Suresnes: Macron attends a ceremony marking the 83rd anniversary of late French General Charles de Gaulle’s World War II

Passé le cap des « cent jours », quel avenir pour Elisabeth Borne ?

La Première ministre prendra la parole durant la première quinzaine de juillet pour faire le point sur certaines réformes. Malgré la confiance renouvelée du président de la République, en marge de son déplacement à Marseille, les rumeurs de remaniement continuent d’aller bon train.
Romain David

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La formule est brève, presque réglementaire. « La Première ministre met en œuvre la politique à laquelle je me suis engagé auprès des Français depuis plus d’un an », a rappelé Emmanuel Macron dans l’entretien qu’il a accordé au quotidien La Provence dimanche. « La Première ministre a ma confiance puisqu’elle est à la tête du gouvernement », ajoute le chef de l’Etat en toute fin d’interview. Un soutien apporté du bout des lèvres – il serait difficile de faire plus laconique – et destiné à faire taire les rumeurs de remaniement qui entourent Élisabeth Borne depuis des semaines. Du moins jusqu’au 14 juillet, terme des cent jours d’apaisement voulu par le président de la République après le séisme politique et social déclenché par la réforme des retraites.

Élisabeth Borne a été chargée par Emmanuel Macron de trouver les voies et moyen d’élargir la majorité présidentielle, à tout le moins de dégager des compromis de circonstance sur certains sujets, pour poser les jalons d’une relance du train des réformes, resté à quai depuis l’adoption, par 49.3, du recul de l’âge légal de départ à la retraite. Si elle a réussi à avancer au Parlement sur plusieurs textes emblématiques, comme le projet de loi de programmation militaire (2024-2030) ou encore celui sur l’industrie verte – l’un adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat – d’autres réformes demeurent dans les cartons. Notamment le projet de loi immigration, reporté à plusieurs reprises, et dont le point d’équilibre semble impossible à trouver entre une droite qui exige un nouveau tour de vis migratoire, et une gauche plutôt favorable aux dispositifs de régularisation.

« Dans un contexte de majorité relative, faire voter des textes tels que la LPM, la loi sur la justice, la loi sur le plein-emploi, la loi sur l’économie verte et bientôt, peut-être, la loi sur le partage de la valeur… Il y a longtemps que je siège au Parlement, et j’ai rarement vu dans une période aussi restreinte des textes aussi importants votés sans majorité à l’Assemblée nationale », défend le sénateur François Patriat, chef de file du groupe RDPI au Palais du Luxembourg et indéfectible soutien du camp présidentiel. « Cela prouve que l’on a su trouver, sur beaucoup de propositions de lois émanant du Parlement, des accords. Je pense qu’aujourd’hui, Élisabeth Borne peut présenter un bilan qui correspond à la commande du président, à l’intérêt général et à certaines urgences dans beaucoup de domaines, ceux de l’énergie, de l’éducation, de la santé », salue encore l’élu de la Côte-d’Or.

« Le pays est endormi et donc apaisé »

Mais la droite, qui détient la majorité au Sénat dans le cadre d’une alliance avec les centristes, porte un regard bien moins positif sur ce bilan. Les atermoiements sur le texte immigration, notamment, nourrissent un certain agacement chez les LR qui ont fait de cette thématique l’un de leurs grands chevaux de bataille. La droite a fini par présenter début juin ses propres propositions en la matière, une manière de mettre la pression sur l’exécutif qui pourrait, in fine, reprendre le projet de loi présenté en mars, et dont l’examen avait été suspendu après adoption d’une version largement remaniée par la commission sénatoriale des lois. « On n’est pas encore au bout des choses, mais si l’on se penche sur le texte de l’immigration, l’objectif n’est pas atteint », constate François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois.

« Je crois que la feuille de route a été respectée. Au bout de cent jours rien n’est fait. Le pays est endormi et donc apaisé », tacle le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher. « Il ne se passe plus rien, il n’y a plus aucun texte. Sur l’immigration, par exemple, ils ont déjà plus d’un an de retard par rapport au calendrier annoncé. »

Emmanuel Macron a demandé à Élisabeth Borne de faire le point sur plusieurs réformes durant la première quinzaine de juillet, il sera question de l’immigration bien sûr, mais également de la planification écologique et de la loi de programmation des finances publiques. Ce dernier texte, qui doit tracer les grandes lignes de la trajectoire budgétaire de la France pour les quatre prochaines années, semble avoir été laissé en rade depuis décembre, les parlementaires et le gouvernement n’étant pas parvenus à trouver un terrain d’entente. Sa présentation en seconde lecture aurait dû intervenir en juillet, mais l’exécutif a finalement décidé de surseoir jusqu’en septembre.

« On va attendre, wait and see ! Mais j’ose dire que, malheureusement, ce sera décevant. Dernièrement, on a surtout vu prospérer les propositions de loi plutôt que les projets de loi susceptibles de montrer qu’il y a une volonté de continuer à porter des réformes dans le cadre de cette mandature », constate Dominique Estrosi Sassone, sénatrice des Alpes-Maritimes et vice-présidente du groupe LR au Sénat. « On a déjà perdu 100 jours dans ce quinquennat, et l’on va encore en reperdre 100 jusqu’aux discussions budgétaires de l’automne », soupire Jérôme Bascher.

« Ces cent jours n’étaient pas ceux d’Élisabeth Borne mais ceux d’Emmanuel Macron »

Ces dernières semaines, Emmanuel Macron a pu donner l’impression de prendre le pas sur sa cheffe de gouvernement. À la reconquête du terrain, le président a multiplié les annonces, parfois sur certains ajustements techniques, d’ordinaire laissés aux soins de Matignon ou des ministres concernés. Ainsi, c’est le chef de l’Etat qui a présenté le détail de la réforme du lycée professionnel, le 4 mai dernier lors d’un déplacement en Charente-Maritime. Cette semaine, le locataire de l’Elysée est à Marseille pour assurer le suivi du plan « Marseille en grand », l’occasion d’annoncer à la presse locale la mise en place du paiement « immédiat » de l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants.

« Ces cent jours n’étaient pas ceux d’Élisabeth Borne mais ceux d’Emmanuel Macron. Après sa période d’abstinence médiatique pendant les retraites, le président a passé cent jours à gesticuler. Résultat : nous avons fait du surplace sur bien des dossiers et sa Première ministre, à chaque fois qu’elle a voulu dire quelque chose d’original, s’est fait recadrer », constate Patrick Kanner, le chef de file des sénateurs socialistes. « Je ne sais pas si c’est un couple exécutif, je pense qu’il y a un président de la République et une Première ministre qui exécute », résume Jérôme Bascher. « Qu’il faille remuscler le gouvernement, redonner une impulsion avant la rentrée, cette décision appartient au président de la République », évacue François Patriat.

Emmanuel Macron a gagné un point de popularité (32 % d’opinions positives) dans le dernier pointage du baromètre politique de Odoxa, réalisé pour Public Sénat, LCP-Assemblée nationale et la presse quotidienne régionale. Élisabeth Borne, en revanche, stagne à 28 % de bonnes opinions. François Patriat reconnaît qu’elle pâtit de la rigueur affichée depuis son entrée à Matignon, mais « est-ce uniquement l’image qui doit compter en politique ou le travail ? », interroge le sénateur. « C’est quelqu’un de studieux, qui ne parle pas à tort et à travers, qui s’exprime avec sobriété et avec une forme d’élégance », défend-il.

Sur le fil du rasoir

Il n’empêche, les commentateurs s’amusent du tiercé de ses successeurs putatifs ; les noms de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, et de Julien Denormandie, qui a quitté le gouvernement à la fin du précédent quinquennat, ont été régulièrement cités ces dernières semaines. Autant de bruits de couloir qui, avérés ou non, donnent le sentiment qu’Élisabeth Borne reste en permanence sur la sellette, en dépit des quelques mots de soutien distillés ici où là par le président. « Elle perd l’essentiel de son cabinet, elle n’exprime plus vraiment de grandes idées… je ne comprends pas qu’on la maintienne », déplore Jérôme Bascher qui évoque ainsi le départ d’Aurélien Rousseau, le directeur de cabinet de la Première ministre. « Il y a comme une ambiance de fin de règne, mais je constate qu’Élisabeth Borne apparaît inoxydable, elle reste un grand serviteur de l’Etat, de gauche quand elle a un patron de gauche, et de droite quand elle obéit à un patron de droite », note Patrick Kanner.

L’ancien président François Hollande s’est ému de cette sorte d’entre-deux avec lequel doit composer la Première ministre depuis des mois, elle qui assumait pendant la séquence des retraites « d’être un fusible » : « C’est cruel ce qui lui arrive. J’ai connu aussi des périodes où il y avait des rumeurs de remaniement, cette rumeur dure depuis combien de temps ? Trois mois ? Six mois ? », a interrogé l’ex-locataire de l’Elysée lundi 27 juin, sur le plateau de la matinale de France 2. Avant d’inviter Emmanuel Macron à mettre fin au supplice chinois : « Il y a un moment où il faut prendre une décision. Cette décision, ce n’est pas Madame Borne qui peut la prendre, c’est le président de la République ».

« Je ne crois pas que les Français attendent un remaniement »

« Changer la tête du gouvernement, mais pour quoi faire ? », interroge François-Noël Buffet. « La question de fond c’est celle de quelle politique, quelle stratégie pour le pays ? Si c’est pour changer fondamentalement les choses, pourquoi pas ? Mais si c’est seulement une question de casting, je n’en vois pas l’intérêt immédiat ». Même son de cloche du côté du sénateur communiste Fabien Gay : « Je ne crois pas que les Français attendent un remaniement, cela ne les intéresse pas. C’est un détail quand on n’arrive plus à payer ses factures de gaz et d’électricité ! », tempête-t-il.

Pour Dominique Estrosi Sassone, la marge de manœuvre du chef de l’Etat est limitée : « Je pense qu’Emmanuel Macron a de grandes difficultés à savoir par qui il pourrait remplacer Élisabeth Borne », estime l’élue. « Peut-être faut-il que le président se donne encore du temps avant un remaniement éventuel, même si je n’ai pas de jugement à porter sur ce type de choix », ajoute-t-elle. L’hypothèse un temps évoqué d’un élargissement vers la droite, avec la nomination d’un Premier ministre issu des rangs de LR comme charnière d’un accord de gouvernement, semble au point mort. Le nom de Gérard Larcher avait alors circulé, avant que le président du Sénat lui-même ne finisse par démentir. « Il a été très clair, et il a montré qu’il voulait se consacrer aux sénatoriales de septembre et à sa réélection à la tête du Sénat », balaye Dominique Estrosi Sassone.

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