Panthéonisation du résistant communiste Missak Manouchian : « Vous entrez ici en soldat avec vos camarades », salue Emmanuel Macron

« La France reconnaissante vous accueille », a déclaré le président de la République pour la panthéonisation de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée, lors d’une cérémonie émouvante. A travers lui, ce sont ses 23 compagnons d’armes fusillés par les nazis, et tous les Francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée, les FTP-MOI, à qui la France rend hommage. « La France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent 24 fois la France », a affirmé Emmanuel Macron.
François Vignal

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« Il pleut sur Paris. Et la France reconnaissante vous accueille. Missak et Mélinée, destins d’Arménie et de France, amour enfin retrouvé. Missak, les vingt et trois, et avec eux tous les autres, enfin célébrés. L’amour et la liberté pour l’éternité ». C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron a conclu son discours pour la panthéonisation de Missak Manouchian, résistant communiste d’origine arménienne, apatride, chef militaire de la région parisienne des Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, les FTP-MOI, fusillé le 21 février 1944 avec ses compagnons d’armes sur le Mont Valérien.

« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », dit le fronton du Panthéon. Ce mercredi 21 février 2024, ce n’est pas seulement Missak Manouchian et son épouse, Mélinée, deux héros de la résistance, qui font leur entrée aux côtés des illustres Jean Moulin, Pierre Brossolette ou Germaine Tillion, ou des grands écrivains français qu’il chérissait, lui l’ouvrier poète, qui les traduisait. Mais aussi tous ces étrangers qui ont combattu à ses côtés contre l’occupant nazi, pour la France, leur terre d’accueil. Etranger, il demanda plusieurs fois la nationalité française, « en vain, car la France avait oublié sa vocation d’asile aux persécutés », dit le Président. Lors de son pseudo-procès, après son arrestation, il lance, bravache, aux policiers collaborateurs, « vous avez hérité de la nationalité française. Nous, nous l’avons méritée », rappelle le chef de l’Etat.

« Entrent aujourd’hui au Panthéon 24 visages parmi ceux des FTP-MOI, 24 visages parmi des centaines de combattants et otages fusillés »

« Vous entrez ici en soldat avec vos camarades », affirme Emmanuel Macron, avant d’ajouter, en référence au « entre ici Jean Moulin » d’André Malraux : « Entrent aujourd’hui au Panthéon 24 visages parmi ceux des FTP-MOI, 24 visages parmi des centaines de combattants et otages fusillés comme eux, dans la clairière du Mont Valérien. Et qui tous désormais sont reconnus comme morts pour la France. Oui, la France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent 24 fois la France ». « Mort pour la France », l’hommage ne peut en réalité être rendu à un étranger. C’est cette injustice que le chef de l’Etat vient ici réparer en partie.

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C’est après les manifestations des ligues fascistes, le 6 février 1934, que Missak Manouchian « embrasse l’idéal communiste, convaincu que jamais en France on n’a pu impunément séparer République et Révolution. […] Il rêve d’émancipation universelle, pour les damnés de la terre. C’est ainsi qu’il s’engage, contre le fascisme, au sein de l’internationale communiste », raconte Emmanuel Macron.

« Ivre d’un grand rêve de liberté, Missak Manouchian prend tous les risques »

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » demande plusieurs fois Emmanuel Macron. « Oui, s’ils sont libres ». Et « Missak Manouchian l’était ». Quand la guerre éclate, « il s’engage ». « Il se voulait poète, il devient soldat de l’ombre », « ivre d’un grand rêve de liberté, Missak Manouchian prend tous les risques », avec ses camarades, juifs, républicains espagnols, Italiens antifascistes, Arméniens, Français, « une belle équipe ». « Ils sont une bande de copains, à la vie, à la mort ».

Emmanuel Macron cite les « 24 noms », « mais avec eux, tout le cortège des FTP-MOI, trop longtemps confinés dans l’oubli ». Ils multiplient les actes de bravoures, font dérailler des trains, attaques des nazis, après filatures, et « réussissent à exécuter un haut dignitaire du Reich ». Vite, « ils sont traqués » par « la police de Bousquet, de Laval, de Pétain ». La mort comme seule issue. Mais « qui meurt pour la liberté universelle a toujours raison devant l’histoire », dit aujourd’hui Emmanuel Macron, devant les deux cercueils recouverts du drapeau tricolore, qui s’apprêtent à descendre dans la crypte rejoindre Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Emile Zola, Pierre et Marie Curie, Jean Jaurès, Joséphine Baker ou Simone Veil. « C’est ainsi que les grands hommes, en France, vivent pour l’éternité », lance Emmanuel Macron.

Sont présents François Hollande, des ex-premiers ministres et… Marine Le Pen

Devant lui, François Hollande est présent en tant qu’ancien Président. A sa droite, le premier vice-président du Sénat, le sénateur LR Mathieu Darnaud, représente Gérard Larcher, en visite officielle en Inde. Une brochette d’ex-premiers ministres juste derrière, avec de gauche à droite : Elisabeth Borne, Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault, Lionel Jospin. Sont également présents des membres du gouvernement, et au premier rang, le député et numéro 1 du Parti communiste français, Fabien Roussel.

Malgré les réserves exprimées par Emmanuel Macron, Marine Le Pen, la leader d’extrême droite, héritière d’un courant de pensée politique que Manouchian a justement combattu, est bien présente, comme le relève Libération sur une photo.

La lettre d’adieu, terriblement émouvante, de Missak Manouchian à sa femme Mélinée

Cette cérémonie, pleine d’émotions, forte, a commencé sous la pluie, le vent. Le chanteur Patrick Bruel lit la lettre d’adieu, terriblement émouvante, que Missak Manouchian écrit à sa femme Mélinée. « Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas, mais pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais », écrit Missak Manouchian. Il exprime « un regret profond, de ne pas avoir pu rendre heureuse » Mélinée, qui voulait être enceinte de Missak. Dans un geste d’amour ultime, il demande à sa femme de retrouver un compagnon. « Je te pris d’avoir un enfant après la guerre », écrit celui qui vit ses dernières heures. « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand », soutient encore Manouchian, qui « pardonne à tous ceux qui (lui) ont fait du mal », « sauf à celui qui nous trahi pour racheter sa peau ». S’en suit l’appel des morts par l’acteur et réalisateur Serge Avedikian, qui lit les 24 noms lus par ordre alphabétique, suivis de la mention « mort pour la France ».

Le cortège des deux cercueils, portés au pas lent des soldats de la Légion étrangère, remonte le long de la rue Soufflot, qui mène au Panthéon. Trois tableaux suivent, « survivre », avec l’interprétation du morceau « Ils sont tombés » de Charles Aznavour, par 90 enfants de la chorale de la maîtrise populaire de l’Opéra-comique. « Choisir », avec des extraits de textes des carnets de Missak Manouchian. « Résister », avec le morceau « La complainte du partisan » par les mêmes enfants.

« Feu ! Chatterton » chante « L’affiche rouge » de Léo Ferré

Le traditionnel « Chant des Partisans », toujours vibrant, est interprété par le Chœur de l’Armée Française, avant une touche plus actuelle, quand le groupe « Feu ! Chatterton », qui interprète « L’affiche rouge », chanson composée par Léo Ferré sur le texte d’un poème de Louis Aragon. Regardez :

L’affiche rouge, celle de la propagande nazie, qui vise Missak Manouchian et ses frères d’armes. Arthur Teboul, de « Feu ! Chatterton », chante les mots de Léo Ferré et Louis Aragon, qui se termine ainsi : « Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent. Vingt et trois qui donnaient leurs cœurs avant le temps. Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant. Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir. Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ».

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