« Il faut dire non au Far West numérique ! » « Nous ne les laisserons pas faire », a promis, mercredi, le ministre des petites et moyennes entreprises et du commerce, Serge Papin devant les sénateurs. Le ministre était interpellé sur les mesures de contrôle de la plateforme numérique du distributeur Shein. Ce géant chinois au cœur d’une polémique après la vente de poupées à caractère pédopornographique mais aussi d’armes blanches sur sa marketplace.
Le jour de l’ouverture d’un « corner » Shein au BHV, le gouvernement a annoncé le lancement d’une procédure de suspension en France de la plateforme. Les autorités publiques françaises ont donné 48 heures à Shein, donc jusqu’à vendredi, pour retirer les produits interdits sous peine de voir son site suspendu en France. Cette procédure administrative est entre les mains de la Répression des fraudes (DGCCRF).
En parallèle, le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez a lancé une procédure judiciaire visant à bloquer le site Shein afin de « faire cesser de façon certaine les graves dommages à l’ordre public causés par (s) es défaillances ».
Des actions franco-françaises qui désolent Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le droit du numérique qui rappelle que la régulation des plateformes numériques est une compétence européenne. « Encore une fois, le gouvernement a été très réactif pour communiquer, mais on peut s’interroger sur la méthode ».
Obligation de diligence et de collaboration des marketplaces
La procédure engagée par Laurent Nunez s’appuie sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique selon laquelle le tribunal judiciaire peut empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne, pour un motif d’ordre public.
« C’est ce qu’il s’est passé cette année avec le blocage du site de nazillions « Pétain.net ». Mais il s’agissait d’un site dont l’ensemble des contenus qui étaient manifestement illicites ! Et Shein n’est pas un site mais une marketplace et tous ses contenus ne sont pas manifestement illicites. Et comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation, les marketplaces comme Amazon, ou le Boncoin ou la Redoute ont la qualité d’hébergeur et bénéficie d’une exonération de leur responsabilité », s’agace Alexandre Archambault.
Depuis 2024, La Commission européenne a classé Shein comme une « très grande plateforme en ligne », lui permettant d’exercer un contrôle renforcé en vertu du règlement européen sur les services numériques (DSA). En février 2025, elle a ouvert une enquête contre la plateforme, la soupçonnant de ne pas lutter suffisamment contre la vente de produits illégaux. « Ça veut dire que la Commission demande à Shein ce qu’elle fait pour limiter les vendeurs problématiques présents sur sa plateforme. Depuis vendredi, on observe que la réaction de Shein est conforme aux obligations du DSA qui fixe une obligation de diligence et de collaboration aux marketplaces », explique Alexandre Archambault.
Shein a effectivement annoncé la suspension de sa marketplace en France et a indiqué vouloir engager rapidement le dialogue avec les autorités françaises « afin de répondre aux préoccupations exprimées et de présenter les mesures déjà mises en œuvre pour protéger les consommateurs français ».
La plateforme Shein peut-elle être déréférencée ?
En 2021, Bercy avait une autre plateforme chinoise dans le viseur. Les pouvoirs publics avaient obtenu le déréférencement de Wish, une marketplace qui revend des produits bon marché principalement fabriqués en Chine. L’application avait été retirée des magasins d’applications d’Apple et Google, et n’apparaissait sur les moteurs de recherche comme Google et Bing avant d’être de nouveau accessible un an et demi plus tard.
Le code de la consommation permet, en effet, de déréférencer un site internet, d’en limiter l’accès, voire de bloquer le nom d’un domaine pour « une durée maximale de trois mois renouvelables une fois, suivie, si l’infraction constatée persiste, d’une mesure de suppression ou de transfert du nom de domaine à l’autorité compétente ».
« C’est la mesure la moins intrusive. Sauf que du temps de Wish, vous n’aviez pas de DSA. Ce n’est plus possible sauf si vous voulez créer un contentieux comme pour le blocage de sites pornographiques accessibles aux mineurs », rappelle Alexandre Archambault. Deux éditeurs tchèques de sites pornographiques ont récemment saisi le Conseil d’Etat pour contester la possibilité pour la France de faire respecter sa loi pénale sur un service numérique établi dans un autre Etat membre. (lire notre article)
Thomas Régnier, porte-parole de la Commission sur le numérique a dit jeudi partagé les inquiétudes de la France à propos des produits illégaux vendus sur la plateforme Shein, assurant qu’elle prenait l’affaire « très au sérieux » et qu’elle n’hésiterait pas à prendre des mesures contre la plateforme si nécessaire.
Interrogé sur la possibilité pour l’Europe de bloquer la plateforme, il a confirmé que selon le DSA, une telle mesure relevait de l’Etat membre où la plateforme est établie (en l’occurrence, l’Irlande, où Shein a implanté son siège européen).
La vice-présidente de la Commission chargée du numérique, Henna Virkkunen, doit s’entretenir cet après-midi sur ce dossier avec la ministre française du numérique Anne Le Henanff.
A noter qu’en dernier recours, lorsque toutes les mesures « pour cesser une infraction ont été épuisés et que l’infraction n’a pas été corrigée ou se poursuit et cause un préjudice grave », l’article 51 du DSA permet à l’Union européenne de bloquer un service numérique. Les plateformes s’exposent aussi , dans les cas les plus graves d’infractions répétées, « à l’application d’une sanction pécuniaire pouvant représenter jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires ».