« Le pari sportif est une addiction, au même titre que peut l’être l’alcoolisme, le tabagisme, la drogue ». Pour justifier sa dernière proposition de loi, signée par l’ensemble du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) , le sénateur Fabien Gay rappelle l’enjeu de santé publique que représente ce secteur d’activité, tout en pointant la responsabilité des entreprises de paris en ligne : « D’un côté, 15 % des parieurs sont sujets à un problème de jeu excessif ce qui peut avoir des conséquences dramatiques d’isolement, d’endettement et d’exclusion sociale. De l’autre, 40 % du chiffre d’affaires des entreprises est dû à ces joueurs excessifs. »
Le sénateur communiste de la Seine-Saint-Denis dresse le portrait d’un secteur qui a fortement évolué depuis la loi de 2010 qui a ouvert à la concurrence les jeux d’argent et de hasard en ligne. « En 2010, vous aviez 800 000 joueurs, en 2020, c’est plus de 4 millions », se désole-t-il. Cette proposition de loi (PPL) a été élaborée en collaboration avec des associations, la Fédération Addiction, l’Association Addictions France ainsi qu’avec le sociologue Thomas Amadieu, spécialiste du sujet. Ce dernier relève même une « épidémie cachée d’addiction aux jeux d’argent » et salue les modifications qu’apporterait l’adoption d’une telle loi.
Réguler, pas interdire
« Les industries des jeux mettent en avant une stratégie d’offre responsable qui permet de repousser la régulation. Et ça marche ! Aujourd’hui, ce qui est privilégié, c’est la signature de la charte », indique Thomas Amadieu, également Professeur associé à l’ESSCA School of Management. C’est avec ces pratiques que Fabien Gay souhaite rompre en proposant un cadre légal qui spécifie non pas ce qui est interdit, mais ce qui est autorisé : « Parce qu’une fois qu’on fait ça, il n’y a plus de place pour l’interprétation. » Il défend une démarche de régulation basée sur celle, « équilibrée » de la Loi Evin : « Nous ne voulons pas interdire les paris en ligne, ce n’est pas une solution. »
Dans cette PPL composée de quatre articles, le premier objectif est d’encadrer très strictement les publicités des entreprises de paris en ligne qu’il juge omniprésente lorsqu’il regarde les matchs de la Coupe du Monde de Football qui se déroule en ce moment au Qatar : « Avant, pendant, après les matchs, entre les hymnes et le coup d’envoi, vous avez des pubs qui vous incitent à parier. » Ainsi, le premier article vise à limiter le contenu de ces annonces à des informations factuelles : le nom du jeu, sa nature, ses règles de fonctionnement, les indications du ou des sports concernés et les modalités d’inscription. En conséquence, cette disposition vise à interdire l’utilisation de personnalités populaires pour des contrats de sponsoring, notamment auprès des jeunes, les slogans et les mises en scène de moments de joie des publicités.
Limiter les supports publicitaires et au-delà
Mais l’article 1 ne s’arrête pas là. Il n’autorise les publicités de paris sportifs que dans les journaux de presse écrite à l’exclusion de la presse jeunesse et à la radio et la télévision uniquement entre 00 h et 6 h. De cette façon, ces annonces disparaîtront des plateformes de vidéos à la demande comme YouTube et ne pourront plus être mises en avant par des influenceurs ou via des contrats de sponsoring, y compris sur les terrains de football, de rugby ou les stations de métro et de bus. La PPL a aussi pour but d’interdire les offres promotionnelles des entreprises de paris en ligne qui incitent à parier. « Ces offres invitent les joueurs à dépenser leur argent sur le site et font croire, notamment aux jeunes, qu’ils peuvent devenir extrêmes riches », détaille Fabien Gay.
De plus, si une entreprise de jeux en ligne ne respecte pas la loi sur les communications commerciales des jeux d’argent, elle ne s’expose qu’à une amende de 100 000 euros. Trop peu pour être dissuasif selon Fabien Gay : « Quand vous voyez que Winamax fait 300 millions de chiffres d’affaires en 2021… » Il propose donc une sanction à hauteur de 2 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce respect de la loi pourra être aussi assuré par les associations puisque le texte veut leur donner la possibilité de saisir la justice. « L’article 3 souhaite étendre aux paris sportifs le pouvoir des associations conférées par la loi Evin en matière de publicité sur l’alcool et le tabac. »
Interpeller le gouvernement
Sur ses chances de voir débattue et adoptée sa proposition de loi « visant à renforcer la régulation des pratiques commerciales des opérateurs de paris sportifs », Fabien Gay est lucide : « Nous sommes 15 sénateurs dans le groupe CRCE sur 348. Si nous voulons la faire adopter, il faut élargir. » Le sénateur communiste a tout de même en mémoire son amendement sur la régulation des paris sportifs déposé (mais rejeté au titre de l’article 40) lors des discussions sur les mesures pour la protection du pouvoir d’achat : « J’avais noté l’intérêt de beaucoup de parlementaires ». À ce moment-là, en plus des membres du groupe CRCE, les sénateurs socialistes (SER), Xavier Iacovelli (Renaissance) ainsi qu’Arnaud Bazin (Les Républicains) avaient applaudi.
Prochaine étape au mois de janvier pour le sénateur communiste et les associations qui l’accompagnent. « Nous enverrons cette proposition de loi aux ministères de la Santé et de l’Économie et demanderons un rendez-vous avec les ministres », indique-t-il. Fabien Gay rappelle aussi que sa démarche est complémentaire de la PPL analogue déposée à l’Assemblée nationale par le député communiste Pierre Dharréville en novembre. « Nous voulons faire évoluer les mentalités. Maintenant, on appelle le gouvernement et tous ceux qui le veulent, à se saisir de ce problème de santé publique », lance Fabien Gay en guise de conclusion, tout en promettant d’« aller jusqu’au bout ».