Panthéonisation de Robert Badinter : « Il y a entre la dictature et la peine de mort un lien secret, mais absolu »

ARCHIVES. A quelques jours de l’entrée au Panthéon de Robert Badinter, c’est l’occasion de revoir l’émission « Un monde un doc » consacré au père de l’abolition de la peine de mort. En octobre 2021, l’ancien garde des Sceaux avait accepté de revenir sur le parcours législatif du texte.
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« Je la sentais vivante la peine de mort, comme une bête ». Dans un entretien exclusif donné à Public Sénat, il y a quatre ans, dans l’émission « Un monde un doc », présenté par Rebecca Fitoussi, Robert Badinter se rappelle l’extrême tension qui l’habitait lorsqu’avocat, il défendait un accusé sous la menace d’une condamnation à mort. « Au printemps 1981, j’ai dit à Elisabeth (Badinter), ou bien Mitterrand sera élu et on abolira, ou bien Giscard sera élu et moi je claquerai du cœur à l’audience ».

Quelques années avant sa mort, l’ancien garde des Sceaux était revenu longuement sur le parcours législatif de l’abolition de la peine de mort. A la surprise de Robert Badinter, François Mitterrand a eu une position franche sur cette question, interrogé dans l’émission « Cartes sur table » par Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel durant la campagne présidentielle. « Ce que je redoutais c’était une phrase à la Mitterrand, élégante, très littéraire avec  une ambiguïté structurelle. Mais là, il a été le plus clair et net que possible. C’était un acte de courage politique », a-t-il estimé.

« C’est au Sénat que s’est jouée la partie décisive »

Il n’aura fallu que quelques mois après l’élection de François Mitterrand pour que la peine de mort soit abolie. Mais si son passage à l’Assemblée nationale largement acquise à l’abolition n’est qu’une formalité, son examen au Sénat est à l’époque redouté par l’ancien garde des Sceaux : « A l’Assemblée le contrat était fait. On savait tous, qu’avec une majorité de gauche ce serait l’abolition. C’était un exercice intéressant, important, émouvant tout ce qu’on veut… mais le résultat était connu d’avance. Pas au Sénat. Et je dois dire que c’est au Sénat que s’est jouée la partie décisive ».

Une partie décisive et une course contre la montre pour Robert Badinter : « Mitterrand avait demandé une session extraordinaire de 15 jours pour faire passer le texte, et évidemment je savais que si le texte n’était pas voté dans les mêmes termes que l’Assemblée, allait commencer une navette qui durerait les mois suivants, et je ne pouvais pas imaginer être le garde des Sceaux d’une justice qui tuait. »

Les vieilles moustaches des sénateurs

Rétrospectivement, l’ancien ministre de la justice se souvient des mauvais augures qui l’avaient alerté à l’époque sur l’opposition supposée des sénateurs : « On m’avait dit « ce sont des vieilles moustaches » ils vont vous promener, vous êtes un novice. Ils vont peut-être vous voter l’abolition, mais ça sera tellement conditionné que vous serez contraint de faire des navettes et le texte ne sera pas voté avant le printemps. » Contraint de lever des obstacles pour faire adopter son texte à la haute Assemblée, Robert Badinter va user d’une autre stratégie que celle qui a été la sienne à l’Assemblée : « Premièrement je me suis dit : pas de discours flamboyant comme à l’Assemblée, deuxièmement la ligne directrice qui peut conduire au succès c’est l’Europe. Nous étions le dernier Etat (ndlr : à pratiquer la peine de mort en Europe) […] C’était une honte pour la France qui se voulait patrie des Droits de l’Homme ».

Les délices du parlementarisme

Au Sénat, ajoute-t-il : « j’ai retrouvé les délices du débat parlementaire […] là c’était uniquement le talent, la qualité de l’argumentation et les convictions variables des différents groupes qui pouvaient décider. Ce n’était pas monolithique comme à l’Assemblée. J’ai vu des choses étonnantes, j’ai vu à la buvette des sénateurs communistes qui se retrouvaient avec des sénateurs de la droite. Je sentais que se faisaient des alliances étonnantes et jusqu’au bout ça a été incertain. Au bout de trois jours de débat le texte a été adopté le 30 septembre 1981, il était très exactement 12 h 25 », se souvient-il précisément.

Robert Badinter avait dit ne pas craindre le retour de la peine de mort en France jugeant impossible cette perspective sauf dans un cas. « Si la France redevenait une dictature comme certains moments de son histoire […] il y a entre la dictature et la peine de mort un lien secret mais absolu. Je refuse cette hypothèse pour la France […] La peine de mort c’est du passé », concluait-il.

 

 

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