Lampedusa – 190 Migrants From Ghana Arrived on the Island on a Coast Guard Boat, Italy – 18 Sep 2023

Pacte migratoire européen : « L’idée est d’arriver à un accord général avant les élections européennes de 2024 »

Après trois ans d’âpres négociations, l’Union européenne se dirige vers un accord pour un nouveau pacte migratoire. Les échecs répétés de la réglementation actuelle et les récents épisodes d’afflux de migrants ont fini de convaincre les Vingt-sept de la nécessité d’en finir avec le statu quo. Analyse avec François Héran, sociologue et démographe, spécialiste des questions de migrations internationales.
Matias Arraez

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Pourquoi l’Europe a besoin de se doter d’un nouveau pacte migratoire ?

 

Le système actuel ne marche plus. Le système de Dublin qui consiste à renvoyer les migrants ou les demandeurs d’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés ne fonctionne pas. Par exemple, les Italiens refusent de recevoir les migrants renvoyés par l’Allemagne. Il y a aussi autant de migrants “dublinés” de l’Allemagne vers la France, et si au bout de plusieurs mois les pays refusent de reprendre les migrants, ces derniers peuvent formuler une nouvelle demande dans le pays d’accueil. La critique du système de Dublin est faite depuis longtemps. Il y a eu des motions du Parlement pour indiquer qu’il fallait s’en débarrasser, mais on ne savait pas par quoi. L’idée c’était une répartition plus équitable des demandeurs d’asile entre les États membres. Ça n’a pas marché. Les plans Juncker en 2015 et 2016 ont échoué, notamment parce que les pays d’Europe centrale ne voulaient pas en entendre parler. La France y était aussi réticente, la Grande-Bretagne à l’époque n’en voulait pas non plus. Il fallait trouver une autre solution.

 

Qu’est-ce qui distingue ce nouveau pacte migratoire de la réglementation en vigueur, Dublin III ?

 

Ce pacte a été approuvé par la Commission européenne, qui est l’organe exécutif. Il doit à présent être approuvé par le Parlement européen et ensuite par le Conseil de l’Europe, c’est-à-dire la réunion des chefs d’États. Il reste donc deux étapes importantes. L’idée étant d’arriver à un accord général avant les élections européennes de 2024. En réalité, ce qui distingue ce nouveau pacte de la législation en vigueur, c’est qu’il va y avoir systématiquement un filtrage de tous les demandeurs d’asile. Jusqu’à présent, les Italiens enregistraient très peu les migrants. Les Français refoulaient les personnes à la frontière franco-italienne sans trop enregistrer les gens non plus. Maintenant, il va y avoir à toutes les frontières de l’Union un filtrage selon des normes communes, avec des prises d’empreintes digitales, identification des personnes beaucoup plus serrée que ce qui se faisait jusqu’à maintenant. L’autre différence principale, c’est un système un peu souple qu’on appelle de contributions flexibles. C’est-à-dire que tous les pays vont devoir participer à la répartition d’accueil, mais ce ne sera pas forcément de recevoir une part des migrants chez soi, car certains pays n’en veulent pas. Ces pays-là pourront remplacer leurs contributions de façon assez flexible, pas forcément par des participations financières qui pourraient s’apparenter à des amendes, mais plutôt des soutiens logistiques, d’envoi d’experts, de personnels. L’idée est que les contributions peuvent prendre différentes formes : relocaliser des personnes, participer financièrement ou à travers des expertises.

 

Il y a eu une avancée notable ce jeudi 28 septembre, avec la levée du blocage de la part des Verts allemands sur le règlement de crises. Qu’est-ce qui dérangeait les Allemands et comment expliquer ce changement de positionnement ?

 

Les Verts allemands font un peu comme les Verts français au Parlement européen. Damien Carême, ancien maire de Grande-Synthe et député européen l’a maintes fois expliqué. Il faut une position pragmatique, c’est à dire que si on rejette en bloc la proposition actuelle on risque d’aboutir à des solutions beaucoup plus négatives du point de vue des écologistes, beaucoup plus drastiques. Mieux vaut accepter un accord sur les bases actuelles, que de refuser un accord, qui au final aboutirait à un texte encore plus répressif que la version actuelle. C’est un peu l’idée que le mieux est l’ennemi du bien.

 

Trois ans de négociations, quels ont été les freins ces dernières années ?

 

Il y a le Covid qui explique une partie de ce retard. Pendant cette période, chaque pays a improvisé dans son coin sa politique de fermeture ou d’ouverture des frontières. On filtrait parfois les voyageurs, parfois les migrants, cela a été fait dans le désordre le plus complet sans concertation européenne. Ce n’était donc pas le bon moment pour négocier une réglementation d’action commune. La deuxième explication de cette durée de négociation, c’est que certains pays, notamment ceux d’Europe centrale – la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, les pays baltes, la Slovénie, etc – n’étaient pas du tout d’accord pour une répartition équitable des migrants. Il a donc fallu négocier avec eux ce système de contribution flexible. Un système qui pourrait mettre fin à la dichotomie actuelle entre ceux qui acceptent, ceux qui refusent. Maintenant, ce qui explique cette accélération des négociations, c’est l’approche des élections européennes. Il faut une position avant les élections, afin de ne pas braquer les électeurs.

 

Quelle était la position de la France depuis le départ sur ce texte ?

 

La France a toujours eu l’idée de favoriser une répartition équitable de la charge tout en comprenant bien qu’on ne pouvait pas convertir par la force les pays réticents, à commencer par les pays d’Europe centrale. Ces pays, il faut le dire au passage, sont d’anciens pays communistes qui n’ont jamais été habitués à la migration du Sud. Le communisme a enfermé les peuples pendant quarante ans et les populations ne sont pas habituées à la vision des migrants. On le voit bien dans l’opposition entre l’ex-Allemagne de l’Est et l’ex-Allemagne de l’Ouest. Les Allemands avaient eux, leur propre vision pragmatique. Ils avaient expérimenté les réactions des populations de l’Est, des nouveaux Länder qui n’étaient pas habitués à la migration et qui s’émeuvent dès qu’ils voient un nouveau centre de demandeurs d’asile s’installer dans leur village, et les populations de l’Ouest qui elles, sont beaucoup plus accueillantes. Ils ont donc une vision très claire de la tension qui existe entre ceux-là. Les Allemands ont été pilotes dans la négociation, et les Français ont compris que la solution pragmatique à l’allemande était celle qui avait le plus de chance d’aboutir.

 

Sur le papier, Dublin III, prévoyait déjà beaucoup de mesures qui finalement n’étaient pas réellement appliquées, faudra-t-il surtout surveiller l’application de ce nouveau pacte migratoire s’il venait à être adopté ?

 

Tout va se jouer sur l’application. En même temps, Dublin III, c’était surtout des opérations comminatoires. Les Français ou les Allemands identifient une personne qui est d’abord passée par l’Italie ou par l’Espagne. On décide de renvoyer la personne, mais il faut avoir l’accord du pays de première entrée. Cet accord est accepté ou refusé. C’est à chaque fois des bifurcations oui, non, qui ne laissait pas vraiment d’autres choix que l’acceptation ou le refus. Ce système très dichotomique est maintenant abandonné et l’idée d’une répartition égale avec un filtrage commun à toutes les frontières, partagée par tout le monde avec ensuite des contributions flexibles en fonction des positions de chacun. C’est un peu la nouvelle vision de l’Europe, c’est à dire que dans le système européen maintenant il y a des marges d’appréciation laissées aux États membres. Le système européen à l’origine était beaucoup plus contraignant et il est maintenant beaucoup plus accommodant vis-à-vis de la souveraineté des Etats et il leur laisse une marge d’appréciation via différents canaux possibles. Je pense que ce système-là a plus de chances de fonctionner dans la pratique que le système Dublin classique.

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