Auditionné en avril dernier par la commission des lois du Sénat, Gérald Darmanin avait été interrogé sur l’obligation, pas toujours respectée, faite aux forces de l’ordre de porter leur matricule d’identification en intervention, le RIO. « Il y a des policiers et gendarmes qui ne portent pas leur immatriculation. C’est effectivement contraire aux règles. Il y a eu beaucoup de rappels aux règles. Faut-il aller plus loin ? On va y réfléchir si le Conseil d’Etat nous enjoint de le faire. Si le Conseil d’Etat me le fait remarquer, nous prendrons d’autres dispositions », expliquait-il.
Mercredi, dans sa décision, le juge administratif a ordonné au ministère de l’Intérieur de rendre effective le port du RIO. « Le ministre de l’Intérieur n’a pas pris les mesures propres à assurer l’effectivité du respect par les membres des forces de sécurité intérieure de l’exigence de port effectif et apparent de l’identifiant individuel », a jugé le Conseil d’Etat qui a donné 12 mois au ministère de l’Intérieur pour se conformer à sa décision. Mis en place en 2014 par Manuel Valls, le port du RIO est obligatoire pour les agents dans l’exercice de leurs missions à quelques exceptions près, comme les équipes du RAID.
La Ligue des droits de l’homme (LDH), l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) avaient saisi le Conseil d’État, après le refus du ministre de l’Intérieur de faire droit à leurs demandes de rendre plus lisible le numéro d’identification et plus effectif son port.
« Il est question ici de transparence et de facilitation des rapports entre la police et la population »
Le RIO est constitué d’une minuscule barrette détachable de 45 millimètres sur 12 apposée sur la poitrine des forces de l’ordre. Mais, relevait notamment le Défenseur des Droits en 2020, le RIO « est bien trop petit pour être visible sur la plupart des enregistrements vidéo pris à proximité immédiate ».
Le Conseil d’Etat a précisé que le RIO devra être « agrandi afin qu’il soit suffisamment lisible, en particulier lorsque les forces de l’ordre interviennent lors de rassemblements ou d’attroupements ».
Le sénateur socialiste, Jérôme Durain qui avait interrogé le ministre sur le non-respect de l’obligation du port du RIO en avril, se félicite de la décision du Conseil d’Etat. « J’ai plusieurs fois alerté Gérald Darmanin. Il disait qu’il ferait le nécessaire, qu’il s’agissait de dérives individuelles. C’est plus que ça, c’est systémique. C’est un service minimum qui n’est pas acceptable. Il est question ici de transparence et de facilitation des rapports entre la police et la population ».
« Cette décision est une avancée considérable qui va permettre, pour les besoins d’une enquête, d’identifier les agents photographiés ou filmés », salue Guy Benarroche, sénateur écologiste.
La Ligue des droits de l’homme alimente un climat de suspicion
Le sénateur LR, François Bonhomme qui avait demandé à Gérald Darmanin de cesser les subventions publiques à destination de la Ligue des droits de l’Homme lors de l’audition citée plus haut, dénonce « la vision idéologique » de l’association requérante. « Les droits de l’homme, c’est aussi un droit imprescriptible à la sécurité. Je ne pense pas qu’en multipliant les recours, dont elle est souvent déboutée d’ailleurs, la Ligue des droits de l’homme participe à renouer le lien de confiance entre le citoyen et la police. Elle alimente au contraire un climat de suspicion », estime-t-il.
Dans une deuxième décision rendue le même jour, le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur la pratique dite « de contrôle au faciès ». Les requérants, six ONG dont Amnesty International, Human Rights Watch ou encore Open Society Justice Initiative, soutenait que la pratique du contrôle au faciès était « généralisée », « inscrite profondément dans l’action policière au point que la discrimination qu’elle constitue est systémique ». Le Conseil d’Etat a bien relevé que « ce type de contrôles existe et ne se limite pas à des cas isolés » mais n’a pas considéré la pratique comme systémique ou généralisée. Elle « constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée », a noté le juge administratif. Rappelons que l’Etat a déjà été condamné pour des contrôles dits « au faciès », en juin 2021 par la Cour d’appel de Paris ou encore en 2016 par la Cour de cassation.
Toutefois, à la différence du port du RIO, le Conseil d’Etat considère qu’il ne lui appartient pas « de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ». « C’est maintenant au gouvernement de faire des propositions. C’est sa responsabilité », encourage Jérôme Durain.
Le récépissé : une proposition défendue à la gauche du Sénat depuis plusieurs années
Les propositions de l’opposition de gauche sont, elles, nombreuses en la matière. En 2016, la sénatrice Esther Benbassa, à l’époque membre du groupe communiste, avait, sans succès, déposé une proposition de loi imposant la remise d’un procès-verbal après chaque contrôle. Lors de l’examen du projet de loi LOPMI l’année dernière la proposition fut défendue en séance. Un amendement du groupe écologiste demandait la publication par Beauvau des « statistiques relatives aux opérations de contrôle de la population, notamment par zone géographique et par classe d’âge ». « On pense que ces contrôles ne sont pas faits d’une manière cohérente entre les différentes couches sociales, raciales… etc. Disons-le », avait argué Guy Benarroche.
Ces mots avaient passablement agacé Gérald Darmanin. « Ce que vous dites clairement, c’est qu’une partie de la police de la République est raciste […] Ces propos sont profondément blessants et insultants pour les policiers de la République », avait-il répondu.
« Le besoin de sécurité publique nécessite des contrôles d’identité. Nous avons déjà une crise des vocations chez les forces de l’ordre. On ne va pas en rajouter avec des lourdeurs administratives », estime François Bonhomme.
Une autre solution mise en avant par Beauvau consiste à généraliser les caméras piétons. Suivant la courbe de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI), le budget sécurité pour 2023 prévoyait l’achat de caméras piétons pour atteindre « le chiffre de 54 000 et ainsi renforcer notre transparence sur l’action des forces de l’ordre ».