Gyrophares bleus, sirènes hurlantes… Cette nuit à Rennes, des policiers ont tenu une nouvelle manifestation sauvage pour protester contre leurs conditions de travail et témoigner du malaise qui touche la profession, aux abords du domicile de la maire socialiste de la ville, Nathalie Appéré. La scène, vivement dénoncée par l’édile, est devenue quotidienne dans les grosses agglomérations françaises depuis plusieurs semaines. Afin d’y mettre un terme, Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’un « Beauvau » de la police et de la gendarmerie en janvier prochain, dans le but « d’améliorer les conditions d’exercice » des forces de l’ordre et de « consolider » leurs liens avec les Français. Mais les syndicats de policiers Alliance et Unsa lui ont fait savoir leur refus de participer à cette concertation « sans mesure concrète », après les déclarations du chef de l’Etat à Brut, dans lesquelles il avait reconnu des contrôles au faciès et des violences de la part de certains.
Pour tenter de désamorcer la situation, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a donc reçu les syndicats de policiers et de gendarmes ce vendredi matin dans l’espoir de préparer le « Beauvau de la sécurité » et pour entendre leurs revendications. Le « Beauvau de la sécurité » durera jusqu’à mai et prendra la forme d’un « grand débat » accompagné de réunions régulières avec les syndicats de police, a annoncé le ministre de l’Intérieur à ces derniers. « L’objectif est d’aboutir à une Lopsi », loi d’orientation et de programmation, pour 2022. Un « Observatoire des réponses pénales » aux atteintes contre les forces de l’ordre sera également mis en place le 1er juillet 2021, a précisé le ministère. Enfin, le ministre a aussi détaillé aux syndicats la prise en charge de la complémentaire santé et la gratuité des transports à partir de janvier 2022, « pour les trajets domicile travail des agents de police actifs en capacité d’intervention ». Face à ce programme, les sénateurs sont, pour le moins, dubitatifs.
« Danse du ventre syndicale »
Ce « Beauvau de la sécurité », Philippe Dominati le regarde d’un œil réprobateur. « J’observe simplement qu’il ne s’agit que d’une sorte de compétition syndicale et que le ministre en est l’otage », regrette le rapporteur de la mission sécurité du Budget 2021. Le sénateur Les Républicains rappelle que les syndicats des forces de l’ordre ont déjà été reçus par le ministre de l’Intérieur et le chef de l’Etat à plusieurs reprises. « Le ministre fait déjà un écart pour leur faire plaisir en se mettant dans la polémique de l’article 24 sur la proposition de loi Sécurité globale », souligne-t-il.
« Ce Beauvau », poursuit-il, « veut dire que le livre blanc de la sécurité ne sert à rien. C’est une pagaille monumentale », fustige-t-il. La situation rappelle au sénateur de Paris les conditions du départ de Christophe Castaner, l’ancien ministre de l’Intérieur. « Le président de la République lui a demandé de vérifier s’il n’y avait pas de racisme dans la police. Castaner s’est collé les syndicats à dos avec cette histoire. Ils ont fini par avoir sa tête. J’ai l’impression qu’il se passe la même chose », souffle-t-il. Il conclut : « Cette danse du ventre syndicale ou le pouvoir hésite entre deux syndicats n’est pas de bon augure. Ce qui a déstabilisé le budget de la mission sécurité, ce sont les revendications promises et non tenues. Depuis quatre ans, on n’a pas trouvé de solution aux conditions de travail des policiers, aux heures supplémentaires… » Pour rappel, le Sénat s’est longuement penché sur le malaise au sein des forces de l’ordre en 2018 dans un rapport de l’ancien sénateur François Grosdidier (LR).
Le livre (blanc) de la jungle
« Des mesurettes », dénonce quant à lui Michel Savin (LR), qui a interpellé le ministre mercredi lors des questions d’actualités au gouvernement. Le sénateur de l'Isère plaide pour l’arrêt « des comités divers et variés. Il faut des réponses concrètes. Tant que la confiance est rompue, le sujet de fond reste entier sur le manque des soutiens notamment dans la bouche du président de la République. Ce n’est pas avec des réunions qui vont s’éterniser que la confiance va revenir. Le mal des paroles est fait », estime-t-il. Gérald Darmanin ne recueille plus ses faveurs. « Il est beaucoup dans les annonces. Il essaye de calmer la fronde, peut-être qu’au départ, on avait le sentiment que c’était l’homme qu’il fallait. Il est certain que le président de la République ne l’aide pas », raille-t-il.
À propos du ministre, un parlementaire se gausse : « Cela me rappelle l’histoire du type qui court dans la jungle en étant poursuivi par un lion. Pendant qu’il raconte son aventure, son pote lui dit : ’t’es pour le lion ou pour moi ?’ On se demande si Darmanin est pour les policiers ou pour la société. » « Il a tellement poussé sur le registre sécuritaire, qu’il en a oublié qu’il était au service du gouvernement de la République. Le premier flic de France doit se mettre avant tout au service des citoyens, et ne pas être le premier VRP de la police », abonde le même.
Problème de calendrier parlementaire
Loïc Hervé, co-rapporteur de la proposition de loi Sécurité globale au Sénat pointe, lui, un problème de « timing ». « On a cette interrogation sur le planning, car pendant le Beauvau, on va aborder au Sénat la loi de sécurité globale et celle sur le séparatisme. On continue à avoir un timing qui s’entrechoque… » Et de poursuivre : « Vous imaginez l’examen du texte Sécurité globale pendant le Beauvau ? Je ne voudrais pas qu’on nous impose des conclusions du Beauvau dans le texte de loi ». Le sénateur centriste de la Haute-Savoie s’interroge aussi sur « la question de l’association du Parlement à ces travaux-là ». Comme Philippe Dominati, il se demande : « Que deviennent le livre blanc de la sécurité, les articles 24 de la loi de sécurité globale et 18 de la loi sur les principes républicains ? » Lui préférerait que l’exécutif s’en tienne déjà à l’application de la loi. « Que manque-t-il dans la loi actuelle ? ».
« On va se refaire une PPL sécurité globale en juillet prochain ? », s’étrangle lui aussi le sénateur socialiste Jérôme Durain. Il déplore la prise en compte du problème par la seule « focale » des conditions de travail des policiers. « La question c’est la place de la police de la République au milieu des citoyens », croit-il savoir. « Quand on voit le coup de forces de policiers sous les fenêtres d’une maire, il y a autre chose qui est en jeu », observe-t-il. Le sénateur de Saône-et-Loire enterre déjà cette nouvelle concertation. « Si le Beauvau pointe du doigt la réponse pénale et la société qui est méchante avec les policiers, cela ne peut pas marcher ». Il conclut, sans espoir : « Ce n’est pas le Beauvau de la sécurité, c’est le Beauvau de la police de la République ! »