« On y croit forcément moins qu’il y a 15 jours. On est pessimistes », confie une source parlementaire à la sortie de la réunion hebdomadaire du groupe LR du Sénat. Depuis sa nomination, le 9 septembre, le Premier ministre applique à la lettre la mission que lui a confiée le chef de l’Etat, à savoir « consulter les forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois ».
« Rien ne filtre »
Trouver un accord préalable sur ce que sera le programme du gouvernement pour éviter d’être censuré à la première motion déposée est, a priori, un ordre on ne peut plus raisonnable. Sauf que Sébastien Lecornu fait face à la même composition de l’Assemblée nationale que ses deux éphémères prédécesseurs. Et doit résoudre la même équation d’apparence insoluble : « Faire le grand écart entre nos lignes rouges et celles du PS », résume le sénateur LR, Alain Joyandet. En somme, il doit appliquer le en « même temps », la promesse originelle du macronisme. Rien d’illogique pour ce fidèle du chef de l’Etat.
Cultivant la discrétion, privilégiant la forme écrite pour communiquer à l’attention des Français et les échanges bilatéraux avec les forces politiques et syndicales, Sébastien Lecornu prend son temps et a reçu une nouvelle fois les chefs de parti du socle commun ce midi, Renaissance, MoDem, Horizons, UDI et LR avant de recevoir une seconde fois l’intersyndicale demain. Et comme à chaque consultation, consigne a été donnée de ne pas communiquer sur les échanges. « Sébastien Lecornu tient bien la maison. Rien ne filtre », observe admiratif, le patron des sénateurs Renaissance, François Patriat. « Avant toute chose, il faut que le socle commun soit consolidé. Est-ce que les socialistes sont capables d’accepter des modifications apportées au budget Bayrou ? Pour le moment ils sont dans des exigences fortes qu’on ne peut pas accepter comme la taxe Zucman ou la suspension de la réforme des retraites », interroge-t-il.
« Les socialistes ont raison de faire monter les enchères »
Un dialogue semble en effet au point mort avec les socialistes comme l’indiquent à Public Sénat les propos du président du groupe PS, Patrick Kanner. « Est-ce qu’il (le Premier ministre) ira vers son socle commun et rien que son socle commun, et notamment LR, ou est-ce qu’il entendra les demandes, la souffrance, la colère des Français, aujourd’hui exprimée à plusieurs reprises ? Nous avons l’intention, en tant que socialistes, de les porter haut et fort par nos propositions. Nous voulons répondre à ces colères par des propositions de justice sociale, de justice fiscale, de développement, de pouvoir d’achat. Pour l’instant, nous n’avons aucune réponse ».
Le contexte a changé et les socialistes, échaudés par les promesses restées sans acte de François Bayrou, sont moins inhibés par la perspective d’un nouveau procès en irresponsabilité fait par le bloc central en cas de nouvelle censure. « J’invite un mes collègues à faire un certain nombre d’avancées les uns envers les autres car on ne peut pas rester dans cette situation-là. Je reviens des territoires et les Français sont très inquiets », rapporte pourtant Frédérique Puissat.
« Les socialistes ont raison de faire monter les enchères. Le Premier ministre a besoin d’eux s’il veut survivre et à l’approche des municipales, ils vont devoir faire face aux candidats LFI qui n’ont pas beaucoup d’élus, mais sont capables de mobiliser un électorat conséquent dans leur circonscription », commente un sénateur LR. Ce parlementaire ne pense pas que le gouvernement sera nommé avant début octobre », c’est-à-dire avant l’élection du Bureau de l’Assemblée nationale prévue les 1er et 2 octobre, à l’ouverture de la session ordinaire. « Il y a des postes qui peuvent se jouer à une voix près. Si vous nommez le gouvernement avant, les anciens ministres députés ne retrouveront leur siège qu’un mois après, et ne pourront donc pas voter », expose-t-il.
En attendant, à droite comme à gauche, chacun rappelle ses lignes rouges pendant que le Premier ministre multiplie les gestes d’apaisement à bas coûts, comme la mesure unanimement contestée de suppression des deux jours fériés, la fin des avantages des anciens ministres, le lancement d’une mission « Etat efficace » ou la promesse d’« un grand acte de décentralisation ».
Il envoie aussi des signaux des deux côtés de l’échiquier politique. Selon nos confrères de Politico, à défaut de taxe Zucman l’idée d’un retour de l’ISF est défendue par des élus Modem et macronistes. Sébastien Lecornu recevait lui, ce matin, les deux auteurs d’un rapport de 2023 sur l’Aide médical d’Etat (AME), Claude Evin, ancien ministre socialiste, et à Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Valérie Pécresse et de François Fillon à la présidentielle. Un dispositif que la droite sénatoriale avait supprimé lors de l’examen de la dernière loi immigration considéré comme « un appel d’air » à l’immigration illégale.
Comme nous l’écrivions ici, plusieurs parlementaires de l’arc central et de LR sont désormais convaincus qu’un effort moins lourd pourrait redonner de l’air pour des concessions budgétaires. « La ligne que nous affichons depuis toujours c’est la baisse des dépenses publiques. C’est comme ça qu’on s’inscrira dans le temps », indique la sénatrice néanmoins ouverte à des « compromis » sur la fiscalité.
Suffisant pour éviter la censure ?
Alors que la direction de LR se refusait de parler de « lignes rouges » au lendemain de la chute du gouvernement Bayrou, un basculement sémantique est apparu ces derniers jours. « On a des lignes rouges d’un point de vue budgétaire ou que ce soit sur la présence de ministres socialistes », rappelle Frédéric Puissat.
« Personne n’est obligé d’aller au gouvernement »
Le sénateur LR, Max Brisson confirme. « La réunion du groupe ce matin a été très claire. Il n’y a pas de voie de passage s’il n’y a pas de respect de nos convictions sur quelques textes de fondamentaux. Nous voulons un contrat de gouvernement. C’est sur la table du Premier ministre. Les choses sont très claires. Personne n’est obligé d’aller au gouvernement. Nous avons une responsabilité. Il est nécessaire pour notre pays d’avoir un budget mais la voie de passage que nous pourrions trouver ne se fera pas aux prix de nos convictions ».
Les LR prêts à quitter le gouvernement ?
Pour que ce soit encore plus clair, Laurent Wauquiez a couché sur papier la synthèse des priorités de son groupe avec des lignes rouges comme la baisse des pensions des retraites ou de l’augmentation des cotisations, le scrutin proportionnel aux législatives ou de nouvelles hausses d’impôts. Le document va être envoyé au Premier ministre. Du côté du patron de LR, Bruno Retailleau, qui aimerait bien prolonger encore quelques mois son bail à Beauvau, on refuse de voir dans cette initiative toute forme de pression. « On ne voit pas ça comme ça. Ce document recoupe tous les points qui ont été discutés avec le Premier ministre », indique son entourage.
Pour la droite, le retour inespéré aux affaires après la dissolution a été bénéfique et les aurait même sauvés de la « disparition ». C’est pourquoi un départ du gouvernement ne se ferait qu’à contrecœur. « On a retrouvé la droite des beaux quartiers celle qui avait délaissé Valérie Pécresse en 2022 pour aller chez Macron. Mais d’un autre côté, le gouvernement, c’est le Titanic et il n’y aura pas de canots de sauvetage pour tout le monde », met dans la balance un parlementaire LR.