A quelques heures de l’examen du budget de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, le gouvernement s’engage à ce qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments en 2025, accédant à une demande du Rassemblement national.
Nouvelle-Calédonie : pourquoi Gérald Darmanin demande une seconde délibération sur le projet de loi constitutionnelle
Par Simon Barbarit
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Passé relativement inaperçu, l’examen du projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle Calédonie s’est déroulé dans une ambiance plutôt tendue entre les élus de la chambre haute et le ministre de l’Intérieur.
Alors que le contexte politique néo-calédonien est tendu après le rejet des trois référendums sur l’autodétermination de l’archipel, le Sénat examinait mardi dernier un texte qui ouvre le corps électoral aux élections provinciales aux personnes résidant depuis plus de dix ans en Nouvelle-Calédonie. Des élections cruciales car les provinces détiennent une grande partie des compétences. La répartition des sièges dans les provinces conditionne la répartition des sièges au Congrès [le Parlement local], qui détermine ensuite le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant l’Accord de Nouméa de 1998 peuvent voter aux élections provinciales. Sans réforme, le gel du corps électoral depuis des années a pour conséquence d’évincer de ces élections près d’un électeur sur cinq, ce qui ferait peser un risque d’inconstitutionnalité sur le prochain scrutin qui doit se dérouler avant le 15 décembre 2024, selon une loi organique adoptée il y a quelques semaines.
Gérald Darmanin accuse le Sénat « d’empêcher » la tenue des élections provinciales
Le gouvernement comme les sénateurs s’accordent pour dire que ces élections provinciales sont un préalable indispensable à la poursuite des négociations locales sur l’avenir institutionnel de l’île qui sont au point mort depuis des mois. La gauche de l’hémicycle estime néanmoins qu’il n’y a pas « d’urgence institutionnelle » à faire évoluer le corps électoral, le Conseil d’Etat ayant donné jusqu’au 30 novembre 2025 pour organiser les élections provinciales. Elle dénonce « le passage en force » de l’exécutif et met en cause son impartialité au détriment des indépendantistes.
Gérald Darmanin pensait donc pouvoir compter sur le soutien de la majorité sénatoriale pour adopter le texte vite, c’est-à-dire avant le 1er juillet. Or, un amendement du rapporteur LR Philippe Bas, a compromis, selon lui, la possibilité d’un vote conforme des députés. Pour mémoire, un projet de loi constitutionnelle doit être adopté à l’identique à l’Assemblée avant d’être soumis à tous les parlementaires réunis en Congrès, où une majorité des trois cinquièmes sera nécessaire.
L’amendement de Philippe Bas supprime l’habilitation donnée au gouvernement de pouvoir organiser par décret le prochain scrutin provincial. « Soucieux d’éviter tout contournement du Parlement », l’amendement remplace le décret par une loi organique votée dans les conditions d’une loi ordinaire afin de conserver cet objectif de rapidité. « Il peut se passer des choses dans la vie d’une majorité relative ». « L’amendement du rapporteur empêche de convoquer les élections suffisamment à temps », a d’abord souligné le ministre évoquant la possibilité d’une nouvelle pandémie ou d’une motion de censure. « Si nous ne votons pas conforme avec l’Assemblée nationale, il n’y aura pas de révision constitutionnelle le 1er juillet », a-t-il tancé en faisant remarquer que le groupe socialiste soutenait l’amendement du rapporteur, ça « devrait vous poser un certain nombre de questions ».
« Le contexte national interfère sur le sujet calédonien »
L’amendement a bien été adopté mais Gérald Darmanin a depuis envoyé un courrier au président du Sénat, Gérard Larcher pour lui demander une seconde délibération de l’article amendé. Conformément à l’article 43 du règlement du Sénat, une seconde délibération doit être acceptée par le gouvernement et le Sénat. Gérard Larcher est actuellement en déplacement au Congo. « Nous en parlerons à son retour », indique un cadre de la majorité.
Le sénateur non-indépendantiste Georges Naturel (LR) s’inquiète « de voir le contexte national interférer sur le sujet calédonien ». « J’ai été élu en septembre dernier, j’ai vécu les débats budgétaires et la loi immigration et je comprends bien que l’élément principal de cette affaire, c’est la défense des prérogatives des parlementaires. Mais j’observe aussi que les indépendantistes et loyalistes sont en campagne électorale pour les élections provinciales, ce qui bloque tout accord sur l’avenir institutionnel ».
« C’est tout simplement une exigence démocratique »
Contacté par publicsenat.fr, Philippe Bas maintient sa position. « La commission des lois pourra en débattre bien sûr (de la demande de seconde délibération). Mais ce n’est pas possible sans contrevenir gravement à nos exigences constitutionnelles car ce qui touche au droit de suffrage des Français doit bénéficier de la garantie d’un vote de la représentation nationale et non dépendre d’un acte du gouvernement. C’est tout simplement une exigence démocratique. Cela n’empêche d’ailleurs pas d’aller vite et le Sénat est naturellement prêt à y contribuer, comme il l’a toujours fait ».
Deux questions restent en suspens. La demande de seconde délibération sera-t-elle acceptée par Gérard Larcher qui suit lui aussi le dossier calédonien de près. Et si c’est le cas, le retour à la version du gouvernement sera-t-il voté dans l’hémicycle ? « En commission, la majorité sénatoriale soutenait l’amendement de Philippe Bas. La pression du gouvernement est venue en séance. La demande de seconde délibération du gouvernement s’inscrit probablement dans le deal avec les députés pour avoir un vote conforme », esquisse la sénatrice écologique, Mélanie Vogel.
Ce n’est pas la première fois qu’un amendement de Philippe Bas perturbe la majorité sénatoriale. Il y a un an, c’est grâce à l’un de ses amendements que la Haute assemblée avait voté pour la première fois l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Cette semaine, Gérald Darmanin a d’ailleurs pris soin d’appuyer sur les divergences qui peuvent exister au sein de la majorité. « Vous commandez le Sénat sans doute. Mais ça reste à voir quand on entend vos discussions avec vos amis centristes et parfois avec le président de la commission des lois ».
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