Depuis le début de l’année 2025, le ministre de l’Intérieur a fait plusieurs fois l’expérience que sa fermeté affichée en matière migratoire se heurte au bon vouloir des autorités algériennes. Après l’épisode de l’expulsion avortée de l’influenceur algérien Doualemn (lire notre article ici), Bruno Retailleau a pris une nouvelle fois les Français à témoins de la mauvaise volonté de l’Algérie lorsqu’il s’agit de reprendre ses ressortissants faisant l’objet d’une mesure d’éloignement par les autorités françaises.
L’auteur de l’attaque au couteau survenue samedi à Mulhouse et qui a coûté la vie à une personne, est un Algérien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Mais l’Algérie a « refusé à dix reprises » de le reprendre sur son territoire, a affirmé samedi soir Bruno Retailleau au 20H00 de TF1.
« 250 000 visas accordés aux Algériens en 2024 »
La non-exécution des OQTF est devenue un sujet d’actualité politique depuis quelques années. On rappelle ici qu’une OQTF est une mesure administrative prise à l’encontre d’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire, ou s’étant vu refuser la délivrance d’un titre de séjour. Leurs exécutions sont conditionnées à la délivrance de laissez-passer consulaires par les autorités des pays d’origine, ce que l’Algérie rechigne à faire. « La France a accordé 250 000 visas aux Algériens en 2024, dont 30 000 nouveaux titres de séjour, 33 000 Algériens ont été contrôlés en situation irrégulière et seulement 3 000 ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement. Si l’on veut continuer une migration circulaire avec l’Algérie, cela suppose que ce pays fournisse des efforts », souligne Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
« On l’a vu avec l’affaire Doualemn. Les autorités algériennes en viennent à refuser sur leur territoire, leurs ressortissants qui disposent d’un passeport biométrique. Ils vont à l’encontre de la convention de Chicago. D’ailleurs, si le ressortissant dispose d’un passeport biométrique, il n’y a pas besoin d’un laissez-passer consulaire pour exécuter la mesure d’éloignement », rappelle Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, pour qui « la logique de confrontation de Bruno Retailleau est contreproductive ».
A l’extrême droite, la méthode de Bruno Retailleau fait aussi douter. Le patron du RN, Jordan Bardella observe que Bruno Retailleau fait « énormément de communication », et l’enjoint à « agir ou partir ». L’ancien ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin a été encore moins tendre dénonçant « la surenchère » et « l’amateurisme » du locataire de Beauvau. « Il veut croire que le rapport de force (avec l’Algérie, NDLR) va tout arranger […] Nous savons que, dans ces situations de crise, loin de débloquer, cela conduit à une impasse encore plus grande », a-t-il tancé.
Bruno Retailleau bénéficie, néanmoins, du soutien du Premier ministre, François Bayrou. Il faut […] prendre les décisions pour que le gouvernement et les pouvoirs publics algériens comprennent quelle est la détermination de la France », a-t-il déclaré en marge d’une visite au Salon de l’agriculture.
Mais des dissonances se font entendre au sein de l’exécutif. « La diplomatie, c’est toute une palette d’outils. Ce qui nous intéresse, c’est la sécurité des Français, ce n’est pas le rapport de force pour le rapport de force », a tempéré le ministre des Affaires Etrangères Jean-Noël Barrot dimanche sur CNews et Europe 1.
Un récent rapport du Sénat préconise de renégocier l’accord franco-algérien
Mercredi, les membres du gouvernement auront l’occasion d’accorder leur violon lors d’un conseil interministériel de contrôle de l’immigration prévu de longue date. Parmi les pistes qui seront abordées, arrive en tête la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968. Un débat sur cet accord se tiendra également au Sénat le 4 mars prochain.
Pour rappel, un récent rapport de la présidente LR de la commission des lois du Sénat, Muriel Jourda (LR) et d’Olivier Bitz (centriste) a conclu que cet accord constituait « un régime très favorable de circulation et de séjour » aux Algériens. « Il ne connaît plus de justification évidente tandis qu’il ne s’accompagne aucunement d’un surcroît de coopération en matière de lutte contre l’immigration irrégulière », relevaient les auteurs. C’est pourquoi ils préconisaient une renégociation « afin d’aboutir à des mesures équilibrées pour les deux parties ». A défaut « sa dénonciation devra être mise en œuvre ».
« Ce rapport a été réalisé indépendamment de la détérioration des relations franco-algériennes. Nous avons recensé 197 accords de politique migratoire conclus par la France. Notre propos n’était pas de bloquer les titres de séjour en provenance d’Algérie mais de revenir simplement au droit commun », précise Olivier Bitz à publicsenat.fr.
Serge Slama rappelle quant à lui que le dernier avenant à l’accord franco-algérien date de 2002. « En l’occurrence, de nombreuses dispositions récentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne s’appliquent pas aux Algériens. Par exemple, ils ne bénéficient pas des passeports talents, des cartes pluriannuelles, de titres de séjour pour motifs humanitaires comme les victimes de la traite ou de violences conjugales, du droit au travail des étudiants internationaux… Mis à part des conditions plus avantageuses d’installation au titre du regroupement familial, les accords franco-algériens n’ont aucune incidence sur les entrées et l’exécution des mesures d’éloignements ».
Une analyse que conteste Olivier Bitz. Le sénateur rappelle, notamment, que le respect des conditions d’intégration républicaine lors de la délivrance d’un certificat de résidence de dix ans ou la signature du contrat d’intégration républicaine ne sont pas applicables aux ressortissants Algériens.
Supprimer les passeports diplomatiques algériens
Une autre mesure avait été évoquée par le député centriste, Philippe Bonnecarrère qui fut, l’année dernière, en tant que sénateur, co-rapporteur de la loi immigration. Il proposait « de réduire drastiquement le nombre de passeports de service qui sont l’équivalent de passeports diplomatiques », expliquait-il à publicsenat.fr, le 10 janvier dernier. Deux jours plus tard, la mesure était reprise par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin. « Concrètement cela reviendrait à dénoncer l’accord entre la France et l’Algérie du 16 décembre 2013 sur l’exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service », précise Serge Slama avant d’ajouter : « Si le gouvernement français dénonce unilatéralement l’accord de 2013, cela aurait pour effet immédiat de priver les agents français, titulaires d’un passeport diplomatique ou de service, des mêmes facilités de circulation en Algérie ».
Dans ce contexte inflammable avec Alger, le président du Sénat, Gérard Larcher est arrivé dimanche à Rabat, à l’invitation de son homologue marocain, Il se rendra, mardi, à Laâyoune, capitale du Sahara occidental, pour y « refléter la nouvelle position de la France selon laquelle le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Ce qui ne devrait pas apaiser les relations avec l’Algérie.