Pays d’origine, filières de passeurs, droit d’asile… la situation migratoire à Calais en quatre questions

Pays d’origine, filières de passeurs, droit d’asile… la situation migratoire à Calais en quatre questions

Mercredi, devant les membres de la commission sénatoriale des lois, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a dressé un panorama détaillé de la situation migratoire le long des côtes des Hauts-de-France. Le nombre de traversées de la Manche en partance de cette zone a bondi ces 24 derniers mois, malgré une forte baisse du nombre d’immigrés clandestins.
Romain David

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27 morts, dont des femmes et des enfants, pour la plupart originaires du Kurdistan iranien. Et seulement deux survivants. Le 24 novembre, le naufrage le plus meurtrier de ces dernières années dans la Manche concernait un canot de migrants. Cette catastrophe a jeté un coup de projecteur terrible sur le drame migratoire qui se noue presque quotidiennement entre la France et les côtes anglaises, plus de cinq ans après le démantèlement de la jungle de Calais. Mercredi après-midi, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, était auditionné par la commission sénatoriale des lois. À grand renfort de chiffres, il a dressé un tableau précis de la situation migratoire à Calais. Une situation que complexifient les tensions entre la Grande-Bretagne, Paris et, plus généralement, l’Union européenne depuis le Brexit.

Comment expliquer l’augmentation du nombre de traversées alors que le nombre de migrants a diminué ?

Les traversées en « small boats », c’est-à-dire de petites embarcations, généralement pneumatiques, ont augmenté de 185 % en deux ans. Et ce alors que l’on compte environ 2 000 migrants, massés entre Grande-Synthe et Calais. « Il y en avait quinze fois plus il y a cinq ans », relève Gérald Darmanin. Ce paradoxe s’explique par la surveillance accrue autour des anciens points de passage, à savoir le port de Boulogne, celui de Calais, de Ouistreham, ou encore le tunnel sous la Manche. « Il n’y a plus qu’une seule façon d’aller en Angleterre : c’est de prendre un bateau et d’essayer de traverser la Manche. »

La zone littérale entre Bray-Dunes et Dunkerque représente à elle seule un tiers des départs en « small boats », mais certains migrants n’hésitent pas à descendre plus au sud pour échapper aux contrôles, parfois jusque sur les côtes bretonnes, et embarquer en direction de l’Angleterre, ce qui rend leur périple encore plus dangereux. Le ministre a aussi rappelé que le bras de mer entre l’Angleterre et la France concentre, malgré sa trentaine de kilomètres, le plus grand nombre de passages de bateaux au monde, du fait du trafic en direction ou en provenance des ports hanséatiques, ce qui renforce le risque de collision.

Le nombre de personnes sur les bateaux augmente aussi. La moyenne entre 2019 et 2021 du nombre de passagers embarqués sur ces canots de fortune a plus que doublé : passant d’une douzaine à plus d’une vingtaine.

D’où viennent ces migrants ?

« Hormis les Vietnamiens, la plupart des migrants qui souhaitent partir en Angleterre viennent de pays en guerre ou qui connaissent de grandes déstabilisations politiques », explique Gérald Darmanin, qui cite l’Iran, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, le Soudan et l’Erythrée. « Il y a à la fois des difficultés climatiques, économiques et politiques. »

Deux grandes routes d’accès à l’Angleterre ont été identifiées. L’une par la Corne de l’Afrique, avec un passage en Méditerranée, via la Libye ou la Tunisie, puis l’Italie et la France. La seconde depuis le Moyen-Orient, en passant par la Turquie, la Grèce et l’Italie ou, depuis quelques mois, par la Biélorussie. « Les migrants partent de l’Irak vers la Syrie, prennent un avion qui les amène à Minsk, puis de Minsk gagnent la Pologne, l’Allemagne et ensuite la France », explique le ministre de l’Intérieur. Le voyage dure en moyenne trois semaines, des portions entières, notamment entre la Biélorussie et la Pologne, se font souvent à pied.

Ces voyages sont entièrement organisés par les passeurs, et coûtent aux migrants près d’une dizaine de milliers d’euros. Il s’agit parfois, pour des gens issus de pays en guerre ou victimes de la famine, des économies de toute une vie. Ainsi, l’un des deux rescapés du naufrage du 24 novembre avait déboursé 5 500 euros pour se rendre de Damas à Dunkerque, puis encore 3 200 euros pour la seule traversée de la Manche, a indiqué Gérald Darmanin.

Qui sont les passeurs ?

« Les nationalités des trafiquants sont souvent les mêmes que celles des migrants. Ce qui complexifie le travail des autorités », pointe le locataire de la place Beauvau. « Il s’agit souvent de réseaux de personnes qui, de Bagdad à Londres, s’occupent de l’intégralité du trafic. » Or, « l’une des principales difficultés, c’est de pouvoir remonter ces filières. »

On trouve généralement deux types de réseaux : les réseaux irako-kurdes et ceux issus de la Corne de l’Afrique. « Les premiers sont très structurés et très violents, les seconds plus artisanaux et communautaires, mais ils aboutissent à la même chose, c’est-à-dire des gens payés pour trafiquer des êtres humains. »

162 passeurs présumés ont été interpellés depuis janvier et 41 organisations criminelles démantelées, signale le ministre. Pour faciliter le travail des enquêteurs, une cellule de coopération franco-britannique a été installée à Coquelle, dans la banlieue de Calais. Mais dans un contexte de fortes tensions entre Paris et Londres, la collaboration entre les équipes « pourrait mieux marcher », admet Gérald Darmanin. « Lorsque nous demandons aux Britanniques l’identification des numéros de téléphone britanniques, nous n’avons pas de réponse. Peut-être qu’ils n’ont pas envie que l’on sache qu’une grande partie des passeurs se trouvent dans leur pays. »

Pourquoi le Royaume-Uni ?

Plusieurs facteurs expliquent l’attrait exercé par le Royaume-Uni. Le premier : la souplesse du droit du travail. « Vous pouvez, en Angleterre, travailler et payer des impôts sans avoir de papiers. Ce qui n’est pas le cas sur le territoire européen », rappelle Gérald Darmanin. Par ailleurs, « les Anglais n’expulsent quasiment personne. Ils expulsent 6 000 personnes par an pour 1,2 million d’immigrés clandestins. » Le risque de renvoi vers le pays d’origine est donc minime.

Un autre élément, loin d’être négligeable, concerne le regroupement familial. Les migrants qui se massent sur les côtes du Nord appartiennent généralement à des communautés déjà installées de l’autre côté de la Manche. « L’Angleterre est le lieu où se trouve désormais une grande partie de leurs familles. Il n’y a rien de plus fort que le lien pour retrouver quelqu’un, c’est l’un de nos problèmes », relève Gérald Darmanin. « On pourrait leur proposer les meilleures conditions sociales du monde, le lien maternel, familial ou amoureux l’emportera sur toutes les autres considérations ». Ainsi, le gouvernement estime que 62 % des migrants qui traversent la Manche sont éligibles au droit d’asile, mais seulement 3 % d’entre eux déposent une demande en France.

« La Grande-Bretagne pourrait accepter qu’il y ait des échanges migratoires, mais il faudrait pour cela un traité », ajoute le ministre de l’Intérieur.

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