Paris: Les Republicains Hold Strategic Committee Meeting After PM Lecornu’s Resignation
JEANNE ACCORSINI/SIPA

« On sent que la pleine Lune approche, tout le monde est devenu fou » : récit d’une journée intense pour les LR, après la démission de Sébastien Lecornu

Les LR étaient prêts à claquer la porte du gouvernement, mais Sébastien Lecornu les a devancés, en annonçant par surprise sa démission. Bruno Retailleau lui reproche d’avoir « caché qu’il y avait la nomination de Bruno Le Maire ». « Cette démission est le résultat de notre colère », assume le sénateur LR Max Brisson. Mais nouveau coup de théâtre en fin de journée : Emmanuel Macron charge Sébastien Lecornu de mener « d’ultimes négociations »…
François Vignal

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« On sent que la pleine Lune approche, tout le monde est devenu fou ». Le sénateur LR, Roger Karoutchi, résume la surprise générale, ce lundi matin, après l’annonce de la démission de Sébastien Lecornu. Un nouveau choc, qui enfonce un peu plus la France dans la crise politique. Mais le coup de pression des dernières heures des LR y est en partie pour quelque chose.

« C’est au-delà de tout »

Tout va trop vite. Le moteur des institutions semble s’emballer, s’approchant de la rupture. « On n’a jamais vu ça sous la VRépublique. On n’a jamais vu un premier ministre démissionner avant sa déclaration de politique générale », rappelle le sénateur LR des Hauts-de-Seine. Du côté de l’Elysée, on prend acte de la décision du premier ministre. « Il estime que c’est son devoir compte tenu de l’effritement du socle », écrit un conseiller du Château. Gabriel Attal, secrétaire général de Renaissance, dénonce auprès de ses députés le « spectacle affligeant » donné par l’ensemble de la classe politique. L’UDI, présidé par le sénateur Hervé Marseille, claque aussi la porte. « Ils ont réussi à décontenancer Hervé Marseille. Pour qu’il fasse un communiqué de quatre lignes pour dire, « on se casse », c’est assez fort ! » raille un sénateur du socle. Mais comment cette majorité très relative a-t-elle explosé en vol ?

On rembobine de quelques heures : dimanche après-midi, les LR se retrouvent autour de leur chef, Bruno Retailleau, pour une énième réunion exceptionnelle en visio pour savoir s’il faut entrer au gouvernement ou pas. La ligne du maintien au gouvernement l’emporte très largement, malgré l’opposition de Laurent Wauquiez, qui doit savourer sa revanche aujourd’hui. Deux heures plus tard, vers 20 heures, la liste du gouvernement Lecornu tombe. Beaucoup de Renaissance, peu de LR et le retour de Bruno Le Maire, aux Armées. La douche froide pour les LR. Le patron du parti lâche à 21h22 dans un message laconique sur X : « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise. Devant la situation politique créée par cette annonce, je convoque demain matin le comité stratégique des Républicains ». Ce qui a été perçu comme un « grand retour des macronistes » n’est pas passé. « C’est au-delà de tout », soutient Roger Karoutchi.

« On promet une rupture et on se retrouve avec des chevaux de retour », dénonce Bruno Retailleau

Forêt de journalistes devant le siège des LR ce matin. A la sortie, le ministre toujours démissionnaire de l’Intérieur sort et file à TF1 pour faire le journal de 13 heures. En plateau, il balance ce que ses troupes confient à la presse depuis ce matin. « Hier, j’ai été reçu une heure trente dans le bureau de Sébastien Lecornu, quelques minutes avant que la composition du gouvernement ne soit donnée. Jamais il ne m’a dit… Il a caché qu’il y avait la nomination de Bruno Le Maire. Donc un problème de confiance. Quand on est dans une équipe, on a besoin de confiance. Les valeurs de la vie politique devraient être les valeurs de la vraie vie », lance Bruno Retailleau, qui ajoute : « On promet une rupture et on se retrouve avec des chevaux de retour ». L’ancien président du groupe LR du Sénat souligne que l’ex-ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, nommé aux Armées, est « associé » à la situation des comptes publics, avec « mille milliards de dettes ». « Pas de confiance, pas de rupture, qu’est-ce qu’on peut faire ? Ce gouvernement concentrait toutes conditions pour être censuré », pense Bruno Retailleau.

Répondant à Sébastien Lecornu, qui a lâché qu’« il faut toujours préférer son pays à son parti », le président des LR rétorque : « Je fais le choix du pays. Je ne m’accroche pas à un poste, à un fauteuil. Je veux servir mon pays mais pas dans n’importe quelle condition ». Malgré le clash, il précise : « Nous ne basculons pas dans l’opposition ».

« Il n’y a rien de pire que le type honnête qui se fait couillonner »

Pour les soutiens du patron des LR, il n’y avait pas le choix. « A force de penser que les partenaires sont des sous-fifres, Bruno Retailleau a fort heureusement réagi, car la confiance était rompue », affirme le sénateur LR Max Brisson, qui ajoute : « Onze Renaissance sur dix-huit ministres, c’est de la provocation. Et le retour de Bruno Le Maire, c’est aussi de la provocation. Ce gouvernement foulait aux pieds la confiance qu’on était prêt à lui accorder ».

Une crise qui était en germe, quand on connaît le déroulé de la fin de journée de dimanche. Après la visio des LR, Bruno Retailleau demande à Sébastien Lecornu de parler du casting du gouvernement. Il lui répond « je te rappelle, j’écris ma DPG », selon l’entourage du ministre. Mais il ne le rappelle pas. Bruno Retailleau s’invite alors à Matignon. 1h30 d’entretien sur le casting. Il le prévient : trop de Renaissance et pas assez de LR et lui demande qui sera aux Armées. « Je ne sais pas encore, c’est le choix du Président », élude le premier ministre, selon l’entourage du ministre. Le patron des LR apprend finalement la nouvelle à la télévision… Commentaire d’un cadre dirigeant des LR, tendance Retailleau : « Il n’y a rien de pire que le type honnête qui se fait couillonner ». « Je pense que Macron ne se rend pas compte. Ils ont dû se dire que ça passera, que c’était verrouillé », ajoute le même.

« Bruno Le Maire, c’est le retour de l’homme qui a méprisé le Sénat »

Pour bien comprendre la réaction épidermique des sénateurs et de Bruno Retailleau, face à la nomination de l’ex-ministre de l’Economie, il ne faut pas oublier que c’est aussi l’ancien président du groupe LR du Sénat qui parle. On sent que Bruno Le Maire paie pour l’ensemble de son œuvre vis-à-vis de la Haute assemblée. « Bruno Le Maire fait partie des ministres macronistes qui ont constamment méprisé le Sénat. A 19h50, je peux vous dire que la réaction des sénateurs, y compris ceux qui ont plaidé pour aller au gouvernement, était courroucée. C’est le retour de l’homme qui a méprisé le Sénat, qui a été désinvolte avec le Sénat, en faisant le service minimum », dénonce Max Brisson.

Depuis 2017, les relations entre le ministre et les sénateurs LR ont en effet été particulièrement houleuses, avec pour acmé la commission d’enquête du Sénat sur le dérapage des comptes publics en 2024. Le rapporteur de la commission des finances, Jean-François Husson, avait fait de Bruno Le Maire le responsable – derrière Emmanuel Macron – de l’état calamiteux des comptes. Des attaques que l’ancien ministre de l’Economie n’avait pas supportées. Il avait dénoncé « un réquisitoire d’opposants politiques, truffé de mensonges ». Bref, les deux Bruno n’allaient pas partir ensemble en vacances… et encore moins se retrouver ensemble dans le même gouvernement et se retrouver dans la même salle tous les mercredis au Conseil des ministres.

En démissionnant, Sébastien Lecornu permet aux LR de ne pas avoir à se prononcer sur leur maintien au gouvernement. Partir en raison du retour de Bruno Le Maire, et de la non-nomination de certains LR, aurait été difficile à défendre. Mais aujourd’hui, on assure que la réunion allait « certainement vers la démission des ministres LR », pense un parlementaire.

« Depuis 16 mois, c’est du grand n’importe quoi »

Si chacun se renvoie la balle, reste que les LR ont une responsabilité dans la chute du gouvernement Lecornu, en moins de 24 heures, alors que les mêmes expliquaient la veille repartir pour un tour au nom de la nécessaire stabilité… Les intéressés le reconnaissent. « Cette démission est le résultat de notre colère. Mais la censure couvait », assume Max Brisson, qui rappelle que « pour rompre, il faut un motif. Sébastien Lecornu nous l’a offert en nous méprisant ».

Un soutien du ministre de l’Intérieur confirme que le premier ministre a démissionné, notamment, à cause des LR. « Oui, je pense. Il s’est rendu compte que c’était ingérable. A partir du moment où Bruno Retailleau convoquait un comité stratégique ce matin, il a compris », analyse ce responsable du parti.

On ne sait pas si le chef de l’Etat est amateur de Gilbert Bécaud, mais « maintenant, que va-t-il faire ? C’est ça le sujet », comme le demande Roger Karoutchi, car « franchement, cinq premiers ministres en 2 ans, ça devrait suffire ». « Je ne vois pas ce qu’il peut faire d’autre que dissoudre », imagine l’ancien ministre, qui ajoute : « Depuis 16 mois, c’est du grand n’importe quoi, donc à un moment donné il faut redonner la parole au peuple. A moins qu’il quitte ses fonctions et provoque une présidentielle, qui serait une solution de redémarrage. Mais je n’y crois pas ».

Emmanuel Macron prendra « ses responsabilités » si les « ultimes négociations » de Sébastien Lecornu échouent

Mais en fin d’après-midi, nouvel épisode de cette journée rocambolesque : Bruno Le Maire annonce refuser d’être ministre des Armées. « Je souhaite que cette décision permette la reprise des discussions en vue de former un nouveau gouvernement, dont la France a besoin », avance le futur ex-ministre. Quasiment au même moment, on apprend que Sébastien Lecornu est reçu en fin de journée par le président LR du Sénat, Gérard Larcher, après avoir été reçu par Emmanuel Macron… La chanson de Bécaud se termine par « et maintenant, je n’ai plus rien à faire ».

A moins… qu’il renomme Sébastien Lecornu, l’épine Le Maire étant levée ? C’est bien l’idée du chef de l’Etat. On apprend finalement au bout de ce jour sans fin, via BFMTV, qu’Emmanuel Macron donne à Sébastien Lecornu « la responsabilité de mener, d’ici mercredi soir, d’ultimes négociations afin de définir une plateforme d’action et de stabilité pour le pays ». En cas d’échec, il « prendrait ses responsabilités ». La pleine lune, c’est ce soir, à 22h47.

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