Ils sont pour la plupart légaux et peuvent être prescrits par les médecins. Pourtant aux Etats-Unis, depuis 25 ans, ils ont causé la mort de plus de 800 000 personnes et réduit l’espérance de vie des Américains. C’est la fameuse crise des opioïdes.
Tandis qu’en France et en Europe la situation reste contrôlée et limitée, les médecins s’inquiètent d’une évolution de la consommation pointant une sous-estimation des risques par les patients et par les professionnels.
12 millions de consommateurs d’opioïdes en France
Principaux opioïdes responsables de la hausse d’overdoses : les opioïdes de synthèse comme le fentanyl. Ultra-addictif et parfois couplé à des drogues stimulantes comme la cocaïne, le fentanyl est un anesthésiant cent fois supérieur à la morphine et 50 fois plus puissant que l’héroïne. Pouvant être délivré sur ordonnance pour soigner les douleurs chroniques, son surdosage peut s’avérer fatal.
En 2024, près de 12 millions de Français se sont vus prescrire des antalgiques opioïdes. Les ventes d’opioïdes forts ont même progressé de 59 % depuis 2010 et avec elles le nombre de décès liés à l’usage d’opioïdes prescrits qui s’est accru de 20 % entre 2018 et 2022. « Les chiffres ne sont pas comparables à ce qu’il se passe aux Etats-Unis, mais mieux vaut prévenir que guérir », explique la sénatrice écologiste Anne Souyris, l’une des auteures du rapport.
« Une personne sur cinq ne sait pas ce qu’elle prend »
« Il faut insister sur la nécessité de l’information du prescripteur au patient sur les risques associés aux médicaments opioïdes », pointe la sénatrice. Prescrit pour soulager les douleurs, l’important risque de dépendance aux opioïdes reste méconnu. Parmi ses recommandations, adoptées en commission, la sénatrice préconise l’apparition d’une « mention de risque de dépendance sur les boîtes de médicaments ».
Selon elle, l’importance n’est pas tant de limiter l’accès aux opioïdes que de former les médecins et les consommateurs. « Une personne sur cinq ne sait pas ce qu’elle prend lorsqu’elle consomme des opioïdes », alerte la sénatrice. « La gestion de la douleur en France est insuffisante faute d’informations ».
La consommation d’opioïdes démarre généralement pour pallier des douleurs chroniques. Cette prise médicamenteuse s’apparente souvent à une solution de facilité. Ainsi, le rapport envisage « l’augmentation du nombre de structures spécialisées douleurs chroniques (SDC) » dont le maillage en France laisse parfois des territoires sans couverture médicale. Selon les estimations, entre 20 et 30 % des Français souffrent de douleurs chroniques et seuls 37 % se déclarent satisfaits de leur prise en charge. Parmi les patients douloureux chroniques, à peine 3 % ont accès à une SDC.
99 % des médecins américains prescrivaient des opioïdes
Devant ce manque de prise en charge des douleurs chroniques, pourquoi la crise des opioïdes ne s’est-elle pas développée en France et est restée circonscrite aux Etats-Unis. Cela s’explique essentiellement par la robustesse du système de santé français et son contrôle.
Aux Etats-Unis, la crise, du moins la hausse de prescriptions d’opioïdes, s’est développée à partir des années 1990. Devant une demande sociale accrue de prise en charge de la douleur, les médecins ont libéralisé les prescriptions d’opioïdes. A cela se sont ajoutées des stratégies commerciales agressives de la part des laboratoires pharmaceutiques avec un lobbying auprès des médecins. Comme le rapport l’indique, près de 99 % des médecins américains prescrivaient des opioïdes au-delà des durées recommandées et ont ainsi développé une dépendance pour des centaines de milliers d’Américains. Inquiets de cette crise sanitaire, les pouvoirs publics décident en 2011 de resserrer les conditions de prescription de ces médicaments. Ainsi, privés de médicaments, beaucoup se sont tournés vers le marché noir avec des produits généralement surdosés. A partir de 2015, l’arrivée d’opioïdes peu coûteux et particulièrement puissants comme le fentanyl a considérablement accéléré le nombre de décès.
« Déprescription progressive »
Mais contrairement aux Etats-Unis, la promotion des médicaments est strictement encadrée en France notamment par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). D’autant que face à la crise sanitaire que subissaient les Etats-Unis, les pouvoirs publics français ont décidé de renforcer la prescription médicale avec l’ajout d’un plafonnement de durée de prescription. Certains opioïdes sont même prescrits par ordonnance sécurisée pour éviter toute falsification. « Par chance, nous sommes particulièrement bien lotis en France sur la réduction des risques », assure Anne Souyris. « Mais malgré cet accompagnement, on s’aperçoit que la consommation progresse ».
Le rapport souhaite poursuivre cette stratégie française de prévention. Il envisage de soumettre « l’ensemble des opioïdes à une obligation d’ordonnance sécurisée ». En parallèle, les rapporteurs recommandent une « stratégie de déprescription progressive dans le parcours de soins ».
Un cachet pour les overdoses
Pour être efficace, cette stratégie doit s’accompagner de palliatifs permettant de se passer d’opioïdes. Les traitements par agonistes opioïdes (TAO), c’est-à-dire des médicaments composés d’opioïdes mais contrôlés, permettent d’accompagner l’usager vers le sevrage. « La France est l’un des pays européens dans lesquels l’accès des usagers aux TAO est le plus élevé », se réjouit la sénatrice.
Cependant, un accès reste limité : la naloxone. Un antidote aux surdoses d’opioïdes qui, dans le cas d’une bonne administration, permettrait d’empêcher 4 décès sur 5 par overdose. « En cas d’overdose, la personne revient à la vie après avoir avalé le cachet », souligne la sénatrice qui préconise, à l’instar de la Haute autorité de santé (HAS), que « l’accès à toutes les formes de naloxone sans prescription » puisse être facilité.
A l’issue de ce rapport, la sénatrice n’envisage pas forcément une proposition de loi. « L’objectif ici est de contrôler les politiques mises en place et de proposer des recommandations », précise-t-elle. « De nombreuses recommandations peuvent être prises par décret. C’est une photographie de ce qu’il faut faire pour éviter une crise ».