Nouvelles mesures pour le partage de la valeur : l’opposition pointe une « diversion » d’Emmanuel Macron

Nouvelles mesures pour le partage de la valeur : l’opposition pointe une « diversion » d’Emmanuel Macron

Le chef de l’Etat veut que les grandes entreprises qui ont recours aux rachats de leurs actions « distribuent davantage aux salariés », sous forme de participation ou d’intéressement. « C’est quasi méprisant. C’est une blague », dénonce le communiste Fabien Gay. « Pourquoi pas », dit le sénateur LR Jean-François Husson, « mais la réponse n’est pas du tout à la hauteur ».
François Vignal

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Face à la contestation de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a tenté mercredi de reprendre la main, en esquissant la suite d’un quinquennat qui a comme déraillé, ces derniers jours. Employant un vocabulaire auquel on n’est pas habitué chez lui quand il parle d’entreprenariat, il a dénoncé « un peu de cynisme » chez certaines entreprises et a évoqué la nécessité d’« entendre ce besoin de justice ». Pour y répondre, le chef de l’Etat a mis sur la table la question d’une « contribution exceptionnelle » qui vise les entreprises qui font « des profits exceptionnels d’entreprises ». L’idée étant « que leurs travailleurs puissent en profiter ».

27 milliards d’euros de rachats d’actions en 2022

Il a fallu attendre le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, pour faire l’exégèse de la pensée présidentielle. « La proposition du Président, c’est la troisième étape de cette meilleure répartition de la valeur entre le salarié et l’entreprise. Nous voulons que les entreprises qui font du rachat d’actions […] contribuent davantage à la meilleure rémunération des salariés. Nous voulons donc les obliger à distribuer plus d’intéressement, plus de participation, plus de primes défiscalisées, lorsqu’elles font du rachat d’actions », a clarifié le ministre mercredi après-midi, lors des questions d’actualité au gouvernement, au Sénat.

Bruno Le Maire explique que ce sont les entreprises de « plus de 5.000 salariés » qui seront concernées. Soit un nombre de fait assez limité. Plusieurs grandes entreprises françaises ont eu recours dernièrement au rachat d’actions, comme LVMH, BNP Paribas, le constructeur automobile Stellantis ou, l’an dernier, Total Energies, à hauteur de 7 milliards d’euros. Les Echos relèvent que la pratique s’est envolée en 2022, à hauteur de 27 milliards d’euros au total.

« Un mécanisme pour encadrer les rachats d’actions » dans une proposition de loi de la majorité

Au sein de la majorité présidentielle, on planche sur la question plus large du partage de la valeur depuis plusieurs semaines, l’eurodéputé Pascal Canfin étant chargé de mener la réflexion. A l’Assemblée, le député Renaissance, Louis Margueritte, préside avec l’écologiste Eva Sas une mission d’information sur le sujet. « Nous allons discuter avec les partenaires sociaux dans les prochains jours pour voir comment ajouter ce dispositif dans la proposition de loi que nous envisagions de porter prochainement avec les groupes Horizons et Modem », explique aux Echos Louis Margueritte. « Nous allons mettre en place un mécanisme pour encadrer les rachats d’actions pour les grandes entreprises », ajoute dans Le Figaro le député de Saône-et-Loire, « cela passera par la fiscalité et/ou l’exigence d’une contribution exceptionnelle sous forme d’une part d’intéressement ou de participation supplémentaire pour les salariés ».

L’idée de faire profiter les salariés des fortes hausses de profits des grandes entreprises était dans les tuyaux de l’exécutif depuis quelque temps. Le chef de l’Etat avait fait du dividende salarié l’une de ses promesses de campagne. En parallèle, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord le 10 février dernier pour justement renforcer l’attractivité des dispositifs d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié. La première ministre Elisabeth Borne s’est engagée à le retranscrire dans la loi.

« Les rachats d’actions montrent que ces grands groupes ne savent plus quoi faire de ces superprofits »

« Ce sujet des rachats d’action, on le pointe depuis au moins trois ans », réagit ce jeudi le socialiste Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat. « Il y a un vrai sujet, car c’est de l’argent qui ne sert pas à l’investissement, ni aux salariés. Ça n’a qu’un seul but : redonner de manière détournée de la valeur aux actions, aux actionnaires. Car quand on réduit le nombre d’actions, en les rachetant, on majore le rendement des actions, on augmente les dividendes versés », souligne le sénateur PS de la Haute-Garonne. Pour Claude Raynal, « ça démontre l’incapacité de ces grands groupes à mettre des moyens dans l’investissement productif. C’est un peu inquiétant. Et ça montre qu’il y a des superprofits qui arrivent à de tels niveaux qu’on en vient à ne faire qu’une chose, très secondaire et qui n’a pas d’intérêt économique, qui est le rachat d’action ». Dans ces conditions, la taxation des superprofits, défendue notamment par la gauche, « est d’autant moins à écarter qu’on voit que ces grands groupes ne savent plus quoi faire de ces superprofits. Car en gros, c’est ça qui se passe », résume le président de la commission des finances, qui ajoute que « même si ces entreprises ne sont taxées que pour partie, ça peut faire des montants considérables pour l’Etat ».

Quant à l’idée mise sur la table par le gouvernement, Claude Raynal se méfie. « Je le prends comme une annonce. Et avec ce Président, on a des effets d’annonce. Je reste prudent, on verra comment ça se décline. C’est tellement vrai que le ministre Le Maire a essayé de décrypter ce qu’a dit le Président. C’est dire qu’il était peu clair… » raille le sénateur PS, qui s’étonne que le « Président vienne s’immiscer, après coup, dans cette négociation sur le partage de la valeur, alors que nous avons un accord entre le patronat et les organisations syndicales ».

« C’est quasi méprisant. C’est une blague »

Pour le communiste Fabien Gay, l’annonce du chef de l’Etat, « c’est quasi méprisant. C’est une blague… Ça va concerner quelques milliers de salariés en France, alors qu’il y a 24 millions de salariés en France. On a déjà le problème de la prime Macron qui ne concerne que 14 % des salariés. Là, ça ne sera même pas 1 % peut-être. Ce n’est pas ça qui éteindra la colère populaire ». « Personne n’en parlait hier soir », note le sénateur PCF de Seine-Saint-Denis, qui ajoute : « S’ils espéraient faire diversion avec ça, le coup est raté ».

Selon le sénateur communiste, pour « trouver une issue démocratique à la contestation sociale », il faut déjà « retirer la réforme des retraites ». « Après, on discute », lance Fabien Gay, « en associant véritablement les syndicats sur le travail, le partage de la valeur faite par les travailleurs, car ce sont les travailleurs qui créent la richesse, et comment on la répartit mieux, notamment en salaire, et pas en prime ou actionnariat salarié ». Et d’ajouter :

Une hausse des salaires, avec des cotisations sociales, c’est ça qu’il faut. Les gens veulent du salaire, c’est ça qui compte pour les retraites, pas une prime.

Derrière la question des rémunérations, c’est aussi celle de l’échelle des salaires qui se pose. Sur le sujet, le communiste rappelle que son groupe CRCE « a déjà déposé, lors du budget, des amendements, pour avoir une échelle des salaires dans une entreprise, par exemple de 1 à 20. Si on paie quelqu’un 2.000 euros et que le plus gros salaire, c’est 40.000 euros, c’est déjà énorme. Ça fait 480.000 euros par an. Pas besoin d’avoir des patrons qui gagnent 1.200 fois le Smic ».

« Le Président est actuellement sur la défensive. Il est dans un coin du ring et il essaie de trouver une sortie »

A droite, on se méfie aussi au premier abord de l’annonce d’Emmanuel Macron. « Je pense que pour l’instant, tout ça est un vaste rideau de fumée. Le Président est actuellement sur la défensive. Il est dans un coin du ring et il essaie de trouver une sortie. Et il mélange les mots pour que ça percute », réagit le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur du budget au Sénat.

Sur le fond de la mesure qui vise les entreprises qui s’adonnent au rachat d’actions, « pourquoi pas », lance le sénateur de la Meurthe-et-Moselle, « mais la réponse n’est pas du tout à la hauteur des attentes qui de l’opinion ».

Evoquant les « dividendes élevés et les rémunérations qui paraissent exorbitantes », le rapporteur général de la commission des finances du Sénat note que « ces questions sont mondiales. La question de l’imposition se pose différemment et on n’a pas toutes les clefs ». Mais « on a besoin de réinterroger ces modèles économiques, comment on essaie d’organiser la répartition de la richesse entre les dirigeants et les collaborateurs. Il faut remettre de la raison, de la perspective et peut-être un peu réhumaniser ces résultats économiques », tout en souhaitant « que la France reste compétitive ». Jean-François Husson ajoute : « Je suis un libéral. Mais le libéralisme produit tous ses effets quand il y a aussi des outils de régulation. On doit aussi se dire que dans les grands groupes, il faut aussi intégrer plus vite la mutation des enjeux écologiques, dans une démarche de responsabilité sociale et de véritable verdissement ».

« Il n’y a pas que le salaire net. La participation, l’intéressement, les plans d’épargne retraite, c’est important »

Pour le sénateur LR, « on ne peut pas regarder que l’aspect comptable des choses. Les Français attendent de comprendre le sens qui est donné ». Il continue : « Il faut verdir la finance, plutôt que dire que ce ne sont que des affreux qui ne pensent qu’à se goinfrer avec ces profits exorbitants. Et je le dis sans fausse naïveté, mais ce pari, on doit le gagner ».

Pour revenir au partage de la valeur, Jean-François Husson soutient qu’« il n’y a pas que le salaire net. Ce n’est pas que ça. La participation, l’intéressement, les plans d’épargne retraite, tout ça, c’est important ». De quoi peut-être s’entendre ici avec la majorité présidentielle, à nouveau en pleine recherche d’alliés pour tenter de continuer à porter ses réformes. Mais alors que la loi travail, promise par le ministre Olivier Dussopt, est attendue, Jean-François Husson prévient que « s’ils ne changent pas radicalement de méthode, ça va exploser. Maintenant, la balle est dans le camp du président de la République ».

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