Elle s’est formée en toute discrétion, le 5 juin, totalement occultée par la crise du Covid-19. L’Ipac, l’Alliance interparlementaire sur la Chine, regroupe une centaine de parlementaires d’une quinzaine de pays (principalement européens, mais également d’Amérique du Nord, du Japon, ou encore d’Australie) et entend apporter des réponses coordonnées contre les violations des droits de l’homme en Chine, en faisant pression notamment sur les gouvernements respectifs de leurs États.
En début de semaine, l’Ipac vient d’alerter sur la situation que vivent les 12 millions de Ouïghours, une minorité musulmane de la province du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine. En s’appuyant sur les travaux d’un chercheur allemand, l’alliance parlementaire accuse Pékin de stériliser de force des femmes ouïghoures.
Nous nous sommes entretenus avec le sénateur (La République en marche) André Gattolin, co-président de la délégation française transpartisane au sein de cette alliance interparlementaire, aux côtés de la députée MoDem Isabelle Florennes.
Dans quel contexte est née cette alliance internationale de parlementaires ?
Au début, c’est une initiative très anglo-saxonne et de pays d’Europe du nord, de parlementaires qui se connaissent, et qui, dans différents cadres, ont été amenés à travailler sur la problématique de l’État de droit et des relations avec la Chine. J’ai eu avec eux quelques initiatives au moment où la Chine a fait pression pour que Taïwan perde son statut d’observateur au sein de l’OMS, pendant la crise du coronavirus.
Il existe une alliance interparlementaire globale sur le Tibet, qui dépasse le cadre européen. Aujourd’hui, on voit que la Chine a une position de plus en plus dure vis-à-vis de ce type de critiques, et cela concerne les démocrates chinois, les Tibétains, les Ouïghours, Taïwan ou encore Hong Kong. Ce qu’on constate, c’est la faiblesse de nos gouvernements et États respectifs. Au niveau européen, tout le monde se renvoie la balle, avec le risque de rétorsion commerciale. Et les gouvernements s’abritent derrière cela : il faut prendre une décision harmonisée.
En tant que parlementaires, on a un devoir : garantir les conventions internationales. Il y a des choses qui paraissent inacceptables. Le comportement de la Chine fait peser une menace sur le droit international.
Quelles sont vos marges d’action au sein de cette instance ?
Face à cette mollesse des gouvernements, on a décidé, en tant que législateurs, de se regrouper pour essayer de se coordonner le plus possible, pour essayer d’établir du droit international positif, avec un peu la loi Magnitski et la Russie [une loi américaine adoptée en 2012 pour instaurer des sanctions financières et des interdictions de visa à l’encontre de fonctionnaires russes impliqués dans le décès de l'avocat Sergueï Magnitski, NDLR].
Notre première initiative, c’est la publication officielle de ce rapport sur la stérilisation de masse opérée dans le Xinjiang, pays des Ouïghours, par les autorités chinoises. On a demandé à un anthropologue allemand, Adrian Zenz, de produire une analyse de la situation, à partir des statistiques officielles du gouvernement chinois. L’agrégat et l’analyse n’avaient jamais été faits. Il y a une stérilisation massive des femmes ouïghoures, et des camps d’internement. On est dans une phase potentiellement génocidaire, c’est une tentative d’éradication d’une population !
Nos types actions, cela passe par des questions au gouvernement, des publications de rapports, des votes de résolution, et peut-être demain des propositions de législation. Nous sommes dans des régimes extrêmement différents et nos capacités diffèrent selon les États : on agit avec les instruments dont nous disposons. Notre vocation, c’est de mettre la pression sur les gouvernements nationaux, en disant : nous vous trouvons un peu silencieux sur la situation actuelle en Chine.
Diriez-vous que cette diplomatie parlementaire, avec sa plus grande liberté de parole, comble les lacunes des chancelleries et des États ?
La diplomatie se fait de manière feutrée et souvent dans les couloirs : on ne peut pas reprocher à un diplomate d’être prudent. Mais quand on voit l’agressivité de la Chine, les menaces qu’elle fait peser, ses pressions, on se dit qu’il faut peut-être sortir de ce conformisme. Il y a un durcissement du système qui est flagrant : on est passé d’une diplomatie de protection du régime chinois à une diplomatie d’expansion. Au sein même des Nations Unies, au niveau de l’Organisation internationale du travail, de l’Organisation mondiale de la Santé, du comité des droits de l’homme, quand on fait la revue annuelle sur la situation des droits de l’Homme, on ne peut pratiquement plus rien dire sur la Chine, ils ont acquis un tel poids sur les structures multilatérales.
Vous appelez à changer de ton, mais est-ce que c’est audible ?
En France, le discours insiste beaucoup sur la réciprocité économique vis-à-vis de la Chine. Aux États-Unis, on parle aussi de réciprocité politique. Aujourd’hui, ce discours apparaît mais il est trop faible. Je me suis entretenu il y a quelques heures avec la secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, Amélie de Montchalin. Je lui ai dit que la France et l’Europe étaient trop molles : elle a encaissé. Même si je fais partie de la majorité présidentielle, je ne vais pas dire que le gouvernement réagit bien. Nous avons des positions trop faibles vis-à-vis de la Chine, et je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de négocier avec elle. Être ferme, c’est poser un rapport de force.
Durant la crise sanitaire, l’ambassade de Chine à Paris s’est montrée extrêmement virulente dans sa communication. Y a-t-il eu une nouvelle prise de conscience ?
Je les remercie, ils n’ont fait que renforcer mes collègues sur leurs positions sur la Chine. Au Sénat, il y a longtemps eu un intense lobby pro-Chine. Jean-Pierre Raffarin a joué un rôle immense d’amitié avec la Chine. Depuis trois ans, depuis qu’il n’est plus sénateur et président de la commission des Affaires étrangères, et depuis l’agressivité croissante de la Chine à notre égard, le discours du Sénat sur la Chine a beaucoup évolué. Plus ils font preuve de pressions lourdes, plus cela provoque chez nous une réaction, en disant nous sommes souverains. Et les promesses économiques n’ont jamais été à la hauteur. Quand on voit l’aéroport de Toulouse, racheté il y a quatre ans par des investisseurs chinois, c’est la désillusion sur les promesses de développement. Nos collègues ancrés sur leurs territoires le constatent.
Après ce rapport accablant sur la situation des Ouïghours, quelle sera la prochaine initiative de l’Ipac ?
La prochaine action que l’on esquisse – et nous étudions les leviers à notre disposition – concernera Hong Kong. La loi de répression, qui vient d’être votée, est un prélude à une reprise en main totale de la politique chinoise sur ce territoire. Il n’y a d’accord entre Hong Kong et l’Union européenne mais les pays de l’AELE [des États hors Union, comme la Suisse, la Norvège ou encore l’Islande, NDLR] ont un système d’accord avec ce territoire. On est train de voir si on ne pourrait pas faire peser une espèce de menace, sur les contreparties. Quand il y a des accords conditionnés, on fait jouer le respect ou non des règles.