Le débat budgétaire est synonyme pour la gauche de division. On l’a vu à l’Assemblée. Mais au Sénat, le début de l’examen du budget de la Sécu, ce mercredi, sera au contraire l’occasion de montrer un visage (presque) uni. Précision utile : il n’y a aucun sénateur de La France Insoumise, ce qui facilite pour le moins l’union.
« Quand l’essentiel est en jeu, la gauche sait se rassembler pour le défendre »
C’est donc unis et côte à côte, que les trois présidents de groupes de gauche de la Haute assemblée, socialiste, communiste et écologiste, accompagnés de leurs chefs de file sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), ont tenu une conférence de presse commune, ce mardi, en fin de journée. « Ces dernières semaines, nos visions n’ont pas toujours été les mêmes. Mais quand l’essentiel est en jeu, la gauche sait se rassembler pour le défendre », assure Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS.
Au Sénat, les débats prendront une tout autre tournure qu’à l’Assemblée, où les majorités de circonstance ont permis à la gauche d’obtenir plusieurs gains, à commencer par la suspension de la réforme des retraites. Au Palais de Marie de Médicis, la majorité sénatoriale de droite et du centre a déjà annoncé la couleur, samedi, lors du passage du texte en commission. Elle défend la suppression de la suspension de la réforme des retraites ou va revenir sur la suppression du gel des pensions de retraite et minima sociaux, à l’exception des petites pensions et de l’allocation aux adultes handicapés. Mais ce n’est pas tout.
« La droite sénatoriale veut karchériser les quelques avancées arrachées à l’Assemblée »
« Samedi matin, c’était le retour du musée des horreurs », dénonce Patrick Kanner, qui pointe les mots employés par un sénateur dans la presse. « La droite sénatoriale veut karchériser les quelques avancées arrachées à l’Assemblée, dans une logique jusqu’au-boutisme », regrette encore l’ancien ministre. Les sénateurs veulent en effet « nettoyer » le budget de la Sécu et faire table rase des nouvelles taxes adoptées par les députés (lire notre article).
« Nous allons entrer en résistance avec un front très unitaire, avec nos collègues communistes et verts », lance Patrick Kanner, qui insiste : « Globalement, nous allons montrer un visage unitaire face à une droite réactionnaire, au sens littéral du terme, c’est-à-dire qu’ils veulent revenir en arrière et même plus qu’en arrière, en refusant le travail fait à l’Assemblée », lance le sénateur PS du Nord (voir la vidéo, images de Cécile Sixou). « Nous sommes dans la défense. On combattra pied à pied pendant le PLFSS », prévient Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat.
« Le plus grand scandale de ce PLFSS, c’est l’Ondam », le budget de l’hôpital
Si le ton est à l’unité, le président du groupe PS reconnaît que la gauche a « eu des divergences, sur la question de la suspension de la réforme des retraites ». S’il s’agit d’une « avancée » pour le PS, ce ne l’est pas pour tous.
« Avec notre groupe, nous ne soutenons pas cette mesure de décalage de trois mois de la réforme », rappelle ainsi Cécile Cukierman, présidente du groupe CRCE-K (communiste). Mais qu’importe. Les sénateurs de gauche préfèrent souligner qu’ils défendront un amendement commun de suppression de la réforme Borne, l’un des « 19 amendements » signés ensembles par les trois groupes de gauche. D’autant « Il ne faut pas que la question des retraites soit l’arbre qui cache la forêt », ajoute Guillaume Gontard. Pour Anne Souyris, cheffe de file sur le texte pour le groupe Les Ecologistes, « le plus grand scandale de ce PLFSS, c’est l’Ondam », soit le budget de l’hôpital. « On est à la moitié d’un Ondam qui permettrait la survie de nos hôpitaux », dénonce l’élue de Paris.
« Le gouvernement a tenté de culpabiliser les malades »
Sa collègue communiste, Cathy Apourceau-Poly, évoque quelques autres « horreurs » relevées par la gauche dans les mesures de la majorité sénatoriale : « un amendement crée un pilier de capitalisation dans les retraites évidemment », un autre « sur les deux jours fériés supprimés, qu’ils vont déguiser d’une autre façon », en augmentant la durée de travail dans la fonction publique, ou encore le calcul de la retraite des fonctionnaires « sur les 25 meilleures années », comme dans le privé. Bref, « plusieurs mauvais coups ».
« Il y a plus de 80 milliards d’exonérations fiscales décidées par le Parlement. Et on fait peser la responsabilité sur les retraités, les malades, les chômeurs, tous ceux qui ont besoin de la Sécurité sociale », ajoute Cécile Cukierman. « Le gouvernement a tenté de culpabiliser les malades », dénonce à son tour Annie Le Houerou, sénatrice PS des Côtes-d’Armor.
Reste que dans les faits, la bataille est jouée d’avance au Sénat. La droite sénatoriale dispose de la majorité absolue à la Haute assemblée, laissant peu d’espoir à la gauche. Mais « nous arracherons tout ce que nous pourrons », assure la présidente du groupe communiste.
Que Sébastien Lecornu « mouille sa chemise »
Face à un premier ministre qui a pris le PS à son propre jeu, en renonçant au 49.3 et en s’en remettant aux votes du Parlement, Patrick Kanner appelle maintenant Sébastien Lecornu à « mouiller sa chemise » et à dire qu’elle est sa ligne. « A un moment donné, un chef, ça cheffe ! » lance le patron du groupe PS. En face de cette sensation de flottement, les sénateurs LR se montrent critiques sur le gouvernement, que leur parti a officiellement quitté. Guillaume Gontard y voit en réalité « un jeu de ping-pong entre le gouvernement et la droite sénatoriale, mais l’orientation reste la même ».
Sans surprise, les responsables de gauche ont peu d’espoir de voir une commission mixte paritaire (CMP) conclusive entre députés et sénateurs, à l’issue de l’examen du texte par le Sénat. Surtout avec seulement 4 membres de gauche sur 14. « La désignation des membres de la CMP sera un signe » à cet égard, relève Patrick Kanner. « Le comportement » de la majorité sénatoriale et « ce qu’il va se passer ici aura un impact » aussi, ajoute Cécile Cukierman. La tonalité des débats donnera en effet le la. Mais face à la volonté d’en découdre de la droite sénatoriale, le gouvernement aura ensuite beau jeu de reprendre à son compte les concessions faites au PS, histoire de montrer son bon vouloir. Au moment où le vote de la censure reviendra, cela pourrait compter, du côté des socialistes.