C’est un sujet de consensus, mais non exempt d’enjeux techniques et juridiques dont s‘est emparé le Sénat jeudi matin. La proposition de loi de la sénatrice centriste, Catherine Morin-Desailly portant sur « l’exposition excessive et précoce aux écrans et méfaits des réseaux sociaux » a été adoptée à l’unanimité.
Bien que la régulation du numérique soit de la compétence de l’Union européenne et régie notamment par le Digital Services Act (DSA), qui impose aux plateformes de plus de 45 millions d’utilisateurs de prendre des mesures pour atténuer les risques liés à la protection des mineurs en ligne, la sénatrice a néanmoins souhaité compléter « l’édifice juridique européen et national ». L’élue a mis en avant la nécessité de « combattre les effets négatifs sur les enfants et les adolescents du développement de cet écosystème numérique et de ses technologies ».
Plus de 15 heures sur les écrans par semaine
Selon l’étude « Junior Connect’ » de 2017, les 13-19 ans étaient connectés en moyenne 15h11 par semaine, soit 1h30 de plus qu’en 2015. Les 7-12 ans passent en moyenne 6h10 sur le web par semaine, soit 45 minutes supplémentaires par rapport à 2015 et les 1-6 ans 4h37, soit 55 minutes supplémentaires par rapport à 2015.
Catherine Morin-Desailly a estimé « qu’il y avait urgence à légiférer étant donné les risques sanitaires « de cette surconsommation d’écrans : trouble du sommeil, affection des yeux, risque de surpoids, retard d’acquisition, trouble de langage et d’écriture ou encore le renforcement de l’anxiété et de la dépression pour les utilisateurs des réseaux sociaux.
Un constat partagé sur l’ensemble des bancs du Sénat. Le ministre de l’Education nationale, Édouard Geffray a listé les trois priorités du gouvernement en la matière : limiter l’exposition, éduquer au bon usage des écrans et proposer des alternatives sociales. Un sujet dont s’est aussi emparé Emmanuel Macron qui s’est lancé dans un tour de France avec l’appui de la presse quotidienne régionale pour imposer dans le débat public jusqu’à la prochaine élection présidentielle, le thème de l’impact négatif des réseaux sociaux.
Prévention, sensibilisation aux effets nocifs
La proposition de loi du Sénat dispose d’un volet préventif. Son article 1er instaure une formation des professionnels de santé et du secteur médico-social ainsi que des professionnels de la petite enfance aux risques associés à l’exposition aux écrans. Il prévoit aussi l’obligation d’inscrire des messages de prévention des risques de cette exposition des enfants sur les emballages des outils numérique, téléphones, tablettes.. Un amendement du groupe écologiste prévoit même une amende pour les commerçants qui ne respecteraient pas l’obligation. L’amendement a été adopté avec un avis défavorable du gouvernement. La ministre de la Santé, Stéphanie Rist a invoqué le risque d’inconstitutionnalité.
Alors qu’Emmanuel Macron a récemment évoqué son intention d’interdire le téléphone portable dans les lycées, le texte vise à ce que le règlement de chaque établissement scolaire public précise les modalités d’utilisation des écrans par l’ensemble des membres de la communauté éducative. Mais aussi, qu’il détermine la politique les actions menées par l’établissement auprès des élèves, des professionnels et des parents en matière de sensibilisation aux effets nocifs des écrans et au caractère addictif des réseaux sociaux.
Une proposition adoptée en 2023, mais jamais appliquée
Le point fort de la proposition de loi provient d’un amendement de Catherine Morin-Desailly visant à instaurer une majorité numérique à 13 ans. L’amendement prévoit que les mineurs ayant entre 13 ans et 16 ans devront recueillir l’autorisation parentale pour leur inscription sur un réseau social. Pour mémoire, promulguée en 2023, la loi du président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, Laurent Marcangeli imposait déjà aux réseaux sociaux de refuser l’inscription aux enfants de moins de 15 ans, sauf si un des parents donne son accord. Mais le texte n’a jamais été appliqué en raison de son articulation avec le droit de l’Union européenne.
L’article 8 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) prévoit que « le traitement des données à caractère personnel relatives à un enfant est licite lorsque l’enfant est âgé d’au moins 16 ans », tout en laissant la possibilité de prévoir un âge compris entre 13 et 16 ans. Les difficultés sont ici d’ordre technique, le choix du système de vérification de l’âge, et d’ordre politique avec l’enjeu de l’harmonisation au niveau européen de l’âge minimum. En Allemagne ou aux Pays-Bas, cette majorité numérique pour le consentement a été fixée à 16 ans. De nombreux Etats, comme la Belgique ou les pays nordiques ont opté pour 13 ans.
Le Parlement européen a voté fin novembre une résolution en faveur d’un âge minimal à 16 ans pour l’accès aux réseaux sociaux et les outils IA. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen, a lancé une réflexion sur l’opportunité de mettre en place une harmonisation à l’échelle de toute l’UE. Un panel d’experts doit lui remettre des recommandations d’ici à la fin de l’année, en attendant le futur Portefeuille d’Identité Numérique Européenne. L’identité numérique que tous les États membres seront obligés de fournir à leurs citoyens à partir de novembre 2026.
Le ministre de l’Education nationale a émis un avis défavorable à cet amendement, même si le gouvernement « partage » son objectif. Il a rappelé la position du chef de l’Etat qui a promis la semaine dernière un texte pour interdire les réseaux sociaux aux mineurs de moins de « 15 ou 16 ans » avant la fin de son mandat.
Le Sénat appelle le gouvernement à s’emparer de son texte
« Le seuil de 13 ans nous paraît insuffisant pour protéger la santé physique ou psychique des enfants », a-t-il estimé rappelant que le choix de l’exécutif était de 15 ans. Toutefois, un projet de loi du gouvernement est en préparation et sera déposé « au mois de janvier » et « rédigé de manière à être pleinement opérant et conforme au droit européen », a-t-il ajouté.
L’amendement de Catherine Morin-Desailly a reçu le soutien de tous les bancs du Sénat. « Nous avons travaillé ce sujet avant qu’il (le chef de l’Etat) décide de faire une annonce supplémentaire », a fait valoir le sénateur LR, Max Brisson qui a appelé à ce que la proposition soit retravaillée lors de la navette parlementaire.
A gauche, la sénatrice socialiste Sylvie Robert a aussi rappelé que la proposition d’instaurer une majorité numérique était un « engagement de longue date du Sénat ». Elle a appelé le gouvernement à reprendre le texte de Catherine Morin-Desailly comme véhicule législatif.
Après le vote, le président centriste de la commission de la culture, Laurent Lafon a fait lui aussi un appel du pied arguant qu’il ne restait plus qu’une lecture à faire à l’Assemblée. « Il y a une opportunité à se saisir d’un texte qui a fait, pour partie, le parcours plutôt que d’en ajouter un autre ». Il précise enfin qu’en cas de dépôt d’une loi spéciale sur le budget, le temps législatif sera restreint en début d’année prochaine, car le Parlement devra de nouveau se pencher sur le projet de loi de finances.