Un an jour pour jour après le début des violences insurrectionnelles de mai 2024 qui ont fait 14 morts, plus de deux milliards d’euros de dégâts et plongé la Nouvelle-Calédonie dans une crise sociale, économique et institutionnelle, le bout du tunnel est encore loin pour ses habitants. Avec 2.600 policiers et gendarmes déployés ce premier anniversaire s’est, néanmoins, déroulé dans le calme. Seules quelques entraves à la circulation et quatre arrestations ont été recensées.
« La situation reste catastrophique »
Les troubles de l’année dernière n’ont pas été sans conséquences sur la vie économique du territoire. Seul 17 % des chefs d’entreprises calédoniens se disent confiant en l’avenir, selon l’institut Quidnovi pour la Chambre de commerce et d’industrie. La crise économique a entrainé une perte de ressources pour les collectivités qui n’ont pas les moyens de faire face à cette crise sociale. Les difficultés devraient même s’aggraver après le 30 juin, avec la fin du dispositif du chômage partiel. « Les communes ont perdu 15 % de de leurs recettes depuis les émeutes. Le dernier budget a fléché 200 millions pour reconstruire les écoles et les bâtiments publics. Ça va au moins relancer le secteur du BTP mais la situation reste catastrophique avec des entreprises qui peinent à trouver des banques et des assureurs pour les suivre », constate Georges Naturel sénateur non-indépendantiste (LR) de Nouvelle-Calédonie.
D’un point de vue institutionnel, il n’y a pas non plus d’embellie en vue. Aucun accord n’a été conclu sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie, la semaine dernière, à l’issue de trois jours d’un « conclave » rassemblant les différents courants loyalistes et indépendantistes, organisé dans un hôtel isolé à 2h30 de Nouméa. Depuis les trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui a vu le « non » l’emporter, la situation politique est figée dans l’archipel. L’année dernière, les élections provinciales n’ont pas pu se tenir en raison des violences urbaines menées en réaction au projet de loi constitutionnelle qui visait à élargir le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie avait conduit aux violences insurrectionnelles de mai 2024 avant son abandon conduite par la dissolution.
Quel corps électoral pour les élections provinciales ?
Les élections provinciales, cruciales pour la vie politique locale, car les provinces conditionnent la répartition des sièges au Congrès [le Parlement local], qui détermine ensuite le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, devront pourtant se tenir cette année. Le Conseil d’Etat a fixé la date maximale pour leur tenue au 30 novembre 2025. Rappelons qu’actuellement seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de l’Accord de Nouméa de 1998 peuvent voter aux élections provinciales. Le gel du corps électoral depuis des années a pour conséquence d’évincer de ces élections près d’un électeur sur cinq, ce qui ferait peser un risque d’inconstitutionnalité sur le prochain scrutin.
Or, comme le rappelle Cecile Cukierman, la présidente du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, « les loyalistes comme les indépendantistes ont besoin de légitimité démocratique pour avancer sur l’avenir institutionnel de l’Archipel. C’est pour cette raison que mon groupe a plaidé pour avancer la date du scrutin 6 mois plus tôt. Mais la question du corps électoral aurait surtout dû être traitée dans le cadre d’un accord global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie et non être traitée à part comme l’a fait le gouvernement l’année dernière. On a vu le résultat », souligne-t-elle. « Sans passer par une révision de la Constitution, une loi organique permettrait de d’élargir le corps électoral, mais on va avoir un problème de délai pour faire passer un texte et le décret de convocation des électeurs d’ici le 30 novembre. Les élus actuels sont en place depuis 6 ans alors qu’ils ont été élus pour cinq. Ce sont les prochains qui pourront reconstruire un avenir politique », complète Georges Naturel.
Les négociations sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie ont été relancées début 2025. Plusieurs cycles de discussions ont eu lieu, et Manuel Valls a effectué trois déplacements sur place, parvenant à remettre autour de la table deux camps aux positions difficilement conciliables et qui ne se parlaient plus. Deux projets ont été examinés la semaine dernière. « L’un fondé sur une souveraineté avec la France », défendu par le ministre, et « l’autre basé sur le fédéralisme au sein de la République française », porté notamment par les Loyalistes, l’une des branches des non-indépendantistes.
Mais « aucun projet n’a pu recueillir de consensus », a regretté Manuel Valls. Selon lui, le projet des Loyalistes « mettait en cause l’unité et l’indivisibilité de la Nouvelle-Calédonie », à travers « un projet de partition de fait ».
« On assiste à une radicalisation des Loyalistes »
Le projet présenté par le gouvernement, qui prévoyait une « double nationalité, française de droit et calédonienne », ainsi qu’un « transfert et une délégation immédiate des compétences régaliennes », a suscité l’indignation des non-indépendantistes. Ils estiment qu’il revient de fait à acter l’indépendance du territoire. Dans les colonnes du Figaro, Sonia Backès, la présidente Loyaliste de la Province Sud, juge que Manuel Valls est « disqualifié sur le dossier calédonien » et prévoit des recours « contre le décret de convocation des électeurs », si les élections provinciales se tiennent avec un corps électoral gelé.
« On assiste à une radicalisation des Loyalistes qui préfèrent défendre leurs intérêts plutôt que ceux du peuple calédonien et de la France dans le pacifique », tance Cécile Cukierman. « Manuel Valls est arrivé avec un projet qui n’a pas été préparé en amont, donc ça a bloqué Sonia Backès et Nicolas Metzdorf (député non-indépendantiste) », explique Georges Naturel qui a participé aux négociations. Le sénateur craint que « l’instabilité politique » ne fasse encore trainer le dossier calédonien. Je l’ai dit au président de la République. Le gouvernement nous a abandonné après la dissolution. Et si jamais, ce gouvernement tombe, il faudra peut-être tout recommencer à zéro ».
Un comité de suivi, mis en place par l’État, rassemblant parlementaires, société civile et monde économique, doit permettre de maintenir un cadre de dialogue dans les mois à venir. Au Sénat, « un groupe de contact » a été mis en place par Gérard Larcher. Il rassemble les élus d’Outre-mer et les présidents de groupes, autour du président du Sénat. Manuel Valls rendra compte de la situation devant les sénateurs, mercredi 21 mai à 8h.