Notre-Dame : l’afflux des dons des grandes fortunes suscite le débat

Notre-Dame : l’afflux des dons des grandes fortunes suscite le débat

Avec près d’un milliard d’euros récoltés en trois jours, l’afflux de dons pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, essentiellement de la part de grandes fortunes, suscite des critiques. Avantages fiscaux et mise en avant de leurs marques, les grands donateurs sont accusés de privilégier à moindres frais, le patrimoine au détriment de l’urgence sociale.
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Le porte-parole de NPA, Philippe Poutou a été l’un des premiers à fustiger les sommes colossales promises par les grands patrons Français pour la restauration de Notre-Dame. « Les grosses fortunes touchées par le drame de la cathédrale de Paris : Pinault donne 100 millions, Arnaud donne 200 millions ! S’ils ont trop d’argent, qu’ils le mettent à disposition de la collectivité, il y a bien des urgences sociales. Ou qu’ils se laissent réquisitionner » tweetait-il mardi quelques heures après l’incendie spectaculaire de la cathédrale presque millénaire.

Un « deux poids, deux mesures » paraphrasé habilement par le philosophe, Ollivier Pourriol, qui également sur, Twitter, ose transmettre une pensée imaginaire de Victor Hugo. « Victor Hugo remercie tous les généreux donateurs prêts à sauver Notre-Dame de Paris et leur propose de faire la même chose avec Les Misérables ».

Un contexte fiscal peu favorable aux dons des particuliers

Selon le baromètre de France-Générosités, « entre 2017 et 2018, le montant des dons reçus par les associations et fondations françaises a baissé en moyenne de 4,2 % ». D’après une autre étude réalisée par l’institut IPSOS pour la fondation des Apprentis d’Auteuil, « les réformes fiscales de 2018 ont pesé sur la générosité des Français », selon la fondation qui, cite le prélèvement à la source, la hausse du taux de CSG et surtout la réforme de l’ISF. En effet, les personnes les plus fortunées bénéficiaient jusque-là d’une déduction d’impôt de 75% du montant du don.

Réduction d’impôts de 60% pour le mécénat d’entreprise

Dans un tel contexte, la première proposition, mardi, de l’ancien ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon de décréter rapidement Notre Dame « Trésor national » « de façon à ce que les dons faits pour sa reconstruction bénéficient de la réduction d’impôt de 90% » conformément à sa loi adoptée en 2003, passe mal. Mercredi, lors de la présentation du futur projet de loi qui donnera un cadre légal aux dons versés au futur chantier, Édouard Philippe a réfuté cette possibilité indiquant que « les entreprises bénéficieront des réductions d'impôts, dites de mécénat, dans les conditions actuelles ». À savoir, une réduction d’impôts de 60% dans la limite de 5% du chiffre d’affaires annuel pour les entreprises (voir notre article). Jean-Jacques Aillagon, lui-même, est revenu sur sa proposition hier « puisque la question des financements semble réglée » selon lui.

Pinault et Arnault ne bénéficieront pas de la loi sur le mécénat

Fâché par ce qu’il nomme une « fausse polémique », Bernard Arnault, le patron de LVMH, qui a promis un don de 200 millions, juge « consternant » les critiques à son égard et tient à préciser qu’« une partie de cette somme est donnée par la société familiale, qui n’a pas de chiffre d’affaires, donc la loi en question (sur le mécénat, NDLR) ne s’applique pas ». « Concernant LVMH, elle ne s’applique pas non plus car la fondation Louis Vuitton utilise déjà la loi mécénat » ajoute-il. De son côté, François Pinault, DG du groupe de luxe Kering, annonce dans un communiqué que « la donation (100 millions d’euros NDLR) pour Notre-Dame de Paris ne fera l’objet d’aucune déduction fiscale ». « Il n’est pas question d’en faire porter la charge aux contribuables français ».

Mercredi, dans l’émission Sénat 360, sur Public Sénat, le sénateur (apparenté socialiste) de Paris, Bernard Jomier a estimé qu’il fallait « se réjouir que des grandes fortunes qui ont profité du système fiscal, y compris pour y échapper, décident de contribuer pour reconstruire Notre-Dame ». « Après ce qu’on constate, c’est que les sommes récoltées vont, d’ores et déjà, quasiment suffire pour les travaux. Donc, je trouverais souhaitable que l’ensemble de cet argent soit versé dans une caisse (…) et serve à rénover d’autres bâtiments du même type dans des villages et des petites villes qui ne bénéficient pas des mêmes engagements » propose-t-il

Bernard Jomier se réjouis que les grandes fortunes "décident de contribuer pour reconstruire Notre-Dame »
00:56

Un manque à gagner de 900 millions d’euros annuel pour l’État

Le mécénat d’entreprise aux œuvres culturelles pose une autre question comme le relève le sénateur communiste, vice-président de la commission des finances, Éric Bocquet. « L’entretien du patrimoine ne peut pas dépendre de la volonté des grandes fortunes de profiter des niches fiscales ». Vincent Drezet, fiscaliste et secrétaire national du syndicat Solidaires finances publiques, rappelle que le régime fiscal associé au mécénat d’entreprise représente un manque à gagner de 900 millions d’euros par an pour l’État. « En développant le mécénat d’entreprise, l’État n’est plus maître ses politiques publiques. Les grandes fortunes donnent pour des causes qu’elles choisissent. Il y a une forme de privatisation du patrimoine. On peut aussi s’interroger sur le désintéressement de ces donations car quand une marque associe son nom à une fondation, ça fait partie de sa stratégie commerciale. D’autant qu’il y a peu de contrôles de la part de l’administration fiscale sur le caractère d’intérêt général de l’œuvre faisant l’objet du don » souligne-t-il.

En novembre dernier, la Cour des Comptes ne disait pas autre chose. Elle formulait sept recommandations pour contrôler davantage les entreprises mécènes. Comme par exemple, « prendre en compte les réductions d’impôt en faveur du mécénat à l’occasion du contrôle »

Selon les Sages de la rue Cambon l’apport du mécénat se révélait « puissant mais inégalement important selon le domaine social, culturel, éducatif, sportif ou environnemental ». Ils fustigeaient également « la gestion trop passive de cette dépense fiscale par les services de l’État ».

 

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