prix du transport maritime viendrait mécaniquement à chuter. De plus, l’activité d’un groupe comme CMA CGM est très importante pour l’équilibre de notre balance des paiements. C’est une entreprise qui contribue fortement à notre économie et paie déjà beaucoup d’impôts. De manière générale, nous devons réfléchir en termes stratégiques à moyen-long terme, et ne pas prendre de décisions dans la précipitation.

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé ce jeudi une hausse des taux en zone euro de 0,5 point. Il s’agit d’une première depuis 2011. Un revirement majeur pour notre économie ?

C’est la fin de l’argent illimité. On est face à une décision historique car elle porte sur 50 points de base. Elle marque la sortie du monde des taux d’intérêts négatifs. Elle s’explique de plusieurs manières. Tout d’abord, il y a évidemment le taux d’inflation très fort dans la zone euro, de l’ordre de 8,6 % au mois de juin sur un an. Il y a aussi l’évolution défavorable de la parité entre l’euro et le dollar. Et puis il y a également des raisons propres à la BCE, qui entend restaurer sa crédibilité après plusieurs mois d’inaction face à l’inflation.

La position de la BCE n’est pas confortable car elle doit lutter contre l’inflation mais aussi contre les instabilités politiques de la zone. La démission de Mario Draghi ce jeudi, après l’implosion de sa coalition d’unité nationale au parlement, menace l’ensemble de l’Europe. D’un point de vue économique, il y a de fortes chances que les marchés décident de tester la Banque centrale cet été, en augmentant très fortement le « spread » entre l’Italie et l’Allemagne. D’un point de vue politique, l’avenir est aussi incertain, car les élections italiennes de l’automne pourraient déboucher sur une coalition anti-UE. Il y a enfin une grande question géopolitique car Mario Draghi était un fervent soutien de l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie. L’avenir de l’unité européenne face à Moscou n’est aujourd’hui plus assuré.

Faut-il s’attendre à une récession en Europe et en France ?

Nous allons vers une année 2023 extrêmement difficile, car on assiste à un ralentissement de la croissance mondiale et à une potentielle récession en Europe, en cas notamment de suspension du gaz russe. Le déficit et la dette publique de la France atteignent des sommets, et notre déficit commercial est à son plus haut niveau historique. Tout cela, dans un contexte où les taux d’intérêt remontent. Les perspectives sont donc plutôt sombres.

On observe au niveau mondial un fort ralentissement économique de la Chine et des Etats-Unis. Mais dans le cas américain par exemple, les perspectives sont plus optimistes, car le pays bénéficie à terme de la force de ses secteurs de l’armement, de l’énergie et de l’agriculture, qui continueront de bénéficier d’une forte demande. Nous n’avons pas tout cela en Europe. Nous sommes le continent le plus fragilisé par le contexte économique international.

Faut-il s’attendre à une rentrée « chaude » sur le plan social ?

Il y aura forcément des fortes tensions, car il y a un retard important des salaires sur les prix. Si l’inflation ne baisse pas voire, pire, si elle continue sa progression, la situation sera de plus en plus insupportable pour nos concitoyens les plus vulnérables.

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