Après des débats houleux à l’Assemblée la semaine dernière, le projet de loi portant le passe vaccinal fait son arrivée au Sénat. Fidèles à leur ligne fixée depuis le début de la crise sanitaire, les sénateurs sont prêts à accorder au gouvernement les moyens de lutte contre l’épidémie. Mais en les encadrant. La majorité sénatoriale soutient donc le principe du passe vaccinal, malgré des divisions chez les sénateurs LR. En commission, elle a adopté le projet de loi, non sans l’avoir amendé en de nombreux points. Pour la séance, ce mardi, près de 200 amendements sont déposés.
Le rapporteur du texte, le sénateur LR Philippe Bas, défend « une approche de responsabilité face à la crise sanitaire, et civique, dans la défense des libertés républicaines ». « Nous n’acceptons les mesures de contraintes que si elles sont strictement proportionnées aux objectifs de santé publique que nous poursuivons », défend l’ancien président de la commission des lois, interrogé par publicsenat.fr après la réunion de la commission.
Ainsi, si la majorité sénatoriale « adopte le passe vaccinal, nous n’avons accepté ce principe qu’au nom d’un bénéfice sanitaire direct pour les personnes non vaccinées », dont le risque de développer une forme grave de la maladie est plus important que les vaccinés. Aux yeux de Philippe Bas, « ce n’est en aucun cas une forme de chantage », « il s’agit pour moi d’une mesure de protection et non pas d’une punition ».
Passe vaccinal limité selon le niveau de l’épidémie et le taux de vaccination par département
On connaissait l’objectif des sénateurs, celui de créer un mécanisme de péremption dans le temps du passe vaccinal, pas encore les modalités. C’est maintenant chose faite. La commission a fixé plusieurs critères sanitaires permettant d’encadrer le dispositif, et surtout savoir quand l’appliquer ou pas, en adoptant un amendement du rapporteur, le sénateur LR Philippe Bas. « Cet amendement prévoit que le passe vaccinal ne pourra être imposé que lorsque le nombre d’hospitalisations liées à la covid-19 sera supérieur à 10.000 patients au niveau national », explique l’exposé des motifs de l’amendement du sénateur LR de la Manche. Ce seuil « correspond à un taux d’occupation des places d’hospitalisation soutenable et permettant d’assurer le bon fonctionnement de l’hôpital, notamment quant à la prise en charge des autres maladies », soutient l’amendement du rapporteur.
La mesure prévoit un autre seuil : lorsque le nombre de patients hospitalisés sera inférieur à 10.000, le passe vaccinal pourra toujours être maintenu « dans les départements où moins de 80 % de la population dispose d’un schéma vaccinal complet », dit l’amendement, ou « dans lesquels une circulation active du virus est constatée, mesurée par un taux d’incidence élevé de la maladie covid-19 ». Le niveau de ce taux d’incidence n’est cependant pas précisé.
Vérification de l’identité possible par le « permis de conduire ou les cartes vitales »
Pour ce qui est du contrôle de l’identité du porteur du passe vaccinal – autre sujet sensible – Philippe Bas était pour le moins circonspect. « Il faudra que le gouvernement argumente beaucoup s’il veut me convaincre », avait-il affirmé à publicsenat.fr fin décembre. Le rapporteur accepte finalement le principe d’une vérification. Mais celle-ci « constitue une évolution d’ampleur, qui entraînera une évolution de la pratique et de l’intensité des vérifications d’identité dans la vie courante », souligne l’amendement. Le rapporteur a par conséquent voulu « encadrer » le dispositif. L’amendement prévoit notamment que puisse être substitué au document officiel d’identité « un document officiel comportant la photographie de la personne », une notion « plus large » qui « inclut notamment les permis de conduire ou encore les cartes vitales », comme nous l’expliquions.
Selon l’exposé des motifs, l’amendement souligne aussi qu’en cas de doute sur l’authenticité du passe, « la constatation de l’infraction d’usage de faux ne relève pas des personnes et services contrôlant le passe ». « On ne transforme pas les personnels des lieux où le passe vaccinal sera demandé en auxiliaires de la police. On leur permet seulement, en cas de doute, de demander un document avec photo, qui n’aura pas besoin d’être une carte d’identité. Ce peut être une carte vitale, un pass navigo, une carte professionnelle ou un permis », précise Philippe Bas.
Passe vaccinal limité aux plus de 18 ans
Sur les mineurs, le Sénat compte aller plus loin que l’Assemblée dans l’exemption de passe vaccinal. Les députés ont relevé le passe vaccinal à 16 ans, au lieu de 12 ans dans le texte initial du gouvernement, pour les sorties scolaires, les activités périscolaires et extrascolaires. L’accès aux autres activités (activités de loisirs réalisées dans un autre cadre que les sorties scolaires, restauration, foires, déplacements de longue distance) est en revanche subordonné à la présentation d’un passe sanitaire pour les plus de 12 ans.
Pointant des « dispositions confuses, sans que la justification sanitaire qui les sous-tend soit clairement établie », l’amendement du rapporteur simplifie les choses et « prévoit de limiter la possibilité d’imposer la présentation d’un passe vaccinal aux personnes de plus de 18 ans ». « C’est le bon sens. Il n’y a pas de raison d’aggraver la contrainte qui pèse sur les jeunes », fait valoir Philippe Bas. L’amendement précise que « les personnes âgées de 12 à 17 ans resteraient quant à elle soumises à l’obligation de présenter un passe sanitaire ».
Prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 mars en Outre-Mer
Face à la situation épidémique, la commission des lois a adopté un amendement du gouvernement qui prolonge « jusqu’au 31 mars 2022 inclus » l’état d’urgence sanitaire en Martinique, à La Réunion, en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Faux passe : suppression du « dispositif de repentir », mais objectif conservé
C’est un dispositif qui vise à encourager les utilisateurs d’un faux passe à se faire connaître et vacciner. Selon la mesure voulue par le gouvernement, ils seraient amnistiés en échange d’une primo-vaccination. Mais le rapporteur du Sénat supprime ce « dispositif de repentir ». « Il constitue un dévoiement du droit pénal et va à l’encontre tant du principe d’égalité devant la loi, selon lequel il n’est pas possible de traiter différemment des situations similaires […] que, s’agissant d’un dispositif automatique, du principe d’opportunité des poursuites », dit l’amendement. Pour conserver l’objectif, Philippe Bas préfère « une circulaire de politique pénale afin de demander au Parquet de ne pas poursuivre ou de classer sans suite », lorsque la personne compte se faire réellement vacciner.
Allègement des sanctions en cas de détention d’un faux passe vaccinal
Au chapitre des sanctions, le rapporteur estime que « les sanctions applicables en cas de détention d’un faux passe devraient être moins sévères que celles applicables pour son usage ». Un amendement « prévoit donc que la détention frauduleuse d’un tel document serait punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, et non pas de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». Cette peine est cependant portée à cinq ans de prison et à 75.000 euros d’amende en cas de détention de plusieurs faux documents.
Prévoir clairement le certificat de rétablissement comme condition du passe vaccinal
En commission, plusieurs amendements (LR, de Catherine Belrhiti et Claudine Thomas) et PS (de Jean-Pierre Sueur) ont été adoptés pour prévoir explicitement que le certificat de rétablissement suite à une infection au covid-19 soit valable comme condition du passe vaccinal. Il s’agit de ne pas pénaliser les personnes guéries, qui doivent attendre une certaine durée avant de pouvoir se faire vacciner, en raison de l’immunité acquise suite à l’infection.
Dans le même esprit, un autre amendement prévoit que le certificat médical de contre-indication à la vaccination covid-19 permette de bénéficier du passe vaccinal.
Transports longue distance autorisés aux non-vaccinés en cas de « motif impérieux d’ordre professionnel »
Cela ressemble à un geste envers la frange des sénateurs LR la plus hostile à la politique sanitaire de l’exécutif, alors que le groupe LR est en partie divisé sur le sujet du passe vaccinal (lire notre article sur le sujet). « Si je devais faire ce genre de calcul, j’aurais accepté beaucoup d’autres amendements. C’est le fond qui m’a déterminé », assure Philippe Bas.
Toujours est-il que les sénateurs ont adopté un amendement, présenté notamment par la sénatrice LR Laurence Muller-Bronn, fermement opposée au passe vaccinal, qui prévoit de permettre aux non-vaccinés de prendre les transports longue distance pour motif impérieux d’ordre « professionnel ». Le texte prévoit déjà les « motifs impérieux d’ordre familial ou de santé ».
Centres commerciaux et grands magasins retirés la liste des établissements soumis au passe sanitaire et vaccinal
Dans le même esprit que l’amendement précédent, la commission a adopté un amendement du sénateur LR de la Côte-d’Or, Alain Houpert, défenseur de Didier Raoult et de l’hydroxychloroquine. Son amendement « a pour objet de retirer les centres commerciaux et les grands magasins de la liste des établissements pouvant être soumis à un passe sanitaire ou vaccinal ».
Non-respect du télétravail par l’employeur : suppression de l’amende de 1.000 euros par salarié
Le texte du gouvernement prévoit des amendes pour les employeurs ne mettant pas en place le télétravail pour leurs salariés. Cette amende est de 1.000 euros maximum par salarié concerné, plafonné à 50 000 euros. Les sénateurs ont tout simplement supprimé cette disposition, par l’adoption d’un amendement de Chantal Deseyne, sénatrice LR d’Eure-et-Loir, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, ainsi qu’un amendement similaire de Sophie Primas, présidente LR de la commission des affaires économiques.
« Le corpus actuel de recommandations et d’obligations applicables aux employeurs est satisfaisant pour assurer la santé et la sécurité des salariés face à l’épidémie », selon l’amendement de Chantal Deseyne. Par ailleurs, « le dispositif proposé ne concernerait qu’un nombre très limité d’employeurs et son effectivité risquerait de se heurter aux moyens contraints des services de l’inspection du travail. En outre, il donnerait un large pouvoir d’appréciation à l’inspection du travail sur l’organisation de l’entreprise, ce qui n’est pas souhaitable pour le fonctionnement des entreprises, qui doivent rester responsables de l’évaluation des risques et de l’édiction des mesures de prévention, en concertation avec les salariés dans le cadre du dialogue social », estime l’amendement de la sénatrice LR.
Précision importante, en vue de la commission mixte paritaire où députés et sénateurs tenteront de trouver un compromis : avec la limitation dans le temps du passe, la question du contrôle, la limitation aux plus de 18 ans, la suppression des amendes « fait partie des quatre points majeurs pour l’acceptabilité de ces évolutions législatives », précise Philippe Bas. A bon entendeur…
[Lire aussi sur le même sujet : « La division, effet secondaire du passe vaccinal chez les sénateurs LR »]