Pédophilie dans l’Eglise : l’idée d’une commission d’enquête divise au Sénat

Pédophilie dans l’Eglise : l’idée d’une commission d’enquête divise au Sénat

Une pétition appelle à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les crimes pédophiles dans l’Eglise catholique. L’idée avance bien au Sénat où les groupes PS et LREM pourraient apporter leur soutien. En revanche, ça bloque aux groupes LR et centriste.
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L’appel rencontre déjà un certain écho, à la mesure du sujet. Une pétition, initiée par l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, demande « la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire toute la transparence sur les crimes de pédophilie et leur dissimulation dans l’Église catholique ». Le sujet est brûlant.

« On voit que le scandale ne cesse de ressurgir en France comme à l’étranger, on voit que l’Eglise a la plus grande peine à faire la vérité sur elle-même » explique Christine Pedotti, rédactrice en chef de Témoignage Chrétien, pour qui « un tiers extérieur, comme cette commission, peut aider l’Eglise à faire la vérité » selon un modèle inspiré de l’Irlande ou de l’Australie. Regardez (sonore et sujet d’Héloïse Gregoire) :

Christine Pedotti, rédactrice en chef de Témoignage Chrétien, demande la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les crimes pédophiles dans l’Eglise
01:57

« Ces dernières années, on a tous découvert abasourdis l’ampleur des violences sexuelles commises par des hommes d’église » souligne la sénatrice PS Laurence Rossignol, l’une des premières signataires. Pour l’ancienne ministre chargée des Familles et de l’Enfance, « c’est dans l’intérêt de l’Eglise de mieux appréhender la réalité ». S’il convient de ne pas empiéter sur des enquêtes en cours – une commission d’enquête ne peut porter sur des faits pour lesquels la justice est saisie – Laurence Rossignol souligne que face au « déni et au silence imposé aux victimes », la création de la commission « permettra probablement à des victimes de se faire connaître. Or beaucoup de faits sont prescrits et ce n’est pas auprès de la justice qu’elles obtiendront réparation ». Selon la sénatrice de l’Oise, « il y a besoin d’identifier les mécanismes d’autoprotection de l’institution au détriment des victimes, de voir comment les auteurs sont épargnés ou déplacés ». « L’idée serait de faire ouvrir les archives diocésaines » explique Laurence Rossignol.

Patrick Kanner, président du groupe PS, « favorable » à une commission d’enquête

La sénatrice socialiste sera soutenue par son groupe dans cette demande. « Je suis favorable à la création de cette commission d’enquête » affirme à publicsenat.fr Patrick Kanner, le président du groupe PS de la Haute assemblée. « Je vais l’évoquer en réunion de groupe demain. Et je vais recevoir cette semaine les initiateurs de cette pétition » explique le sénateur du Nord. « Je ne fais ni angélisme, ni amalgame. Il y a eu des faits nombreux et répréhensibles, mais heureusement, l’immense majorité du clergé n’est pas touché par ce phénomène » ajoute Patrick Kanner, qui ne veut « pas d’une opération anti-église catholique ».

Si chaque groupe dispose d’un « droit de tirage » annuel pour créer une commission d’enquête, le socialiste entend « prendre contact avec les autres présidents de groupe ». « L’idée serait que la commission soit portée au-delà d’un seul groupe. Ce n’est pas un sujet qui intéresse que la gauche, mais tout le pays » soutient le socialiste.

Hervé Marseille, président du groupe UC : « C’est à l’Eglise de régler le problème »

Patrick Kanner risque d’être déçu. Du côté du groupe LR, on ne semble pas se diriger vers un soutien. « Une commission d’enquête vise à contrôler le gouvernement et les services qui lui sont rattachés. Je ne vois pas comment on peut contrôler dans ces conditions. C’est une proposition qui ne tient pas la route sur le plan juridique » juge-t-on du côté du côté du groupe LR du Sénat. « Une commission d’enquête ne peut pas réfléchir sur l’organisation au sein de l’Eglise ».

Même son de cloche du côté d’Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat. « Le cas échéant, j’en parlerai avec mon groupe » explique-t-il, mais le sénateur UDI s’oppose au principe :

« A titre personnel, je ne pense pas qu’il appartienne au Parlement de s‘engager dans une commission d’enquête sur le fonctionnement de l’église catholique. Si on commence à s’ingérer dans les fonctionnements des cultes et de leur organisation, on ne va pas en sortir ».

« Et ça va déboucher sur quoi ? Des préconisations sur l’organisation de l’Eglise et des recommandations au Pape ? Mais à quel titre ? » se demande Hervé Marseille. « Je respecte ceux qui ont cette démarche » ajoute le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, mais « c’est à l’Eglise de régler le problème et le cas échéant aux tribunaux, s’il y a des qualifications pénales ». Et d’insister : « Ce n’est pas un service public, tout le monde n’est pas chrétien. (…) Ce serait une commission d’enquête à l’intérieur de la communauté juive, musulmane ou protestante, je répondrais de la même façon ». Derrière cette demande de commission d’enquête, Hervé Marseille sent d’autres objectifs. « La plupart de ceux qui ont signé sont des gens hostiles à l’Eglise. C’est assez orienté politiquement » estime le président du groupe UC.

Gattolin : « C’est assez incroyable de dire que ce n’est pas dans la compétence d’une assemblée »

Le groupe LREM pourrait en revanche peut-être suivre. Le sénateur André Gattolin, signataire de la pétition, a échangé sur le sujet avec son président de groupe, François Patriat. « Il trouve que c’est une bonne initiative. Il est complètement ouvert à l’idée de la commission » affirme le sénateur LREM. « La question aujourd’hui est de savoir l’ampleur du phénomène. A-t-on à faire à quelques brebis galeuses ? Et quelles sont les mesures mis en place au sein de l’église ? » s’interroge André Gattolin, pour qui « la question est de savoir quelle forme prendrait cette commission. S’il y a une commission aussi à l’Assemblée, idéalement, il faudrait une coordination pour se répartir les tâches ». Du côté du Palais Bourbon, la présidente du groupe PS, Valérie Rabault, apporte aussi son soutien à l’initiative.

Quant à ceux qui s’opposeraient à la commission, André Gatollin répond qu’« on est typiquement face à une question centrale de société et le Parlement est le plus à même de poser la question. Je trouve l’argument superfétatoire. C’est assez incroyable de dire que ce n’est pas dans la compétence d’une assemblée parlementaire ». André Gattolin sait que le sujet « peut déranger certaines personnes. Bien évidemment, c’est un sujet sensible, car il existe des lobbys ».

Une commission d’enquête peut porter « sur des faits déterminés »

Une commission d’enquête peut porter sur l’Etat, les services publics, les entreprises publiques ou encore les sujets de société. Ce qui est vaste. Selon l’article 6 de l’ordonnance de 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ».

Quand un groupe politique demande la création d’une commission d’enquête, le droit de tirage est de droit. Mais avant que la commission soit officiellement entérinée par le vote d’une proposition de résolution dans l’hémicycle, la commission permanente compétente doit juger de la recevabilité de la commission d’enquête. En l’occurrence ici, ce serait la commission des lois, présidée par le sénateur LR Philippe Bas. En général, la commission ne s’oppose pas aux demandes.

Il peut arriver en revanche qu’il y ait un désaccord au sein d’une commission d’enquête, qui doit être composée proportionnellement entre les groupes politiques. Le président et le rapporteur de la commission d’enquête doivent appartenir à la majorité et à l’opposition. Il est déjà arrivé que les deux soient en désaccord au terme des travaux. Le rapport de la commission d’enquête n’est alors pas adopté à l’unanimité, voire n’est pas adopté, ce qui est rare.

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