La coupe est pleine. Jusqu’ici le Sénat s’était plié à la nécessité d’examiner rapidement les projets de loi durant le confinement : deux sur l’état d’urgence sanitaire et deux budgets rectificatifs. Qualifié de texte « fourre-tout » ou « gloubi-boulga » à cause de la variété des domaines abordés, le nouveau projet de loi, adopté ce 15 mai à l’Assemblée nationale, risque de créer un peu plus de trouble au Sénat. À partir du 26 mai, la Haute assemblée sera amenée à étudier ce texte où, dans sa version initiale, le gouvernement sollicite 33 habilitations supplémentaires à légiférer par ordonnances. Sur des sujets disparates : social, droit du travail ou encore Brexit. Le nombre d'habilitations a finalement été réduit par les députés.
Pour Philippe Dallier, premier vice-président (LR) du Sénat, invité de l’émission Parlement hebdo, la gêne va bien au-delà de la droite ou la gauche. « Il n’y a pas que l’opposition qui a pointé le fait que le recours aux ordonnances devenait excessif. Certains groupes de la majorité l’ont fait. » Certaines demandes sont même loin d’être anodines. « Le gouvernement souhaite qu’il puisse contraindre certains organismes publics à aller déposer leur trésorerie sur des comptes du Trésor. On ne sait pas quels organismes, pour quoi faire, mais on voit bien l’intention. Et le Parlement n’en déciderait pas ? » s’interroge Philippe Dallier.
« Le gouvernement confond vitesse et précipitation, et le Parlement ne l’acceptera pas »
Notant que certaines demandes d’habilitations s’étendent sur une période de 30 mois, le sénateur estime que, sur certains sujets, « on pourrait prendre le temps » d’en débattre au sein des assemblées. « Il y a un moment où le Parlement doit retrouver ses droits […] Le gouvernement confond vitesse et précipitation, et le Parlement ne l’acceptera pas. Le gouvernement va trop loin, et d’ailleurs même sa majorité à l’Assemblée réagit. »
Dans ses remarques, Philippe Dallier alerte sur les répercussions fâcheuses que pourrait avoir cette méthode de travail. « On écrit la loi, elle s’applique à tous les Français. Si on se trompe, ça peut avoir des conséquences importantes. Le gouvernement ferait bien de s’en souvenir. »
Le vice-président du Sénat estime qu’il faudra aussi tirer une leçon de l’épisode de la loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui n’a pas pu être promulguée à temps le 11 mai (relire notre article). Ce vide juridique qui s’était installé, avant que le Conseil constitutionnel ne valide l’essentiel de la loi, aurait pu être évité, selon le sénateur, si le gouvernement avait accordé davantage de temps aux parlementaires. « Il faut que ça s’arrête, que l’on retrouve des délais corrects. »