Emmanuel Macron a-t-il vraiment mis au placard son costume de président jupitérien ? C’est la question que se posent certains sénateurs, dimanche soir, après avoir écouté le chef de l’Etat. Un passage interroge particulièrement : celui sur une nouvelle étape de la décentralisation. En effet, en une minute et trois secondes, au sein des vingt minutes de son discours, il a évoqué un changement de fonctionnement de l’appareil d’Etat.
Trop de concentration des pouvoirs
« Il me reviendra, avec vous, de bâtir de nouveaux équilibres dans les pouvoirs et les responsabilités », a dit le président de la République au cours de son allocution. Selon lui, « l'organisation de l’Etat doit profondément changer. Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris. »
Emmanuel Macron pense alors à toutes les initiatives qui ont été prises dans les départements pendant la crise du Covid-19, appelant à continuer dans ce sens : « Libérons la créativité et l’énergie du terrain », a-t-il dit, « c’est pourquoi je veux ouvrir pour notre pays, une page nouvelle donnant des libertés et des responsabilités inédites à ceux qui agissent au plus près de nos vies ».
Enfin le chef de l’Etat a cité quelques exemples : « Hôpitaux, universités, nos entrepreneurs, nos maires et beaucoup d’autres acteurs essentiels. »
Pour certains sénateurs, cette annonce est confuse : « Très honnêtement, il parle de ‘page nouvelle’ mais il mélange tout : c’est un gloubiboulga complet », réagit le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner. Il ajoute : « Il n’a pas parlé de la loi 3D [du nom du projet de loi de décentralisation porté par Jacqueline Gourault et qui doit être présenté dans les prochains mois, ndlr] : il n’évoque pas l’idée d’une grande loi de décentralisation. »
Prudence chez les sénateurs
Les sénateurs applaudissent la prise de conscience mais restent méfiants. Le patron des centristes à la Chambre Haute explique : « Le principe qui est exprimé est une bonne chose car, jusqu’à présent, nous avons eu une pratique du pouvoir ‘jupitérienne’ et très directive de la part de l’exécutif, qui a souvent enjambé les pouvoirs intermédiaires ». Hervé Marseille, patron du troisième groupe en nombre de sénateurs ajoute : « L’idée que la crise a permis de comprendre que la déconcentration est nécessaire est une bonne chose et le Sénat fera des propositions en ce sens. »
Et le sénateur centriste, membre de la majorité sénatoriale avec les LR, de rappeler que le Sénat plaide pour davantage de décentralisation depuis plusieurs mois, et encore récemment.
Même constat à droite où, là encore, on salue la prise de conscience d’Emmanuel Macron. Philippe Dallier, le vice-président LR du Sénat analyse : « Après trois ans d’un mandat qui a commencé de la pire manière entre l’exécutif et les collectivités territoriales, il est heureux d’entendre du président de la République qu’il souhaite donner davantage de liberté et de responsabilités à ceux qui agissent au plus près du terrain. »
Selon lui, le discours de ce soir est bien une nouvelle étape de franchie. Il ajoute : « Il est clair que globalement la réorganisation des pouvoirs publics est sur la table, et que la déconcentration est à venir. Il est important de la mettre en place car beaucoup après la crise sanitaire qu’on vient de vivre se demandent par exemple à quoi servent les ARS [Agences régionales de Santé, ndlr] ».
Mais les sénateurs à droite ajoutent attendre maintenant les annonces concrètes. « Il n’y avait pas beaucoup de contenu ce soir, c’était un affichage », explique Hervé Marseille avant d’ajouter : « On va voir, l’essai reste à marquer. »
Les sénateurs socialistes « sur leur faim »
Même sentiment chez les socialistes où on ajoute : « Il n’a pas donné de précisions. C’est un petit discours sur le fond, avec des choses bien pensantes, sympathiques, mais sans aucunes précisions. »
Patrick Kanner explique : « Je salue cette annonce à condition qu’on me dise comment ? Quels moyens, quelle place des fonctionnaires ? Parler des services publics et en même temps fragiliser les fonctionnaires en terme de pouvoir d’achat, comme cela a été fait depuis le début du quinquennat, ça ne fonctionne pas. »
Patrick Kanner note également un paradoxe : au moment de plaider en faveur d’une meilleure répartition des pouvoirs, le chef de l’Etat n’a pas cité son Premier ministre, ni aucun de ses ministres. Avec cette allocution, selon lui, « c’est l’isolement du pouvoir. »
Et le signe, selon le président du groupe socialiste, que les annonces présentées en juillet se feront avec un nouveau gouvernement. « Ne pas avoir cité son premier ministre, c’est le signe de la fin des haricots pour Edouard Philippe », conclut Patrick Kanner.