A l’origine, la loi sur le devoir de vigilance devait obliger les entreprises à prévenir les violations de droits humains et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur. Le rectificatif adopté (Omnibus) baisse les ambitions du texte et réduit le nombre s’entreprises concernées. Pour François-Xavier Bellamy, eurodéputé LR, membre du PPE cette simplification permet de « sauver les entreprises de l’asphyxie normative », Jordan Bardella le patron des Patriotes pour l’Europe se réjouit d’avoir prouvé qu’une « autre majorité est possible. »
Justement, pourquoi est-ce que cette alliance a vu le jour ? Quelles seront les conséquences politiques pour la suite ? Entretien avec Francisco Roa Bastos, maître de conférences en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
La droite conservatrice (PPE), majoritaire au Parlement européen, s’est donc alliée avec les trois forces d’extrême-droite, même les plus sulfureuses, pour réduire le nombre de sociétés concernées par le devoir de vigilance (qui oblige ces sociétés à prévenir les violations de droits humains et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur). Est-ce qu’on peut dire qu’il s’agit d’un moment charnière au Parlement ?
« C’est en tout cas un moment marquant. Parce que c’est une première sur un texte législatif qui aura des conséquences sur la réglementation européenne. Jusqu’à présent, cette majorité droite-extrême droite (surnommée majorité Venezuela), ne s’était vue que sur des amendements ou des textes non contraignants. Là, il s’agit d’un point important du Pacte vert, cet ensemble de textes ambitieux écologiquement, porté lors de la précédente mandature.
« Est-ce que cela veut dire que cette majorité va rester systématiquement en place ? Je dirais non. Déjà parce que ce n’est pas la manière de procéder au Parlement européen, les majorités changent, texte par texte. Et puis ce n’est pas dans l’intérêt du PPE de se montrer systématiquement aligné sur l’extrême-droite. Au contraire, il est sorti renforcé des élections de 2024, il montre qu’il est pivot et qu’il choisit les majorités en fonction de ses intérêts. »
Traditionnellement, la majorité que l’on voit le plus au Parlement, c’est une majorité centrale, entre le PPE, les sociaux-démocrates (S & D) et les libéraux. Pourquoi est-ce que sur ce texte, le PPE s’est allié à l’extrême-droite ?
Parce que le PPE considère que ce texte qui simplifie les exigences environnementales de la précédente loi, répond à une attente de ses électeurs. Il se veut le parti des citoyens, des entreprises qui n’en peuvent plus des normes et des règlementations. Il considère donc qu’il répond à leurs attentes en limitant les contraintes pour les entreprises et que ce n’est pas de son fait, si l’extrême-droite est aussi de cet avis. Il s’agit plus d’une alliance de circonstance que d’un alignement des idées.
Voilà pour la version officielle, mais c’est aussi un moyen de pression que le PPE a entre ses mains. Il peut maintenant dire à ses partenaires traditionnels (les sociaux-démocrates et les libéraux), « si vous n’êtes pas prêts à faire des concessions dans les négociations futures, alors je peux m’allier à l’extrême-droite. » La situation va forcément se reproduire, car il y a une volonté à droite de déréglementation et de simplification notamment sur les textes en faveur de l’écologie. Donc ça va forcément arriver. »
Mais est-ce que le PPE ne risque pas de se mettre ses alliés historiques à dos ?
« En effet, il joue un jeu un peu dangereux. S’il s’aligne de manière trop claire avec l’extrême-droite, il risque d’énerver les sociaux-démocrates (S & D). Or, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne est membre du PPE. Elle a déjà déjoué ces derniers plusieurs motions de censures notamment venues de l’extrême-droite. Cela pourrait devenir compliqué pour sa survie si les S & D soutenaient une nouvelle motion de censure, parce qu’ils sont énervés par l’attitude du PPE. Le PPE est donc sur la ligne de crête : il a un moyen de pression avec cette nouvelle majorité Venezuela, mais il ne doit pas trop en abuser vis-à-vis de ses partenaires traditionnels. »