Nucléaire : après l’abandon du projet Astrid, des parlementaires s’alarment de l’image « écornée » de la France à l’international
Dans son dernier rapport, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) évalue les conséquences de l’abandon en 2019 par la France du déploiement de réacteurs de quatrième génération. Et s’inquiète de ses effets sur la recherche nucléaire française.

Nucléaire : après l’abandon du projet Astrid, des parlementaires s’alarment de l’image « écornée » de la France à l’international

Dans son dernier rapport, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) évalue les conséquences de l’abandon en 2019 par la France du déploiement de réacteurs de quatrième génération. Et s’inquiète de ses effets sur la recherche nucléaire française.
Public Sénat

Par Jules Fresard

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Quel est le point commun entre Henri Becquerel, Marie et Pierre Curie ou encore Paul Villard ? En plus d’être de brillants physiciens dont les travaux ont permis des avancées majeures dans le domaine du nucléaire, ils étaient également tous Français. Illustrant les apports des scientifiques hexagonaux dans ce domaine, comme a tenu à le souligner Stéphane Piednoir, sénateur Les Républicains membre de l’OPECST, qui présentait mercredi 21 juillet le dernier rapport de l’office interparlementaire.

Ce qui lui fait d’autant plus regretter le report d’ici « la fin du siècle » annoncé en août 2019 du « projet Astrid », dont l’objectif était de déployer sur le territoire national des réacteurs de quatrième génération, dont aucun pays n’est actuellement doté. Son rapport, coécrit avec le député Thomas Gassilloud, vient explorer les conséquences de cet abandon, et s’interroge sur « l’énergie nucléaire du futur ».

Un projet répondant à « trois enjeux majeurs »

Astrid, c’est un sigle pour Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, aussi complexe que la technologie qu’il nomme. Annoncé par le Commissariat à l’énergie atomique au début des années 2010, il avait pour objectif d’initier un nouveau prototype de réacteur nucléaire, en utilisant le sodium comme liquide de refroidissement. Le lieu de déploiement avait d’ailleurs déjà été trouvé, en la centrale nucléaire de Marcoule, dans le Gard.

Un projet d’autant plus ambitieux qu’il aurait permis à la France de se doter d’un des tout premiers réacteurs de quatrième génération. Ces derniers ont pour objectif d’imaginer les centrales de demain, plus économes, plus sûres et produisant moins de déchets. L’EPR de Flamanville, dont la mise en service est continuellement décalée du fait de plusieurs malformations recensées, dont certaines très récemment, s’inscrit lui uniquement dans la troisième génération de réacteurs.

Mais voilà. A la suite de contraintes budgétaires notamment, le Commissariat à l’énergie atomique fait savoir en août 2019 que le projet Astrid est pour le moment abandonné, avant au moins « la fin du siècle ». Un retour en arrière dommageable pour Stéphane Piednoir, qui mercredi 21 juillet a évoqué un projet qui serait venu répondre à « trois enjeux majeurs ».

« D’abord, il répondait à la question de l’indépendance énergétique. Ensuite, il aurait permis une meilleure gestion des déchets radioactifs, puisqu’il aurait exploité de l’uranium recyclé. Enfin, c’était une préservation des acquis de la recherche, puisqu’Astrid prenait le relais de 60 années de travaux scientifiques » a détaillé le sénateur, professeur de mathématique de formation.

Et qui vient interroger les capacités futures de la France

Pour Stéphane Piednoir comme Thomas Gassilloud, les conséquences de cet abandon, « notifié uniquement par un article de presse » et en « absence d’association avec le Parlement », sont particulièrement dommageables.

D’abord, de par les signaux qu’il renvoie du pays. « L’image de l’industrie nucléaire française dans le monde en ressort écornée. C’est une annonce soudaine qui a semé le doute sur la cohérence de la démarche française. Nous risquons d’être perçus comme peu fiables, notamment par les Japonais qui étaient liés à Astrid », détaille Stéphane Piednoir.

De la même manière, la mise de côté du projet aurait de lourdes conséquences concernant la recherche française dans le domaine. « C’était un projet phare en recherche et développement, et son abandon a eu un impact négatif sur les étudiants. Nous risquons de perdre l’acquis de 70 années de recherche, alors qu’ils nous semblent qu’il s’agissait d’un projet fédérateur », a continué le sénateur.

Inquiétudes autour de la gestion des déchets

Autre effet négatif, plus inquiétant, les doutes que cet abandon sème sur le traitement des déchets radioactifs. Car comme l’avait rappelé en avril lors de son audition au Sénat Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, « depuis 2010, on sait qu’en 2030 les piscines de La Hague seront remplies. Les plans qu’on prévoit en ce moment visent 2034. Il faudra donc trouver des parades pendant quatre ans ».

Or, le déploiement du projet Astrid, dont la mise en route était initialement prévue à la fin de l’année 2020, aurait permis de retraiter une partie des déchets nucléaires, en exploitant de l’uranium recyclé. Réduisant ainsi la quantité de déchets à stocker. « La suspension d’Astrid ne dit rien de ce que l’on propose à la place, qui permettrait de répondre aux impératifs de stockage. Pour l’instant, je ne peux toujours pas vous dire comment nous allons va faire », se sont inquiétés les parlementaires auteurs du rapport.

Des propos qui viennent donc s’inscrire dans la lignée de ceux tenus par le président de l’Autorité de sûreté du nucléaire, et qui illustrent la situation à flux tendu dans laquelle la France évolue concernant la gestion de ses déchets nucléaires. De quoi faire craindre qu’au pays de Marie et Pierre Curie, cette énergie devienne un fardeau. Et nul doute que la publication annoncée du rapport fait au nom de l’OPECST par Émilie Cariou et Bruno Sido, dédié à la « gestion des déchets et matières radioactifs », viendra remettre le doigt sur ces inquiétudes.

Partager cet article

Dans la même thématique

SIPA_01059366_000001
7min

Politique

Bataille audiovisuel public/médias Bolloré : « Ce n’est pas la gauche contre la droite, mais un modèle démocratique contre un modèle illibéral »

Le paysage audiovisuel français est en train de se fracturer en deux blocs. L’animateur vedette, Pascal Praud a accusé la patronne de France Télévision, Delphine Ernotte de mettre « une cible » sur les journalistes sa chaîne, après que cette dernière a qualifié CNews de « chaîne d’extrême droite ». A moins de deux ans de l’élection présidentielle, l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, subit une pression inédite. Son président, Martin Ajdari sera, auditionné dans quelques jours au Sénat.

Le

Nucléaire : après l’abandon du projet Astrid, des parlementaires s’alarment de l’image « écornée » de la France à l’international
5min

Politique

Mobilisation du 18 septembre : « Soit une politique de rupture est menée, soit on continue à mettre la pression »

A l’appel de l’intersyndicale, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue partout en France pour protester contre le projet de budget pour 2026. Dans le cortège parisien, les manifestants, pas convaincus par la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, sont déterminés à maintenir la pression sur l’exécutif. Reportage.

Le

SIPA_01229633_000009
1min

Politique

Info Public Sénat. Bataille audiovisuel public/médias Bolloré : une délégation de sénateurs LR reçue à Radio France le 30 septembre

Alors que le ton se durcit entre les dirigeants de l’audiovisuel public et la chaîne CNews de Vincent Bolloré, qualifiée « d’extrême droite » par Delphine Ernotte, une délégation de sénateurs LR sera reçue par la patronne de Radio France Sibyle Veil le 30 septembre. Le 1er octobre, le président de l’Arcom, Martin Ajdari sera, lui, auditionné par la commission de la culture et de la communication de la chambre haute.

Le