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Normalisation du RN et de Marine Le Pen : « On assiste au grand remplacement de la droite traditionnelle par le RN »

Le dernier baromètre du Monde et de France Info sur l’image du RN montre que la perception change en faveur du parti sur « des indicateurs forts : crédibilité pour gouverner, et l’image, en tant que non danger pour la démocratie », note Gilles Ivaldi, chercheur au Cevipof. Une stratégie de normalisation menée par Marine Le Pen « avec Jordan Bardella, un duo très efficace », note le communicant Philippe Moreau Chevrolet.
François Vignal

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Les courbes se croisent. Le baromètre annuel d’image du Rassemblement national (RN) pour Le Monde et France Info confirme l’installation et la normalisation du parti d’extrême droite dans le paysage politique français. Selon ce sondage Verian (ex-Kantar Public)-Epoka, réalisé chaque année, les personnes interrogées sont, pour la première fois, « plus nombreuses à considérer que le RN ne représente pas un danger pour la démocratie (45 %) que l’inverse (41 %) », relève le quotidien du soir. Autre première : les Français sont maintenant plus nombreux (43 % + 3 points en un an) à estimer le RN comme un parti pouvant participer à un gouvernement, qu’un parti avant tout d’opposition.

Si l’image de Marine Le Pen est globalement stable, dans le détail, elle progresse sur un point : 34 % des personnes estiment qu’elle « ferait une bonne présidente de la République » (+ 7 points). Par ailleurs, les sondés « ne sont plus qu’un tiers à voir en elle la représentante « d’une extrême droite nationaliste et xénophobe », et 45 % chez les sympathisants d’Emmanuel Macron (en baisse de 10 points) », note encore Le Monde.

« On est sur un moment de bascule car les courbes se croisent sur des indicateurs forts »

Faut-il voir dans ces résultats une forme de continuité, dans la stratégie de dédiabolisation du RN, à l’œuvre depuis des années maintenant ? Ou un nouveau cap, une forme de crantage, a-t-il été atteint ? « Cranter, c’est toujours difficile de savoir. Ce sont des fluctuations. Ce n’est pas forcément linéaire. Mais quand on regarde la dynamique, on a une vraie dédiabolisation sur le long terme et on arrive maintenant à un parti, non pas complètement normalisé, mais en très grande partie normalisé », souligne Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès. « La stratégie du RN explique cette dédiabolisation, mais elle s’effectue en parallèle de la diabolisation de LFI d’un côté, et du fait que Marine Le Pen profite assez fortement de la présence d’Eric Zemmour », ajoute le chercheur.

Pour Gilles Ivaldi, chercheur au Cevipof de Science Po, « il y a un processus de normalisation, et là on est sur un moment de bascule car les courbes se croisent sur des indicateurs forts : crédibilité pour gouverner, et l’image, en tant que non danger pour la démocratie. Sur ce processus continu depuis 2012, il y a un point de bascule ». « Ce croisement des courbes traduit un phénomène d’ampleur dans l’opinion, mais le processus est ancien. Il date de 2011 avec l’arrivée à la tête du parti de Marine Le Pen », rappelle Antoine Jardin, ingénieur de recherche au CNRS et membre de l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès. Il l’explique par le rôle « des jeunes générations, moins en phase avec une idée hostile du RN, mais qui le perçoivent comme un parti acceptable ».

« C’est la validation de la stratégie de Marine Le Pen, qui est d’institutionnaliser le RN », note pour sa part Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste en communication politique, qui ajoute qu’« il y a encore des doutes dans sa capacité à gouverner, mais le RN vient de franchir une étape importante, clairement de gravir une marche vers la présidence. Une majorité de Français considèrent que le RN est en capacité à gouverner, avec des réserves. Mais la digue a sauté ».

« Il ne faut pas tout résumer à l’image du RN »

Antoine Bristielle souligne « qu’il ne faut pas tout résumer à l’image du RN, et ce côté dédiabolisation. Il y a un aspect de valeurs de l’électorat du RN, un alignement entre ce que pense une partie importante de la population et ce que propose le RN. Derrière, cette dédiabolisation fonctionne davantage dans un aspect de second tour. Dans les précédentes élections, c’était assez naturel de voter contre le RN. Mais ça devient de moins en moins évident ».

Une idée tempérée par Gilles Ivaldi. « Ce qui me surprend un peu, c’est que sur les adhésions aux idées, on est au niveau d’il y a une dizaine d’années, voire de 2017. Le véritable changement est plus sur la crédibilité du parti, que véritablement l’adhésion à ses idées, ce qui n’enlève rien à la dynamique qui porte le RN – on le voit sur les sondages pour les européennes – mais c’est moins une adhésion aux idées », note le membre du Cevipof.

« Au fond, est-ce que c’est le RN qui change, ou les électeurs qui changent ? »

« Au fond, est-ce que c’est le RN qui change, ou les électeurs qui changent ? » demande Philippe Moreau Chevrolet. « C’est un parti en transition, d’un parti d’opposition radicale et de contestation, à un parti de gouvernement. Ça ne veut pas dire que la passerelle est réussie », continue le dirigeant de MCBG Conseil. Il ajoute :

 Les Français se demande si c’est du lard ou du cochon, si c’est réel ou si c’est de la com’, si le RN a vraiment changé. Le processus n’est pas fini. 

Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste en communication politique.

Dans cette dynamique, le président du RN, Jordan Bardella, et Marine Le Pen ne jouent pas le même rôle. « Avec Jordan Bardella ils ont un duo très efficace. Bardella est lisse et rassurant. Il ne porte pas le nom de Le Pen, il propose quelque chose de neuf, incarne le renouveau du RN et peut incarner le renouveau de la droite demain. Marine Le Pen, elle, se met un peu en retrait. Elle est moins présente, ce qui participe à rendre le RN plus institutionnel », estime Philippe Moreau Chevrolet, qui pense qu’« au fond, la marque Le Pen disparaît, on a plus la mise en avant du RN. On est passé d’une logique individuelle à une logique vraiment collective, avec plusieurs incarnations, et Jordan Bardella comme une sorte de premier ministre ».

Et le communicant de s’interroger « si Marine Le Pen est devenue la meilleure stratège politique du moment, au fond ? C’était Emmanuel Macron en 2017. Elle a la meilleure stratégie pour 2027. Le risque de la voir arriver au pouvoir est réel et on voit mal qui pourrait freiner cette dynamique ».

Immigration : « Ils n’ont pas besoin de se positionner, ils encaissent les bénéfices assez naturellement »

L’actualité, le fonds du débat médiatique des derniers mois, ont aussi pu servir le parti d’extrême droite, entre le projet de loi immigration, dont on parle depuis des semaines, les émeutes, les attentats, Crépol, ou l’attaque du Hamas qui lui a permis de se montrer aux côtés d’Israël. Concernant les enjeux régaliens, le RN n’a pas à forcer sa nature. « Ils sont un peu propriétaires de cet enjeu. A partir du moment où on en parle, pour une partie de l’électorat, ce sont eux qui seront jugés plus compétents. Ils n’ont pas besoin de se positionner, ils encaissent les bénéfices assez naturellement », remarque Antoine Bristielle.

L’actualité n’est néanmoins pas toujours du côté de l’extrême droite. La nouvelle, ce vendredi, du renvoi en correctionnelle de Marine Le Pen et de 26 autres personnes, dans l’affaire des assistants du FN au Parlement européen, pourrait mettre à mal la dynamique. La leader du RN sera jugée à l’automne 2024, révèle France Info.

« Cette normalisation de l’extrême droite passe aussi par une légitimation par la droite classique »

Ce mouvement de progression du RN se fait bien sûr au détriment de la droite. « On constate que le RN a pu croitre en aspirant essentiellement des voix venues de l’UMP et des LR, dans les milieux populaires, à droite. Mais ce réservoir n’est pas non plus illimité. Tout dépendra de la configuration partisane et de la concurrence, en 2027 », soulève Antoine Jardin. Le chercheur du CNRS rappelle qu’« en 2007, Nicolas Sarkozy a réussi à capter une partie des voix du FN, avant de les perdre en 2012 ».

Une droite qui aide, même sans le vouloir, l’extrême droite à percer, selon Gilles Ivaldi. « On voit bien en Europe que cette normalisation de l’extrême droite passe aussi par une légitimation par la droite classique. Aux Pays-Bas, les libéraux ont ouvert la porte à l’alliance avec Geert Wilders, le leader de l’extrême droite, avant l’élection. En France, on voit le virage très à droite d’Eric Ciotti et de LR, et ça participe de cette porosité », remarque le chercheur du Cevipof.

« Le RN a pris la place de LR »

Le baromètre confirme en effet cette porosité entre l’électorat des Républicains et du Rassemblement national. « Ça montre qu’on a un vote d’adhésion au RN, et qu’au fond, la nouvelle droite, quelque part, c’est le RN. Le RN a pris la place de LR », soutient Philippe Moreau Chevrolet, qui lance : « On assiste à ce grand remplacement de la droite traditionnelle par le RN ».

Mais vu l’état des LR, qui selon le sondage ne sont vus comme la principale force politique d’opposition pour seulement 4 % des personnes, contre 51% pour le RN, Marine Le Pen peut-elle encore gagner des électeurs de ce côté ? « Pour Marine Le Pen, ce sera un des plus grands défis pour 2027. Elle est dans un espace politique clairement à droite. C’est là que la porosité se fait le plus et qu’elle aura la possibilité de gagner des voix. Mais il faudra voir le détail sur les retraités, qui ont la mémoire de l’évolution du parti, et les catégories supérieures », pense Gilles Ivaldi.

« Dans les précédentes élections, c’était assez naturel de voter contre le RN. Mais ça devient de moins en moins évident »

Si l’on note aussi dans le sondage une amélioration de la perception chez les sympathisants d’Emmanuel Macron, ce qui pourrait freiner l’ascension du RN, c’est son image qui reste mauvaise, à gauche. « Il y a une coupure qui semble se faire avec les électeurs de gauche, qui restent très rétifs au RN, et qui continuent de le rejeter », souligne Gilles Ivaldi. Reste à voir si, en cas de second tour entre l’extrême droite et un autre parti, les électeurs de gauche seront cette fois suffisamment nombreux à faire le déplacement pour aller voter. Antoine Bristielle, de la Fondation Jean Jaures, prévient que cette réserve d’opposants devrait diminuer : « Dans les précédentes élections, c’était assez naturel de voter contre le RN. Mais ça devient de moins en moins évident. La dédiabolisation explique que de plus en plus de personne vont arrêter de voter contre le RN ». Ce qui casserait le dernier verrou qui a empêché, jusqu’ici, le RN d’arriver au pouvoir.

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