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Nouvelle-Calédonie : Sébastien Lecornu attendu au tournant sur ce dossier inflammable

En succédant à François Bayrou à Matignon, le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu hérite d’une crise politique et sociale. Mais il va également devoir faire face à un dossier institutionnel à haut risque, celui de la Nouvelle-Calédonie. Lors de son passage au ministère des Outre-Mer entre 2020 et 2022, les indépendantistes lui avaient reproché d’avoir maintenu la date du troisième référendum d’autodétermination, mais également sa proximité avec les loyalistes.
Simon Barbarit

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Auréolé de la réputation d’habile négociateur, Sébastien Lecornu va devoir faire ses preuves en réussissant à trouver un compromis sur le budget. « Il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode, des ruptures aussi sur le fond », a-t-il promis lors de la passation de pouvoir avec François Bayrou.

Une promesse censée marquer le contraste avec l’exercice du pouvoir de son prédécesseur, mais qu’il devra aussi appliquer dans sa gestion du dossier calédonien. Car sur ce sujet majeur, Sébastien Lecornu a un passif. Lorsqu’il était à la tête du ministère des Outre-mer entre 2020 et 2022, son habileté politique a été empêchée par la pandémie de Covid-19.

A cette époque, plutôt épargnée jusque-là, la Nouvelle-Calédonie compte ses morts de la pandémie alors que se profile le troisième référendum autorisé par les accords de Nouméa sur l’indépendance du territoire. Les indépendantistes estiment que la pandémie empêche le déroulement normal du scrutin et demandent un report. Dans la culture kanake le deuil coïncide avec une attitude de retrait.

Mais Sébastien Lecornu ne plie pas et maintient la date du 13 décembre considérant qu’il y a « une forme d’urgence à travailler au jour d’après ». Il rompt ainsi avec la parole donnée par l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe qui avait exclu une troisième consultation entre le mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022 afin de bien la dissocier de la campagne présidentielle. « Le dossier était piloté par l’Elysée et Emmanuel Macron voulait aller vite », tempère le constitutionaliste Benjamin Morel.

« Sébastien Lecornu ne va pas remettre les mains dans le cambouis »

Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit constitutionnel à Bordeaux considère pour sa part que le ministère des Outre-mer a servi de « petit Matignon » pour Sébastien Lecornu. « Il a dû gérer beaucoup de dossiers divers sur un périmètre réduit. Aujourd’hui sa nomination à Matignon a provoqué des réactions contrastées, mais on oublie qu’un an plus tôt il n’était pas loin d’un accord sur l’avenir institutionnel en organisant une concertation avec les différentes forces politiques sur l’îlot Leprédour. Et de toute façon, Sébastien Lecornu ne va pas remettre les mains dans le cambouis. Ce n’est plus un dossier géré par le Premier ministre, mais par Manuel Valls, qui devrait logiquement conserver son poste au nom de la continuité de l’Etat. C’est un ancien premier ministre désigné ministre d’Etat. Le dernier chef de gouvernement à s’être occupé du dossier calédonien est Edouard Philippe.

« Le problème, c’est qu’il n’écoutait qu’une seule voix, celle de Sonia Backès »

Le « non » à l’indépendance l’emporte à 96,43 %. Mais la participation établie à 43,90 % est en très forte baisse par rapport aux deux précédents référendums, conséquence de l’appel au boycott du scrutin des indépendantistes. La crise institutionnelle n’est pas réglée et les indépendantistes rompent le dialogue avec le ministre préférant attendre les résultats de l’élection présidentielle de 2022.

« Le problème, c’est qu’il n’écoutait qu’une seule voix, celle de Sonia Backès. S’il continue sa stratégie de passage en force, ça se passera mal », présage la présidente du groupe communiste du Sénat Cécile Cukierman. Le Premier ministre est effectivement un proche de la présidente de la province Sud. La Loyaliste a d’ailleurs salué la nomination de Sébastien Lecornu comme « une chance pour la France, peut-être la dernière avant une crise profonde de régime ».

« Le ministre des colonies par excellence », a estimé pour sa part le FLNKS, (Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), principal mouvement indépendantiste de l’archipel, qui a rejeté l’accord de Bouvgival, l’accord sur l’avenir institutionnel de l’île, trouvé cet été dans la commune des Yvelines, entre différentes formations politiques de Nouvelle Calédonie. Il prévoit la création d’un « Etat de Nouvelle-Calédonie », une nationalité calédonienne, ainsi qu’une possibilité de transfert des compétences régaliennes (monnaie, justice, police), mais pas la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance, ce qui a conduit à son rejet par le FLNKS. « Sébastien Lecornu est plutôt malin et il pourrait reprendre les discussions en gardant l’ossature de Bougival. Il connaît le dossier mais sa proximité avec Sonia Backès n’est pas appréciée de tout le monde y compris chez les centristes. Et il ne pourra pas passer en force. C’est n’est pas possible en Nouvelle-Calédonie », constate Georges Naturel sénateur non-indépendantiste (LR) de Nouvelle-Calédonie.

« Ce qu’il s’est passé avec Bougival, c’est un peu la même chose que pour la date du troisième référendum. J’avais participé la réunion au cours de laquelle il avait été décidé de conserver la date du référendum. Les partis indépendantistes avaient donné leur accord. C’est lorsqu’ils sont revenus sur l’île que les points de crispation sont apparus, avec la pandémie notamment », souligne Ferdinand Mélin-Soucramanien.

« Lecornu aurait pu être un atout, si les loyalistes constituaient toujours un point de blocage »

Benjamin Morel note, quant à lui un avant et un après 2024. Au printemps 2024, le projet de loi constitutionnelle qui visait à élargir le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie avait conduit à des violences insurrectionnelles avant son abandon avec la dissolution. Le manque d’impartialité du gouvernement dans la conduite de cette réforme par Gérald Darmanin avait été mis en cause par la gauche du Sénat et les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie. « La nomination de Sébastien Lecornu aurait pu être un atout si les loyalistes constituaient toujours un point de blocage. Mais ils ont fait beaucoup de concessions dans l’accord de Bougival qui fait passer la Nouvelle-Calédonie dans une indépendance de droit avant d’être potentiellement dans quelques décennies dans une indépendance de fait. Le problème c’est que le FLNKS est prisonnier depuis 2024 de sa base radicalisée. Les indépendantistes qui n’ont plus la latitude pour débloquer la situation ».

« Ce n’est pas un sujet forcément propice aux jeux politiciens »

Le dossier calédonien est en fait multiple. Le Sénat et l’Assemblée devaient tout d’abord se prononcer, fin septembre, sur le projet de loi organique permettant un troisième report des élections provinciales autorisé par le Conseil d’Etat au plus tard fin juin. « On a du mal à savoir qui représente les uns et les autres puisque ça fait plus d’un que le mandat des membres du Congrès est arrivé à échéance », souligne Georges Naturel. Doit suivre l’examen du projet de loi constitutionnelle issue des accords de Bougival. « Au Sénat, ça devrait passer mais ça me semble plus compliqué à l’Assemblée nationale », remarque le sénateur calédonien. L’Assemblée est en effet fracturée sur cet accord, Marine Le Pen avait estimé que la création d’un « État calédonien » et d’une « nationalité calédonienne » au sein de la République française constituait « un exercice d’équilibrisme juridique et politique difficilement compréhensible et donc périlleux ». Le patron des Républicains, Bruno Retailleau s’était montré prudent affirmant que la Nouvelle-Calédonie « resterait française » Quand la France Insoumise relève qu’il n’y a pas d’accord consensuel sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

« Le RN et LFI sont dans des positions de principe, entre les deux les socialistes et le bloc central ne veulent pas que la situation ne s’enflamme et veulent acter un compromis sur le terrain. Mais ce compromis n’est pas clair et la mise en forme juridique de l’accord de Bougival peut conduire à des tensions et ce n’est pas là-dessus que va se jouer la prochaine élection présidentielle », constate Benjamin Morel.

Ferdinand Mélin-Soucramanien abonde. « Ce n’est pas un sujet forcément propice aux jeux politiciens. Les partis vont rechercher avant tout la paix et la sécurité. Mais dans l’histoire contemporaine de la Nouvelle-Calédonie il y a souvent eu une collision entre les échéances nationales et des évènements », comme la prise d’otages de la frotte d’Ouvéa en pleine campagne présidentielle de 1988.

Dans l’hypothèse, pour le moment loin d’être acquise, d’une révision constitutionnelle adoptée par le Parlement réuni en Congrès, l’accord serait soumis à l’approbation des Calédoniens par un référendum en février 2026. La révision constitutionnelle serait enfin accompagnée d’une autre loi organique visant à détailler la répartition des compétences entre l’Etat et la Nouvelle-Calédonie.

 

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