« Soyons lucides, le temps s’accélère », soulignait le président de la République lors de son discours prononcé pour le 60e anniversaire de la Constitution, en octobre 2018. Emmanuel Macron n’a jamais fait mystère de sa volonté d’accélérer le travail parlementaire, lui qui critiquait « une mécanique constitutionnelle qui demande plus de 12 mois pour faire voter une loi, qui requiert un trimestre tous les ans pour voter le budget, là où nos grands voisins s’en acquittent en quelques semaines ».
Au cours de son mandat, les projets de loi faisant l’objet de procédures accélérées sont devenus la norme et les ordonnances - qui permettent au gouvernement de prendre des mesures qui relèvent habituellement du domaine législatif - ont connu une inflation record. De quoi crisper une opposition - et même certains membres de la majorité - dont les pouvoirs se sont progressivement étiolés.
La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer le phénomène avec une succession de projets de loi d’état d’urgence sanitaire habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnances. « Entre le 15 mars et le 31 décembre 2020, et tandis que d’autres habilitations sur des thèmes différents ont également été accordées, 90 habilitations en lien avec la pandémie de covid-19 ont été octroyées », note la direction de la séance du Sénat dans une étude sur les ordonnances.
La proposition de loi constitutionnelle déposée par le sénateur socialiste, Jean-Pierre Sueur, vise spécifiquement à encadrer les ordonnances en restaurant leur ratification par le Parlement. L’ancien président de la commission des Lois n’est pas le seul au sein de la Haute assemblée à s’émouvoir d’un « recours abusif » aux ordonnances par l’exécutif que la crise sanitaire ne saurait justifier. Le président du Sénat, Gérard Larcher, avait d’ailleurs chargé une délégation sénatoriale du contrôle et du suivi des ordonnances en octobre 2020.
« Le Conseil constitutionnel a inventé la législation par voie gouvernementale »
Par sa proposition de loi, Jean-Pierre Sueur entend revenir sur une récente jurisprudence du Conseil constitutionnel ayant eu plusieurs effets néfastes.
L’article 38 de la Constitution induit que les dispositions d’une ordonnance relevant du domaine de la loi ne sont considérées comme législatives qu’à compter de leur ratification par le Parlement. Mais la décision du Conseil constitutionnel de mai 2020 a changé la donne. Désormais, « les ordonnances ont valeur législative dès l’expiration du délai imparti au gouvernement pour les faire adopter, et ce même si ces ordonnances n’ont pas été ratifiées de manière expresse par le Parlement ».
Pour l’ancien président de la commission des Lois, « le Conseil constitutionnel a inventé la législation par voie gouvernementale » que la crise sanitaire ne saurait justifier puisque « la réforme de l’ENA ou celle du corps préfectoral » ont elles aussi été inscrites par ordonnances, sans que le Parlement n’ait été consulté.
Jean-Pierre Sueur insiste sur le risque d’une substitution de fait de l’exécutif au législatif. Son texte, très technique, à donc pour but de garantir « le respect des principes de la démocratie représentative et de l’Etat en cas de législation par ordonnances » en modifiant la Constitution de manière à ce que « seule la ratification expresse du Parlement confère valeur législative aux dispositions contenues dans des ordonnances ».