Que s’est-il vraiment passé dans la soirée du 2 juin ? Une panne d’ampleur sur tout le territoire a perturbé l’acheminement des appels vers les numéros d’urgence (15, 17, 18 et 112). Des communications qui n’aboutissaient pas, ou qui s’interrompaient au bout de quelques secondes : au moins cinq décès pourraient être directement liés à l’impossibilité de joindre les plateformes. Plusieurs enquêtes judiciaires et administratives ont été ouvertes sur les circonstances de ces drames.
Orange a mené une enquête interne pour identifier les causes de l’incident, qui s’est poursuivi jusque dans la journée du 3 juin. L’entreprise a rendu publiques les grandes lignes ce vendredi 11, dans un communiqué qui souligne le caractère « rare » de l’évènement. Au total, environ 11 800 appels, soit 11 % du total d’appels, n’ont pas été acheminés vers les services d’urgence, selon Orange. Pour l’opérateur, il s’agit bien d’une « défaillance logicielle », conformément à la première hypothèse qui avait été mise en avant. Celle-ci aurait touché les calls servers. L’entreprise a conclu que le dysfonctionnement avait « porté sur l’interconnexion » entre « les services voix mobile » et voix « sur IP », et le réseau historique des téléphones fixes. L’incident fait « suite à une opération de modernisation et d’augmentation capacitaire du réseau, débutée début mai ». Le bug est « désormais identifié par le partenaire fournisseur des équipements concernés » et un correctif a été apporté.
« Ce n’est pas rassurant »
A la lecture de la synthèse, Patrick Chaize (LR) considère que « ce n’est pas rassurant ». Ce sénateur spécialisé sur les sujets des télécommunications (il siège à la commission supérieure du numérique) avait interpellé le gouvernement sur cette panne, lors des questions d’actualité du 9 juin. « Comme dans tout système, notamment de ce niveau-là, on peut imaginer qu’avant d’être déployé de façon industrielle, il y ait quand même des tests qui soient réalisés, qu’on éprouve le logiciel. C’est soit un excès de confiance, qu’on peut regretter, soit un peu de légèreté, j’ose aller jusque-là », réagit le sénateur de l’Ain. Selon lui, les entreprises de cette taille ont parfois tendance à « baisser la garde ».
Un point l’a particulièrement interpellé : les sites « redondants », ces sites appelés à prendre le relais en cas de dysfonctionnement, n’ont pas permis de contourner le problème pendant la crise. « La panne a été dupliquée cinq fois. On peut regretter que les matériels aient été équipés du même logiciel […] Si vous mettez cinq fois la même pièce, et qu’elle a le même défaut, elle va casser dans tous les cas. L’intérêt de la redondance, c’est la diversité. Pourquoi n’y a-t-il pas de diversité ? »
Orange reconnaît que sa cellule de crise a eu du retard à l’allumage
Orange affirme que ses équipes ont « identifié le dysfonctionnement logiciel immédiatement, grâce aux systèmes d’alerte internes », mais que la « complexité » de la panne a « retardé le diagnostic ». L’enquête du groupe souligne notamment « le retard dans l’activation de la cellule de crise managériale ». Celle-ci a notamment eu pour conséquence une « communication tardive vers toutes les parties prenantes ». Patrick Chaize en revient à son intervention en hémicycle. « Le problème s’est posé dans l’interconnexion entre les deux technologies. Ce qu’il faut, c’est accélérer le transfert de technologie, accélérer la desserte en fibre optique du territoire national et faire en sorte qu’on arrête le cuivre. »
Dans les recommandations qu’elle formule, l’inspection générale du groupe préconise notamment de réduire de deux heures à 30 minutes le délai maximum de déclenchement d’une cellule de crise, en cas de perturbation des services d’urgence. Elle suggère également la mise en place d’un numéro dédié, disponible en permanence, pour les services de l’Etat, les SAMU ou encore les hôpitaux. Autre proposition : l’envoi de consignes par SMS aux usagers, en cas de panne sur les numéros d’urgence.
« Les solutions à mettre en œuvre sont plutôt positives », selon Patrick Chaize
Le volet solutions du rapport est salué par le sénateur Patrick Chaize. « Je trouve que les solutions à mettre en œuvre sont plutôt objectives et rassurantes, positives. Je dirais que c’est quand même dommage qu’il faille un incident pour mettre en place des mesures de ce type-là. Ces entreprises devraient anticiper les problèmes », regrette néanmoins le parlementaire de l’Ain.
Selon le gouvernement, ce sont les services de l’Etat qui ont détecté en premier une dégradation sensible du service. Les préfectures avaient enregistré une baisse anormale de 30 % des appels (par rapport à la moyenne) vers les numéros d’urgence. La société Orange n’avait reconnu le problème qu’une heure « après les services de l’Etat », avait affirmé Gérald Darmanin au Sénat. Lors d’un point presse qui s’était tenu quelques heures après le déclenchement de la crise, le ministre de l’Intérieur avait dénoncé des dysfonctionnements « graves et inacceptables ». 400 numéros provisoires et de contournement avaient pris le relais dans 80 départements.
Reste désormais la propre enquête indépendante des services de l’Etat. A la demande de Matignon, un audit a été lancé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), avec le concours d’autres inspections. Le rapport est attendu dans un délai de deux mois. Au Sénat, Gérald Darmanin n’avait pas voulu exclure la piste de l’attaque informatique : « Nous n’excluons aucune cause. Nous ne sommes pas capables aujourd’hui de comprendre ce qu’il s’est passé exactement. »
Le PDG d’Orange Stéphane Richard sera auditionné par les députés
Le Parlement lui aussi veut comprendre. Le PDG d’Orange Stéphane Richard sera auditionné le mercredi 16 juin devant la commission des affaires économiques du Sénat. Patrick Chaize ne demande pas de rendez-vous similaire au Sénat. « Cela ne sert à rien d’essayer de faire les choses vite, si ce n’est pour communiquer. » D’autant que la Haute assemblée serait totalement prise par les débats sur le projet de loi climat. « Il faut que les choses mûrissent un peu, que l’Anssi expertise. Une fois qu’on aura l’ensemble des résultats, on pourra se mettre tranquillement autour de la table et voir s’il y a des besoins d’encadrement et d’accompagnements législatifs ».
Et si c’était le cas, la fenêtre est toute trouvée. La commission des lois va travailler à partir de cet été sur la proposition de loi du député Fabien Matras (LREM), transmise fin mai par l’Assemblée nationale. Ce texte « visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels » propose, à l’un de ses articles, d’expérimenter localement une fusion des plateformes d’appels d’urgence, dans la perspective d’un numéro unique d’urgence. « La panne, que nous avons connue, montre un point de faiblesse dans l’organisation du système de secours, qu’il convient de corriger », avait annoncé le 9 juin, le président de la commission, François-Noël Buffet (LR). Les premières auditions des rapporteurs devraient débuter en juillet.