Auditionnés devant la commission de la culture du Sénat, le directeur général de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner et le directeur général adjoint, Martin Adjari n’ont pas caché leurs inquiétudes quant à l’avenir immédiat de cette institution « où le financement public est largement inférieur à 50% ».
Un modèle économique qui ne peut pas « supporter des crises sociales ou des crises sanitaires »
Stéphane Lissner, qui quittera ses fonctions à la fin de l’année, a d’abord fait le bilan économique de ces derniers mois. « Depuis le 5 décembre (date de la mobilisation contre la réforme des retraites NDLR), on vit une période très grave qui a créé des déficits importants (…) C’est d’autant plus dommageable qu’avant le 5 décembre, on avait une année 2019 exceptionnelle » a-t-il regretté, avant d’assurer que le modèle économique de l’Opéra de Paris ne pouvait « pas supporter des crises sociales ou des crises sanitaires comme on vient de les connaître ».
« On a dû annuler presque tous les spectacles de début mars jusqu’à juillet. Puis, face aux incertitudes de la rentrée, on a dû anticiper des travaux prévus en 2021 (…) ça conduit à une annulation presque complète de tous les spectacles entre mars et la fin novembre à Bastille et la fin de l’année à Garnier. Et comme on a besoin de jouer pour couvrir les frais fixes (…) On va finir l’année 2020 avec une perte de l’ordre de 45 millions d’euros » a résumé Martin Adjari.
Avant la crise de la Covid-19, le personnel de l’Opéra de Paris avait fait une grève remarquée contre la réforme des retraites. « On pouvait éventuellement comprendre une réaction forte de l'ensemble des syndicats et des personnels parce qu’on mettait fin à une caisse de retraite qui existait depuis 350 ans. Au fond, l'État n'a pas été au rendez-vous en proposant un projet alternatif à cette annulation de cette caisse (…) Par contre nous, en tant que dirigeants, on a eu plus de mal à comprendre que les grèves ont continué au mois de janvier alors que l’ensemble du pays, SNCF, RATP reprenait leur cours ». À noter que les danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris bénéficient d’un régime de retraites qui leur permet de partir à 42 ans avec une pension en moyenne de 1200 euros par mois. « D’après toutes les projections que nous avons faites, j’ai bien peur que le changement de ce système remplacé par un autre, doive coûter aussi cher » a estimé le directeur général.
« Un ensemble de mécènes intermédiaires ont tendance à se replier »
L’Opéra de Paris est dans une situation d’autant plus compliquée, qu’en tant qu’établissement public, il n’a pas bénéficié d’aide de l’État. « L’État a considéré qu’il fallait d’abord soutenir les structures privées dont l’existence était directement menacée. Ça peut s’entendre pendant quelques semaines, quelques mois. Mais à un moment donné, il faut savoir où on va » a plaidé Martin Adjari. De plus, au vu du contexte économique, « un ensemble de mécènes intermédiaires ont tendance à se replier ». « Les entreprises moyennes hésitent à investir à un moment où elles doivent demander des efforts à leurs salariés (…) Il y a à peu près un tiers des recettes de mécénat qui vont diminuer en 2020 » a-t-il ajouté.
La présidente centriste de la commission de la Culture, Catherine Morin-Desailly a quant à elle rappelé que les mesures de chômage partiel ne s’appliquaient pas aux établissements publics. « J’ai écrit à Roselyne Bachelot, je lui ai dit à l’oral que ce n’est pas tenable. Il y a beaucoup d’Opéras en France qui fonctionnent comme des établissements publics de coopération culturelle qui vont se trouver dans de grandes difficultés » s’est-elle alarmée.
Dans le contexte sanitaire actuel, comment continuer de rassembler le public à l’Opéra Bastille (2700 places) ou l’Opéra Garnier (2000 places) ? « Comment allez-vous retrouver cette confiance dans le public » a demandé la vice-présidente PS de la commission de la Culture, Sylvie Robert.
« On ne peut pas jouer 'La Traviata' sans entracte »
« On a un problème qui va se poser à la rentrée, l’Opéra ne peut pas se jouer sans l’entracte. On ne peut pas jouer 'La Traviata' sans entracte. Ensuite dans le respect des gestes barrières, aujourd’hui, le cœur ne peut pas fonctionner sur la scène et les danseurs non plus (…) On navigue un peu à vue car on ne sait pas comment ça va se passer » a reconnu » Stéphane Lissner.
Le confinement a néanmoins apporté quelques signes d’encouragement. « Ce qui nous a aidés, c'est tout ce qui s'est passé avec le streaming. On a eu des résultats extraordinaires avec tous les spectacles que nous avons mis en ligne, aussi bien avec nos opéras, avec le ballet, avec les galas et avec la troisième scène. On est quasiment premier mondial au niveau des réseaux sociaux parce qu’on a dépassé 1, 5 million abonnés » s’est réjoui le directeur général.
Néanmoins, Stéphane Lissner reste convaincu qu’il va falloir réfléchir « à la création d’un nouvel objet » « pour aller vers un public différent ». Mais pour cela, « on va être contraint de diminuer le prix des places ». « J’ai fait des propositions en conseil d’administration mais Bercy s’est opposé catégoriquement à des propositions de baisse de prix parce que l’équilibre budgétaire passe par une augmentation sans cesse des recettes (…) Tout le monde sait que 220, 240 euros sont des sommes énormes. C’est donc réservé à une toute petite élite (…) C’est un handicap pour l’Opéra de Paris, c’est un handicap pour le futur (…) On sera complètement décalé. C’est presque indécent (…) On devrait avoir des prix de places de 100, 120 euros maximum avec des places à 20, 25 euros. C’est là, le seul espoir qu’on a de reconquérir un public » a-t-il conclu.