Le Rassemblement national veut se montrer serein à trois jours d’une journée clé pour l’avenir de sa triple candidate à l’élection présidentielle. C’est ce lundi 31 mars que Marine Le Pen sera fixée sur son sort dans l’affaire de soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires d’eurodéputés RN, et par ricochet sur son avenir politique à court terme, dans la perspective de l’élection de 2027.
Il existe en effet une possibilité que la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale soit dans l’incapacité de se présenter, si le juge du tribunal correctionnel de Paris décidait de suivre les réquisitions du parquet. Au terme de deux mois de procès cet automne, les procureurs avaient requis à l’encontre de l’ancienne dirigeante du parti une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est-à-dire avec application immédiate même en cas d’appel, mais aussi cinq ans de prison dont deux fermes (une peine aménageable), et 300 000 euros d’amende.
Outre Marine Le Pen et le parti, une vingtaine d’autres élus et cadres du RN son également poursuivis par la justice. Ils sont soupçonnés d’avoir mis en place un « système » pour « vider » les enveloppes auxquelles les députés européens avaient droit, pour rémunérer des assistants parlementaires « fictifs », alors que ces personnes travaillaient pour le parti. Le parquet accuse le parti d’avoir utilisé ces fonds européens pour « soulager les finances » du parti. Le préjudice est estimé à 4,5 millions d’euros et le parquet considère que le caractère « organisé » de ce mécanisme s’est « renforcé » quand Marine Le Pen a pris la tête du parti à partir de 2011.
« C’est ma mort politique qu’on réclame », dénonçait Marine Le Pen
Clamant son innocence, Marine Le Pen s’est notamment insurgée contre l’éventualité d’une exécution immédiate de la peine d’inéligibilité, qu’elle considérait alors comme une « décision profondément antidémocratique ». « Je pense que la volonté du parquet est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu’ils souhaitent », avait-elle dénoncé. Et d’ajouter : « C’est ma mort politique qu’on réclame ».
Ce vendredi, la décision du Conseil constitutionnel au sujet d’une question soulevée par un élu local mahorais, lui-même déclaré démissionnaire par un préfet, avant même une décision judiciaire définitive, ne devrait pas bouleverser les choses pour Marine Le Pen (voir notre article). Les Sages, qui n’ont pas contesté le principe d’une exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, ont toutefois assorti leur décision d’une réserve d’interprétation. Ils indiquent qu’il « revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
La récente décision du Conseil constitutionnel « semble favorable » à Marine Le Pen, estime un eurodéputé
Ce rappel du Conseil constitutionnel rassure toutefois quelques élus du parti. L’eurodéputé Gilles Lebreton estime que ce commentaire « semble favorable » à Marine Le Pen. « Rien de nouveau sous le soleil du droit », estime de son côté le député Hervé de Lépinau, avocat de profession.
« Le Conseil constitutionnel met un élément de plus dans la balance. Quel juge pourrait ne pas avoir conscience de cela ? », observe également Joshua Hochart. Optimiste sur l’issue de lundi, le sénateur RN du Nord affirme par ailleurs que le parti n’a élaboré aucune stratégie de communication, ni dans le cadre du groupe parlementaire, ni en bureau exécutif, si le jugement devait être défavorable à Marine Le Pen. « On est très sereins. Nous faisons confiance à la justice de notre pays. Marine Le Pen en a vu d’autres. Elle a nous répété qu’il fallait avoir le calme des vieilles troupes », témoigne le sénateur.
À trois jours de la décision du tribunal, le RN oscille entre un mélange de retenue – avec une communication a minima – et de confiance. De nombreux parlementaires n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. « On attend cette décision sereinement. On considère ce combat juridique comme un élément du combat politique mené contre nous depuis toujours. Mais tout cela n’a jamais fait reculer le vote d’adhésion au RN », nous assurait la semaine dernière un proche de Marine Le Pen. Ce parlementaire indique que l’ancienne candidate à l’Élysée est « plus déterminée » que jamais mais qu’elle a toutefois été « ébranlée » par les réquisitions. « Elle ne s’imaginait pas qu’un jour on pourrait requérir de la prison ferme contre elle », poursuit-il.
« Si ce n’est pas un procès politique, les choses devraient bien se passer »
« Nous sommes confiants », fait savoir l’ancien eurodéputé Jean-Lin Lacapelle. « Ce n’est pas aux magistrats de décider qui doit être candidat ou qui ne doit pas l’être, cela s’appelle la démocratie. Ce serait une grave atteinte à la démocratie, s’il y avait une exécution provisoire. Si ce n’est pas un procès politique, les choses devraient bien se passer », veut croire ce membre du bureau national.
Dans le réquisitoire, la peine d’inéligibilité était attendue car elle est obligatoire pour le détournement de fonds publics, l’accusation dont fait face Marine Le Pen. L’exécution provisoire l’a été beaucoup moins. Visiblement, le scénario d’une inéligibilité avec application immédiate ne fait pas partie des scénarios sur lesquels a travaillé le parti. « La question ne se pose même pas », insiste Joshua Hochart.
L’idée d’un éventuel plan B en cas d’inéligibilité en 2027 est pour l’heure inenvisageable dans l’équipe rapprochée de Marine Le Pen. Un proche confie : « Ça n’est pas dans la stratégie de Marine Le Pen de se prêter à des échéances et de faire de la politique-fiction. Ça ne sert à rien de déployer une stratégie de long terme, car elle finit toujours par être bousculée par le réel. En ce moment, Marine Le Pen nous dit toujours : ‘L’artichaut se mange feuille à feuille’. Donc à chaque jour sa feuille. »
Une chose est certaine à ce stade : il y aura appel, « même s’il s’agit d’une peine d’inéligibilité sans exécution provisoire », poursuit ce député.