Le Premier ministre tente jeudi à Matignon de mettre d'accord les leaders loyalistes et indépendantistes calédoniens sur deux questions très sensibles, la date et l'électorat du prochain référendum sur l'indépendance de l'archipel.
Après le premier référendum d'autodétermination, qui s'est tenu le 4 novembre 2018 et a vu la victoire du "non" (56,7%), le Premier ministre veut que cette deuxième consultation "soit aussi irréprochable que la première", saluée par tous les acteurs politiques et les observateurs.
Le chef du gouvernement veut "trouver un consensus" au sein du Comité des signataires de l'accord de Nouméa, signé en 1998, qui a mis en place un processus de décolonisation par étapes, aboutissement du travail de réconciliation entre les Kanak et les Caldoches, entamé en 1988 avec les accords de Matignon, après les violences des années 1980, qui avaient culminé avec la prise d'otages et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 (25 morts).
La réunion à Matignon a débuté par un volet économique et social, en l'absence d'une partie des indépendantistes, qui ont estimé que cela ne rentrait pas dans le cadre de l'accord de Nouméa.
Pour relancer l'économie calédonienne, en panne, l'Etat a notamment annoncé près de 75,5 millions d'euros supplémentaires aux contrats de développement des collectivités calédoniennes, ainsi que près de 125 millions d'euros de liquidités pour refinancer les banques calédoniennes, en manque d'épargne, a expliqué Thierry Santa, président non indépendantiste (Avenir en Confiance, proche des Républicains) du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, qui a fait part de sa "satisfaction".
Des annonces "pas à la hauteur des enjeux, des attentes et des problèmes", a répondu Philippe Michel, secrétaire général de l'autre parti non indépendantiste (Calédonie Ensemble, centre droit).
L'organisation du second référendum sur l'indépendance, doit avoir lieu d'ici au 3 novembre 2020, avant un troisième possible deux ans plus tard.
C'est à l'Etat de fixer la date de la deuxième consultation, mais le Premier ministre a assuré vouloir le faire "avec le souci du dialogue", alors qu'indépendantistes et non indépendantistes arrivent avec des exigences divergentes.
Convaincus que le temps leur permettra de gagner des voix, les indépendantistes dont le score l'an dernier (43,3%) a largement dépassé les prévisions des sondages, défendent un référendum "le plus tard possible", donc début novembre, selon Pierre-Chanel Tutugoro, de l'Union calédonienne, membre du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste).
A l'inverse, dans le camp non indépendantiste, l'Avenir en confiance veut aller vite, arguant notamment d'une économie locale "dans l'incertitude" en raison de ces échéances électorales. Ils réclament un 2e référendum dès juillet prochain.
- "Cœur nucléaire" -
Mais son rival à droite, Calédonie Ensemble prévient qu'accélérer le calendrier ferait tomber le 3e référendum "en plein cœur de l'élection présidentielle avec des risques majeurs d'instrumentalisation politique nationale du dossier calédonien", explique le député (CE-UDI) Philippe Gomès.
Édouard Philippe a lui aussi reconnu qu'il faudrait "penser à la manière dont le calendrier de ces consultations pourraient se conjuguer avec le calendrier des échéances politiques nationales, car à l'évidence les deux ne sont ni sans lien ni sans impact l'une sur l'autre".
Le Premier ministre doit trancher sur un autre sujet majeur de désaccord, la question du corps électoral pour le référendum, plus restreint que pour les autres élections, et véritable "cœur nucléaire", selon un spécialiste du dossier.
Les indépendantistes refusent notamment que soit reconduite une disposition arrachée de haute lutte avant le premier référendum, portant sur l'inscription d'office des Calédoniens de statut de droit commun (non kanak, ndlr) nés en Nouvelle-Calédonie et pouvant attester de trois ans de résidence. Environ 4.000 personnes seraient concernées.
"Il s'agissait alors d'une mesure exceptionnelle (...) uniquement valable pour le premier référendum", argue le FLNKS, alors que les loyalistes exigent "les mêmes conditions" que celles du premier scrutin.
"Réussir cette deuxième consultation, ça veut dire que nous devons nous reposer sur ce qui a déjà été fait", a dit Édouard Philippe.
Jeudi matin, une centaine de personnalités, écrivains, réalisateurs, ont apporté leur soutien à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, dans une tribune dans Libération.