Retailleau Macron
Crédit : Christian Liewig-POOL/SIPA

Par sa stratégie « des petits cailloux », Bruno Retailleau envoie « des marqueurs de droite » et sème la zizanie avec les macronistes

En attaquant le chef de l’Etat et en prédisant la fin du macronisme, le ministre de l’Intérieur continue de marquer sa différence. Une manière de préparer une éventuelle candidature à la présidentielle, tout en restant au gouvernement. Mais il met le socle commun sous haute tension. « Ça ne pourra pas durer très longtemps, c’est clair », met en garde François Patriat, fidèle du chef de l’Etat.
François Vignal

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Il remet une pièce dans la machine et tout le monde embraye. Bruno Retailleau crée l’émoi en macronie. Qu’a fait le ministre de l’Intérieur ? Il a répété ses critiques sur le macronisme, en prédisant même sa fin.

« Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron, tout simplement » parce qu’il « n’est ni un mouvement politique, ni une idéologie : il repose essentiellement sur un homme », affirme Bruno Retailleau à Valeurs Actuelles. Le médiatique ministre de l’Intérieur insiste : « Je ne crois pas au en même temps », lance l’ancien président du groupe LR du Sénat, « car il alimente l’impuissance ». Rien de très nouveau. Le ministre a régulièrement mis sous tension le socle commun ces derniers mois par ses prises de position, souvent divergentes voire opposées à celle des macronistes. En mai, juste après sa victoire à la tête des LR, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, membre des Républicains, avait déjà mis le feu en estimant que « le macronisme trouvera une fin dans les mois qui viennent ».

« Il faut en effet pour le bien du pays rompre avec le macronisme »

Une ligne parfaitement assumée côté LR. « Nous sommes dans une coalition gouvernementale, en responsabilité, car il fallait donner un budget à la France et un gouvernement. Mais notre opposition au macronisme est ancienne, constante et n’a pas commencé aujourd’hui », soutient ce mercredi le sénateur Max Brisson, porte-parole des sénateurs LR. Ce proche du ministre ajoute que « le en même temps nous a semblé être un poison dont les effets délétères ne cessent de se confirmer. Il faut en effet pour le bien du pays rompre avec le macronisme ».

« Cela fait partie de ce moment politique particulier, que j’appelle parfois la polyphonie, qui est un assemblage auquel nous avons, les LR, accepté de participer », tempère à l’issue du Conseil des ministres, Sophie Primas, ce mercredi. Attention aux assemblages trop complexes cependant, au risque de rendre la cuvée indigeste.

Les ministres montent au front

Pour le camp présidentiel, elle l’est déjà. Car la nouvelle salve du Bruno Retailleau, faite qui plus est dans le célèbre hebdomadaire d’extrême-droite, passe très mal chez les membres de Renaissance. Plusieurs ministres sont montés au front sur X. « Le macronisme est une idéologie ET un parti politique. Tenter de diviser le socle commun, c’est affaiblir les remparts contre les extrêmes ! » a rétorqué la ministre de l’Education nationale, Elisabeth Borne.

« Diviser pour diviser ne constitue pas un projet », tance Agnès Pannier-Runacher. « Le manque de respect n’est pas la meilleure manière de bâtir un projet rassembleur pour le pays », ajoute le ministre Marc Ferracci, proche du Président. « Le macronisme ne s’arrêtera pas. Ni aujourd’hui, ni dans deux ans, ni après », soutient Aurore Bergé. Des propos « Inacceptables » pour le parti Renaissance, qui pointe « les petits calculs politiques ».

« Bruno Retailleau peut quitter le gouvernement et aller s’occuper de son parti. Personne ne le pleurera »

« Si vraiment la macronie vit ses dernières heures, alors pourquoi passe-t-il autant de temps et d’énergie à taper dessus, matin, midi et soir ? Ça n’a absolument pas de sens », attaque à son tour sur BFMTV Prisca Thevenot, proche de Gabriel Attal.

Chez les parlementaires, certains vont jusqu’à mettre sur la table la démission du turbulent ministre de l’Intérieur. « Quand on est ministre du gouvernement, qu’on est nommé par le président de la République, on n’attaque pas le président de la République. Ça me semble être un principe assez simple, basique. Si Bruno Retailleau est si mal à l’aise avec le président de la République et son courant politique, il peut quitter le gouvernement et aller s’occuper de son parti. Personne ne le pleurera », nous affirme Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance et président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée.

« Ce n’est pas nouveau. Il l’a toujours affirmé à la tribune du Sénat. Maintenant qu’il est ministre de l’Intérieur, il devrait être tenu à une certaine réserve compte tenu du fait qu’il est dans un gouvernement du bloc central. Ou le bloc central n’existe pas et on fait semblant. Ou il y a un minimum de cohésion gouvernementale. C’est difficile de s’en prendre à ce point au Président alors qu’il a été nommé par lui », met en garde de son côté le patron des sénateurs Renaissance, François Patriat, fidèle de la première heure d’Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron renvoie Bruno Retailleau à ses dossiers durant le Conseil des ministres

Le chef de l’Etat a justement profité du huis clos du Conseil des ministres pour renvoyer le ministre à ses dossiers. « Monsieur le ministre d’Etat, justement, pouvez-vous nous faire un point sur les violences urbaines qui ont eu lieu ces derniers jours et qui ont choqué les Français ? » a demandé le Président, selon Le Parisien, insistant encore : « Il y a des violences urbaines. Il faut les régler ». Manière de le renvoyer à son bilan, ou plutôt à un manque de résultats. Et d’ajouter un peu plus tard à qui veut l’entendre : « A force de faire dans le simplissime, on finit toujours par suivre quelqu’un plus simple que soi »…

Interrogé au cours d’un déplacement dans l’après-midi, le ministre corrige : « Ça s’est très correctement passé » en Conseil des ministres, assure-t-il. Pour le reste, il minimise et ne voit « pas ce qu’il aurait pu dire de nouveau ». « Nous avons, avec LR, décidé collégialement, il y a plusieurs mois, d’entrer au gouvernement. Pas parce que nous sommes des proches du chef de l’Etat, pas parce que nous sommes macronistes, mais car nous voulions éviter le pire », soutient Bruno Retailleau, « donc il y a un gouvernement qui réunit les bonnes volontés. Un gouvernement que j’appellerais d’utilité publique, où on a des sensibilités différentes ».

« Il y a un moment, il faudra bien choisir entre l’éventuelle candidature et le maintien au gouvernement » prévient François Patriat

Le ministre de l’Intérieur se retrouve en réalité sur « une ligne de crête », comme dit un macroniste. Son entrée au gouvernement n’avait rien d’évidente pour celui qui était l’un des plus fervents opposants au chef de l’Etat. Mais son pari s’est avéré gagnant : il lui a apporté la notoriété qui lui manquait. Il explique sûrement en partie son succès face à Laurent Wauquiez pour la présidence LR. Mais de l’autre, l’enjeu pour lui est de ne pas se laisser emporter avec la fin d’Emmanuel Macron, dans un message qui pourrait paraître brouillé pour les électeurs LR, surtout s’il se présente à la présidentielle de 2027. D’où sa volonté de se démarquer régulièrement, pour rappeler d’où il vient et où il va, tout en restant à l’Intérieur. Un équilibre précaire.

« Il y a un moment, il faudra bien choisir entre l’éventuelle candidature et le maintien au gouvernement », soutient François Patriat. « Il est un ministre tacticien. Il est déjà dans le combat présidentiel », décrypte le président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat. Mais « ça ne pourra pas durer très longtemps, c’est clair », croit François Patriat. Bruno Retailleau et Emmanuel Macron doivent se voir demain matin, en tête à tête. « Ils vont s’expliquer. J’imagine qu’il y aura une explication franche entre lui et le Président », pense le sénateur Renaissance de la Côte-d’Or.

« Bruno Retailleau est en train de consolider un électorat qui est la base du premier tour »

Pour le ministre de l’Intérieur, cette nouvelle sortie s’explique aussi par des enjeux internes. « Nous avons un congrès fin août et nous sommes en refondation », explique un membre des LR. Surtout, Bruno Retailleau cherche, depuis des mois, à envoyer des messages à son électorat. « Il sème des petits cailloux qui sont des marqueurs de droite. Il est en train de consolider un électorat qui est la base du premier tour », confie un membre de la direction des LR. Et les macronistes n’en sont pas au bout de leur peine : ce n’est pas fini. « Il faut le réaffirmer régulièrement. Ce n’est pas un one shot. La pédagogie, c’est l’art de la répétition et sur la durée », lâche un LR.

Mais avant une éventuelle candidature pour 2027, il y a encore quelques étapes à franchir pour le Vendéen. « Colline après colline », tempère un fidèle, « il faudra voir si ces petits cailloux font un chemin ». Et le ministre devra encore muscler son jeu et son club. « Si on croit à la candidature Retailleau, la structuration de cette candidature est à faire, sinon, on refait les mêmes bêtises qu’en 2022 et on est à moins de 5 % », met en garde un parlementaire LR.

« Si nous devons en partir, ce sera collégialement »

Cette montée progressive des tensions pourrait aussi permettre de préparer, pour Bruno Retailleau, sa sortie du gouvernement. Car s’il est candidat en 2027, il devra reprendre sa liberté, même s’il peut aussi être tenté de rester ministre le plus longtemps possible, voire jusqu’au bout. « Je ne suis pas sûr qu’en quittant le gouvernement, il ne perdrait pas en popularité », remarque ainsi François Patriat.

Pour l’heure, il n’est pas question de claquer la porte. « Evidemment, il restera au gouvernement », affirme ce mercredi Sophie Primas. A moins qu’Emmanuel Macron ne rappelle demain, à Bruno Retailleau, qu’« un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Chevènement ? Mais pas sûr que le Président ait encore ce poids politique. « Nous sommes entrés collégialement au gouvernement. Si nous devons en partir, ce sera collégialement », souligne un dirigeant LR, qui soutient qu’« Emmanuel Macron ne peut démissionner aucun ministre ». Autrement dit, ce ne sera pas l’Elysée qui décidera, mais bien Bruno Retailleau, s’il doit quitter le navire et quand. Petit indice : la désignation de celui qui portera les couleurs des LR à la présidentielle interviendra « certainement après les municipales » de mars 2026. A ce rythme de polémiques, ça risque d’être long.

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