Orpea : Deux ex-dirigeants auditionnés par le Sénat totalement dans le déni

Orpea : Deux ex-dirigeants auditionnés par le Sénat totalement dans le déni

La commission d’enquête du Sénat sur le contrôle des Ehpad a entendu ce 24 mai deux anciens hauts cadres du groupe, dont le précédent directeur général. Le rapporteur Bernard Bonne s’est montré particulièrement exaspéré par les réponses apportées.
Guillaume Jacquot

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Ce n’était pas la première fois que d’anciens responsables d’Orpea étaient entendus devant la représentation nationale, après les accusations graves révélées par le journaliste Victor Castanet, dans son livre « Les Fossoyeurs » sorti le 26 janvier. Mais en auditionnant ce 24 mai deux anciens directeurs du groupe, aujourd’hui dans la tourmente, les sénateurs disposaient d’éléments supplémentaires par rapport aux travaux menés par leurs collègues députés en mars. Entre temps, deux inspections générales ont en effet rendu les conclusions accablantes de leur enquête administrative. Un audit indépendant (mené par le cabinet Grant Thornton) a également confirmé de nombreux manquements.

Sur la base de ces éléments, les sénateurs de la commission des affaires sociales ont manifestement peu apprécié le discours de leurs interlocuteurs. « Nous ne sommes pas très satisfaits globalement des réponses, puisqu’elles ne correspondent pas tout à fait aux rapports qui ont été établis par les uns et les autres, y compris par l’audit qui a été demandé par Orpea lui-même », s’est étonné le sénateur LR Bernard Bonne. C’est par ces mots que le rapporteur de la commission a conclu l’audition d’Yves Le Masne, l’ancien directeur général du groupe Orpea (2011-2022), démis de ses fonctions par le conseil d’administration peu de temps après la sortie du livre.

« Si l’ouvrage reprend des défaillances inadmissibles […] il extrapole en faisant une règle générale »

Interrogé sur ce qu’il pensait du livre « Les Fossoyeurs », à la lumière de la propre enquête menée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Yves Le Masne n’a pas dévié d’un iota par rapport à son audition du 9 mars à l’Assemblée nationale. Il a maintenu ses propos selon lesquels l’ouvrage de Victor Castanet serait en « décalage avec la réalité ». « Si l’ouvrage reprend des défaillances inadmissibles – j’en conviens – ponctuelles et potentielles, qui sont parfois réelles, il extrapole en faisant une règle générale. Il parle de système, alors que le rapport de l’Igas et le pré-rapport Grant Thornton montrent certaines défaillances dans plusieurs établissements, mais ne démontrent pas de système généralisé. »

Pour Yves Le Masne, l’audit externe et l’enquête administrative ont infirmé toute thèse d’une pénurie de protections hygiéniques ou de rationnement alimentaire dans les établissements du groupe. Assurant privilégier la « qualité avant le financier », le dirigeant a toutefois présenté des excuses. « Le groupe Orpea que j’ai dirigé de 2011 à 2021 a certainement pu commettre des erreurs, dont je m’excuse. Je voudrais néanmoins dire d’emblée que nous avons toujours eu à cœur de répondre au mieux aux besoins des résidents et de leurs familles. » Et d’ajouter plus tard : « Ce qui a été fait l’a toujours été dans le sens de la qualité, même si ça peut paraître décalé de dire ça aujourd’hui. »

Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué en charge de l’exploitation du groupe Orpea, a lui aussi contesté l’approche du livre, regrettant une succession de témoignages « à charge » ne visant aucun autre groupe, et « un certain sensationnisme dans la forme ». « Il n’y a pas chez Orpea de système organisé qui aboutirait à de la maltraitance », a expliqué l’ancien cadre, qui n’était plus en responsabilité depuis 2020. Il s’est dit « profondément blessé » par le contenu du livre.

Comme pour l’ancien directeur général, il a souligné que le rapport de l’Igas n’avait constaté aucune « politique de rationnement ». « Ne parlons pas uniquement du livre. Vous soulignez tout ce qui est positif dans les rapports, mais il y a quand même beaucoup, beaucoup, beaucoup de négatif. Ce ne sont quand même pas des petites erreurs locales », a objecté Bernard Bonne.

De façon générale, Yves Le Masne a expliqué que sa fonction était de développer un groupe présent à l’international. « Je supervisais 15 personnes, dont une pour la France ». Le rapporteur Bernard Bonne n’a pas été le seul membre de la commission à étaler son scepticisme vis-à-vis des propos de l’ancien directeur général. La sénatrice (LR) Pascale Gruny s’est montrée surprise par la distance du haut dirigeant vis-à-vis des évènements. « Que vous n’ayez jamais été alerté, je suis vraiment stupéfaite ». Yves Le Masne a presque fait amende honorable. « Malheureusement, tout ne peut pas me remonter. Si j’ai un regret ces dernières années, c’est d’avoir trop vu le verre à moitié plein et pas assez à moitié vide. On était assez satisfaits d’avoir 95 % de taux de recommandation, un très bon taux. C’est vrai qu’on aurait dû peut-être plus s’occuper des 5 % restants. »

« Vous ne me convainquez pas du tout là », s’exclame le rapporteur

Face à Jean-Claude Brdenk, la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly a elle aussi relayé les mêmes interrogations. « Je n’arrive pas à comprendre comment l’ensemble des problèmes qui ont été révélés par ce livre ne sont jamais venus au conseil d’administration, ni même à l’assemblée générale. »

Sur le plan comptable, le sénateur Bernard Bonne a demandé des explications sur la gestion financière épinglée par l’enquête administrative. « Les documents financiers obligatoires transmis aux tutelles par les Ehpad sont insincères et présentent des pratiques d'imputation non réglementaires de charges sur les forfaits soins et dépendance », relevaient les inspecteurs de l’Igas et de l’IGF.

Yves Le Masne s’est défendu en indiquant que « 98,5 % des remontées » étaient « valides ». Quant à la part restante, il a affirmé : « Les éléments rapportés ne sont pas insincères, même s’ils ne correspondent pas à l’attente de l’Igas. » Selon lui, l’Inspection générale des affaires sociales « interprète de façon stricte les textes », quand les Agences régionales de santé (ARS) ont, elles, « une vision plus souple du terrain et de la réalité ». « Vous ne me convainquez pas du tout là », a réagi le sénateur LR Bernard Bonne. Ambiance.

Parmi les questions insistantes du parlementaire figurait celle de l’autonomie accordée aux établissements, et donc, du type d’information susceptible d’être portée à la lumière du jour en cas de contrôle local par une ARS. Le groupe est en effet organisé en directions régionales, chacune ayant sous sa responsabilité une dizaine d’établissements. « 99,2 % des recrutements sont acceptés par le directeur régional, qui n’a que 10 établissements à sa charge. Il est donc très disponible, ce n’est pas quelqu’un d’éloigné », a assuré Jean-Claude Brdenk. Mais le problème fondamental est ailleurs, pour Bernard Bonne : « Le système ne peut pas entraîner de contrôles suffisants. Les groupes sont répartis sur plusieurs régions. Or, personne ne contrôle l’ensemble. » Cette faille pourrait constituer l’un des points d’attention de la commission, dans la formulation de ses recommandations.

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