En déplacement au Salon de l’élevage à Cournon d’Auvergne (Puy-de-Dôme), Michel Barnier a annoncé une aide de 75 millions d’euros pour les éleveurs de brebis victimes de la fièvre catarrhale ovine et des prêts garantis par l’Etat pour les exploitations en difficulté. Des mesures bienvenues pour les agriculteurs qui ne calment pas pour autant leur colère.
Nouveau gouvernement : à l’Education nationale, un attelage inattendu entre une macroniste et un LR qui inquiète la gauche
Par Romain David
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C’est un profil qui intrigue au milieu de la liste des 39 ministres du gouvernement Barnier, dévoilée samedi soir. La députée macroniste des Français de l’étranger, Anne Genetet, largement méconnue du grand public, récupère l’un des portefeuilles les plus complexes à gérer, et accessoirement le second budget de l’Etat derrière le remboursement de la dette : le ministère de l’Education nationale. Elle sera épaulée dans ses nouvelles fonctions par un ministre délégué chargé de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, le très droitier député du Rhône Alexandre Portier, passé notamment par le cabinet de Laurent Wauquiez.
Si ce dernier, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation au Palais Bourbon, connaît bien les dossiers liés à l’éducation – il a déposé une proposition de loi sur la formation des enseignants et siège au sein du Conseil supérieur des programmes-, sa ministre de tutelle ne semble pas avoir d’affinités particulières avec ces thématiques. Selon nos informations, la députée du Nord Violette Spillebout avait été initialement appelée jeudi matin par Michel Barnier pour récupérer la rue de Grenelle, avant d’être débranchée le lendemain « à cause d’inimitiés dans sa circonscription ». Entre-temps, cette ancienne dir-cab de Martine Aubry avait eu le temps de contacter l’un de ses prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer, pour obtenir des contacts en vue de constituer un cabinet…
Journaliste médicale puis consultante pour plusieurs ONG, Anne Genetet est élue sous l’étiquette En Marche ! en 2017, arrachant au LR Thierry Mariani (depuis passé dans les rangs du RN), la 11e circonscription des Français de l’étranger. À l’Assemblée nationale, elle siège à la commission de la Défense. Au cours des sept dernières années, l’essentiel de ses interventions concerne la politique extérieure de la France. Comme le relève franceinfo, elle a toutefois été rapporteure en 2022 d’une proposition de loi « visant à faire évoluer la gouvernance de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et à créer les instituts régionaux de formation ».
La défiance des partenaires sociaux
Les syndicats enseignants n’ont pas manqué de s’alarmer de sa nomination. : « On a une nouvelle ministre qui ne connaît pas les dossiers, qui ne les a jamais traités, qui en est très loin et qui, vraisemblablement, a été poussée par Gabriel Attal pour poursuivre une politique contestée et désavouée dans les urnes », a réagi Sophie Vénétitay, secrétaire nationale du Snes-FSU, au micro de BFMTV. « Piloter l’École ne s’improvise pas. Le service public d’éducation a déjà bien trop souffert d’être sous tutelle élyséenne ! », s’est agacé sur le réseau social X Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale de SE-UNSA.
Il faut dire que la dissolution a laissé en jachère de nombreux chantiers : notamment l’application de la réforme de la formation des enseignants et celle du « choc des savoirs », voulue par Gabriel Attal et décriée par une partie du corps enseignant. Elle prévoit de conditionner l’accès au lycée à l’obtention du brevet des collèges. Cette mesure, qui aurait dû entrer en vigueur en 2025, est désormais gelée. Sans compter les nombreux enjeux autour du mal-être enseignant et de la revalorisation du métier. Face à cela, six ministres se sont succédé rue de Grenelle depuis 2022.
Une volonté de continuité
« La stabilité, je sais combien l’école en a besoin après ces derniers mois, et même ces dernières années », a voulu rassurer ce lundi matin Anne Genetet à l’occasion de sa passation de pouvoirs avec Nicole Belloubet, restée à peine sept mois en poste. « Un mouvement a été lancé autour d’ambitions fortes comme l’élévation du niveau des élèves, l’exigence de nos enseignements mais aussi le respect de nos professeurs, de leur autorité et de celle de la République. […] Le navire ne changera pas de cap, c’est donc de la continuité, de la sérénité, de l’écoute et du temps long que je souhaite apporter à notre école », a-t-elle encore déclaré.
« J’ai travaillé avec Anne Genetet à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Elle est intelligente, compétente, mais n’y connaît rien à l’Education nationale », commente le communiste Pierre Ouzoulias, vice-président du Sénat et spécialiste des questions d’éducation. « La nomination de cette macroniste laisse supposer qu’elle prendra directement ses ordres de l’Elysée. Le domaine réservé du chef de l’Etat, cantonné depuis Mitterrand aux Affaires étrangères et aux questions de Défense, s’élargit désormais à l’Education nationale ». Le député LFI Paul Vannier, enseignant de formation et membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, ne mâche pas ses mots : « La vraie surprise de cette nomination, c’est l’ampleur du bras d’honneur adressé au monde enseignant et aux élèves ! C’est une incompétente sur ces questions. Il est sidérant de voir le mépris adressé à l’Education nationale dans un moment de crise inédite », tempête l’élu du Val-d’Oise.
« Ses travaux et ses prises de position ne sont pas connus, on jugera sur pièce. Le ministre de l’Education nationale n’est pas toujours un universitaire ou un professeur du second degré, je ne lui ferai donc pas ce reproche », nuance le sénateur LR Max Brisson, ancien inspecteur général de l’Education nationale. « En revanche, si cela devait se terminer avec un président de la République qui continue à faire des annonces détaillées, je ne me gênerai pas pour dire ce que j’en pense… »
Vers un pilotage bicéphale ?
Le nom d’Alexandre Portier, désormais en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, a été imposé par les LR qui, malgré le poids politique qu’ils occupent dans cette coalition gouvernementale, ne pouvaient vraisemblablement pas prétendre récupérer le ministère de l’Education nationale après avoir décroché Beauvau.
Si l’enseignement professionnel est traditionnellement confié à un ministère de plein exercice, l’intitulé « Réussite scolaire » est pour ainsi dire inédit. « Il y a déjà eu, sous François Hollande, un ministère délégué à la réussite éducative, ce qui n’est pas exactement la même appellation. Il était concentré sur la politique d’éducation prioritaire », relève la sénatrice socialiste de Paris Colombe Brossel. « Mais là, je ne vois pas très bien pourquoi disjoindre la réussite scolaire de l’Education nationale. Dans ces conditions, je m’interroge sur le contenu des lettres de mission qui seront adressées aux deux ministres. »
Un défenseur de l’enseignement privé
Le profil Alexandre Portier est plus politique que celui de sa ministre de tutelle, et surtout bien plus marqué à droite. Ce professeur de philosophie, passé par l’Institut catholique de Paris et l’ENS, est un proche de Laurent Wauquiez. Il a œuvré comme conseiller du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avant d’être élu en 2022. Dans une tribune publiée en 2023 par Le journal du dimanche, il a fustigé l’utilisation du terme « ségrégation scolaire » par l’ancien ministre Pap Ndiaye. « Tout analyser en termes de domination, voilà bien un trait caractéristique du wokisme », écrit l’élu. Quelques mois plus tard, il dépose une proposition de loi permettant de recruter des enseignants au niveau bac + 3, voire bac + 2, afin de pallier les pénuries.
« C’est un ami, j’ai beaucoup travaillé avec lui. Nous animions des masters class à l’attention des adhérents LR. Nous partageons beaucoup de choses en commun », rapporte Max Brisson. Les deux ont signé fin mai une tribune dans les colonnes du Figaro, dans laquelle ils épinglent le rapport sur le financement public de l’enseignement privé présenté par les députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance). Ce document s’interroge sur l’absence de contrôle, estimant que le secteur privé se soustrait en partie aux obligations du service public, notamment en termes de mixité sociale et scolaire.
« Alexandre Portier n’a pas pris fait et cause pour l’enseignement privé, il a pris fait et cause pour une école de la transmission des savoirs, de l’autorité et de l’autonomie face à un rapport infamant ! », rectifie Max Brisson, qui a rédigé cette tribune. De son côté, le corapporteur Paul Vannier dénonce « la virulence » de son ex-collègue et sa « vision idéologique ». « Il est le représentant d’une forme de lobby de l’enseignement privé », alerte-t-il.
« On sent bien depuis plusieurs mois que, dans la bouche de certains responsables, l’école privée est devenue une forme de référence », observe le sénateur Pierre Ouzoulias. « Avec cette idée selon laquelle importer les méthodes du privé dans le public permettrait d’améliorer beaucoup de choses. Finalement, on se dirige vers une forme de privatisation de l’enseignement public ».
« La ministre n’a pas besoin de passer par la loi pour commencer à libérer les énergies »
Le pacte législatif présenté au début de l’été par les parlementaires LR contenait un important volet consacré à l’Education nationale, reprenant les grandes lignes de la proposition de loi « pour une École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité » portée par le sénateur Max Brisson, et adoptée par la Chambre haute en avril dernier. Ce texte, décrié par la gauche, prévoit de renforcer l’autonomie des établissements. Il s’agit d’accorder aux écoles une plus grande marge de manœuvre dans le recrutement des élèves, l’affectation des personnels, l’utilisation du budget, et globalement l’organisation pédagogique.
« J’ai eu l’occasion, il y a quelques semaines, de discuter de l’avenir de cette proposition de loi avec Alexandre Portier », confie Max Brisson. « Ce texte reste d’actualité pour moi, il peut servir d’orientation. Je n’ai pas de conseils à donner à la nouvelle ministre, mais je sais qu’elle n’a pas besoin de passer par le Parlement pour commencer à libérer les énergies, pour donner plus de liberté et d’autonomie », enjoint-il.
Il reste désormais à savoir quelle sera, in fine, la ligne portée par l’attelage désormais en charge de l’enseignement, entre une ministre macroniste, qui entend s’inscrire dans le sillon de ses prédécesseurs, et son ministre délégué LR, qui a longtemps combattu le camp présidentiel, et qui porte un projet éducatif nettement plus marqué à droite. « C’est bien toute la difficulté de ce gouvernement, réunir des formes de pensée qui peuvent se retrouver en opposition sur de nombreux sujets », commente le sénateur Pierre Ouzoulias. L’insoumis Paul Vannier lui, refuse de les renvoyer dos à dos : « Ces dernières années la question éducative est devenue l’espace de convergence idéologique du macronisme et de la droite, voire de l’extrême droite. Ils se sont tous retrouvés, par exemple, sur la question du port de l’uniforme », soupire-t-il.
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