L’avenir de la Nouvelle-Calédonie s’est dessiné à plus de 16 000 km de l’île. Samedi 12 juillet, au petit matin, une fumée blanche est sortie du domaine de Deva, situé dans la commune de Bougival (Yvelines), lieu des négociations entre les formations politiques indépendantistes et non-indépendantistes. Après dix jours de négociations, un accord sur l’avenir institutionnel de l’archipel du Pacifique a été trouvé. Intitulé « Le pari de la confiance », le document souhaite offrir « une solution politique fondée sur une organisation institutionnelle pérenne ».
« Les derniers accords négociés n’offraient pas de perspectives pérennes », se souvient le sénateur LR de Nouvelle-Calédonie, Georges Naturel. « Cet accord a une finalité et offre une solution dans la durée. Les Calédoniens, et particulièrement la jeunesse calédonienne, l’attendaient ».
Et de fait, chaque camp semble avoir mis de l’eau dans son vin. Alors qu’un compromis entre les Loyalistes et les indépendantistes semblait impossible à trouver à la suite des violentes émeutes qui ont éclaté l’année dernière, l’issue des négociations est surprenante tant les concessions des deux côtés sont importantes.
« Un État de Nouvelle-Calédonie dans la République : c’est le pari de la confiance »
Du côté loyaliste, les concessions sont majeures. En premier lieu, le document signé propose d’instaurer un « Etat de la Nouvelle-Calédonie » au sein de la République française via une « loi fondamentale », sorte de constitution intégrée à la Constitution française. De fait, le nouvel Etat pourra modifier « les signes identitaires du pays » comme le nom, le drapeau, l’hymne ou encore la devise. Sur X, Emmanuel Macron a salué un « accord historique ». « Un État de Nouvelle-Calédonie dans la République : c’est le pari de la confiance », a-t-il écrit.
Dans ce sillon, le document a inscrit la création d’une nationalité calédonienne. Pouvant se coupler à la nationalité française, elle s’obtient selon des conditions bien définies dans le texte notamment après une présence continue de dix ans sur le territoire ou cinq ans en cas d’union avec une personne de nationalité calédonienne. A l’avenir, seules les personnes de nationalité calédonienne pourront participer aux scrutins locaux tandis que les scrutins provinciaux concerneront l’ensemble des natifs de l’île soit environ 12 000 électeurs en plus.
La question électorale reste particulièrement sensible en Nouvelle-Calédonie. En 2024, les émeutes qu’a connues l’île ont découlé du débat autour du dégel du corps électoral. Dans un entretien accordé à la 1re Outre-Mer, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls a déclaré que le dégel du corps électoral ne pouvait pas se faire sans un accord global. « Pour les élections suivantes, ça sera la définition de la nationalité, de la citoyenneté calédonienne, qui permettra de trouver la bonne base », a-t-il indiqué.
La proposition de création d’un Etat calédonien s’est aussi accompagnée d’un transfert des compétences régaliennes. Ainsi, le texte indique que « le Congrès de la Nouvelle-Calédonie (parlement local composé de 54 conseillers) pourra adopter une résolution à la majorité qualifiée de 36 membres, demandant que soient transférées à la Nouvelle-Calédonie des compétences de nature régalienne dans l’un des champs suivants : défense, monnaie, sécurité et ordre public, justice et contrôle de légalité ».
Une modification du congrès local en faveur des Loyalistes
Pour obtenir ces concessions historiques, les indépendantistes ont également renoncé à la souveraineté pleine et entière de l’île, du moins dans l’immédiat. De plus, si le texte est adopté, l’accord prévoit de modifier le panorama du Congrès local. Trois nouveaux élus doivent intégrer l’hémicycle offrant ainsi cinq sièges supplémentaires à la province du Sud, plus riche et composée en majorité de Loyalistes. Dès lors, cette recomposition des rapports de force dans l’hémicycle ne permettra pas l’obtention d’une majorité qualifiée pour le transfert des compétences régaliennes. Les Loyalistes se sont réjouis de ce « rééquilibrage des sièges au Congrès au bénéfice de la province sud » ainsi que du maintien « du rôle de la France en Nouvelle-Calédonie ».
« Cet accord s’oriente plus vers la construction d’un pays que vers l’indépendance »
« Les indépendantistes ont toujours leurs motivations et useront de tous les moyens pour accéder à l’indépendance », assure le non-indépendantiste Georges Naturel. « Cet accord s’oriente plus vers la construction d’un pays que vers l’indépendance ». Présent lors des négociations, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a salué « un projet d’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie » permettant « d’avancer sur la trajectoire vers la souveraineté ». Dans un communiqué diffusé le 14 juillet, il reconnaît « un choix qui respecte la volonté des Calédoniens » en rendant possible « le transfert des compétences régaliennes restantes ». Contacté, le sénateur indépendantiste Robert Wienie Xowie (membre du groupe CRCE) n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
« Nous devons absolument diversifier nos économies »
Si les non-indépendantistes souhaitent apaiser la situation sur l’île en concédant à de nombreuses revendications. Du côté des indépendantistes, les concessions sur la souveraineté pleine et entière s’expliquent également par les difficultés économiques de la Nouvelle-Calédonie. « De nombreux échanges ont porté sur l’économie et le projet de société de l’île », révèle Georges Naturel qui a participé aux négociations. « Il a fallu rassurer les chefs d’entreprise et cet accord a permis cela ».
Déjà fortement affaiblies par la crise Covid, les émeutes de 2024 ont coûté à l’île près de 15 % de son PIB. Le « pacte de refondation économique et financière » inclus dans l’accord prévoit donc une « relance » et une « diversification économique » du territoire. Il appelle à « l’assainissement des finances publiques locales et le redressement des comptes sociaux » ainsi qu’à un « retour à la soutenabilité de la dette publique ». « Nous devons absolument diversifier nos économies vertes et nos économies bleues (économie liée aux océans) », prévient Georges Naturel qui espère une « relance » du nickel, ressource naturelle dont regorge l’île.
« Faire preuve d’une grande pédagogie »
Pour être appliqué, le document signé nécessite encore une révision de la Constitution française, qui pourrait être adoptée par le Parlement en Congrès à Versailles à l’automne. Il sera ensuite soumis à un référendum en Nouvelle-Calédonie. « Au Sénat, nous allons travailler dès la rentrée sur cette réforme constitutionnelle », assure le sénateur.
Lors de son retour en Nouvelle-Calédonie, Georges Naturel dit avoir observé une satisfaction globale au sein de la population. « Malheureusement je constate une certaine incompréhension », tempère-t-il. « Il va falloir faire preuve d’une grande pédagogie pour convaincre la population que ce texte va améliorer la qualité de vie des citoyens en Nouvelle-Calédonie ».