Pénurie de médicaments : « Les prix pratiqués en France ne peuvent pas être la seule explication », assure Thomas Fatôme (CNAM)

Pénurie de médicaments : « Les prix pratiqués en France ne peuvent pas être la seule explication », assure Thomas Fatôme (CNAM)

Auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments en France, Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM), décrit une crise aux causes multifactorielles. Alors que plusieurs sénateurs s’inquiètent de l’attractivité du marché français du médicament, le patron de la CNAM estime que les prix n’ont qu’un impact relatif sur les approvisionnements.
Romain David

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La commission d’enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française poursuivait ces travaux ce mardi au Sénat. À l’agenda : l’audition de Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM). La CNAM est notamment en charge de la branche maladie, dont elle veille à l’équilibre financier. À ce titre, elle participe au Comité économique des produits de santé (CEPS), chargé de l’élaboration de la politique économique et de fixation des prix des médicaments, ce qui en fait un acteur clef dans les dépenses liées aux produits de santé en France. D’emblée, Thomas Fatôme a dressé un constat déjà formulé au cours des précédentes auditions : la pénurie de médicament est un phénomène qui s’ancre désormais dans la durée.

« Cela fait plusieurs années que nous faisons face dans notre pays à des pénuries, même si les chiffres partagés par les différentes autorités sanitaires montrent que ce phénomène a tendance à s’aggraver ces dernières années », a-t-il relevé. « Il est multifactoriel, ce qui complique la situation dès lors que l’on essaye d’identifier les solutions puisque l’on a en face de nous des causes liées à la fois à l’organisation des productions de différents laboratoires, à des choix d’investissements, à des aléas conjoncturels tels qu’on a pu en connaître pendant le covid-19, à des difficultés d’accès potentielles aux matières premières… », a-t-il résumé.

« Des petits laboratoires nous ont franchement dit que le prix des médicaments en France amène à la pénurie »

Rapidement toutefois, les élus ont voulu orienter la discussion sur la question du coût, la France étant réputée pratiquer des prix relativement bas sur les médicaments, ce qui rendrait le marché hexagonal moins attractif. « Si dans ces facteurs explicatifs il peut y avoir le sujet de la fixation des prix, cela ne nous semble pas être le principal motif de la pénurie. Si vous regardez les Etats-Unis, qui sont de loin le pays qui pratique les prix les plus élevés, ils ne sont non plus pas à l’abri de pénuries », argue Thomas Fatôme.

Une explication jugée un peu rapide par la présidente Sonia de la Provôté (Union centriste) : « Dans les propositions gouvernementales contre les pénuries, un moratoire sur les baisses de prix vient d’être proposé, donc même si le lien n’est pas immédiat, il est là quand même », observe la sénatrice du Calvados. Début février, les ministères de la Santé et de l’Industrie ont effectivement annoncé un gel sur la baisse de prix de certains médicaments dits « matures », c’est-à-dire des molécules commercialisées depuis un certain nombre d’années, dont le coût est généralement renégocié à la basse par les autorités sanitaires.

« Des petits laboratoires nous ont franchement dit que le prix en France amène à la pénurie. L’un d’entre eux nous a dit préférer vendre ses produits à l’extérieur de la France plutôt qu’à l’intérieur », abonde la sénatrice Pascale Gruny (LR).

« Je ne dis pas que le prix ne compte en rien, je dis juste qu’il ne peut pas être la seule explication aux pénuries que nous connaissons », tente de déminer Thomas Fatôme. Et de citer le cas de l’amoxicilline, un antibiotique notamment utilisé pour le traitement de certaines infections ORL. « Son prix a augmenté de 9 % dans notre pays, il est deux fois plus élevé qu’en Espagne et qu’au Royaume-Uni, alors que nous connaissons des pénuries. » Des chiffres que conteste aussitôt le sénateur Bruno Belin (apparenté LR), lui-même pharmacien de profession. « Il aurait été prétentieux de ma part de donner les chiffres de mémoire, mais en tapant sur un moteur de recherche connu, je vous lis le premier résultat : ‘depuis 2010, le prix du flacon d’amoxicilline de 500 ml buvables est passé de 2,47 à 1,82 euro, soit une diminution de 32,1 %’ », cite-t-il. « Quand on touche au prix du médicament, on touche au prix de la répartition. À un moment donné, les répartiteurs pharmaceutiques ne peuvent plus, face au prix du gazole, aux règles de mobilités, de tout ce qu’on leur impose… alors évidemment, c’est au détriment des officines le plus rurales et des populations les plus isolées. Donc, le prix du médicament est une des causes de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui ! », martèle l’élu.

Un niveau d’efficacité qui détermine le taux de remboursement

Les sénateurs ont également pointé les écarts de prix très importants entre les médicaments dits « matures » et les produits d’innovation, s’interrogeant sur la manière dont un principe glisse d’une catégorie à l’autre. « En réalité, nous avons peu de marges de manœuvre, car les prix sont fixés dans un corridor déterminé par la Haute Autorité de Santé », explique Thomas Fatôme. « Le taux de remboursement dépend de l’évaluation de l’efficacité du médicament. Selon les différents niveaux d’évaluation correspond un taux. Le médicament sort du remboursement si le service médical rendu est jugé insuffisant. Nous sommes plus des notaires qui tirent les conclusions des évaluations sanitaires. »

Utiliser la force de frappe européenne face aux multinationales du médicament

Interrogé sur ses pistes pour limiter les pénuries, le directeur général de la CNAM a voulu insister sur le levier européen. « Il me semble que la réponse est aussi fortement à construire au niveau européen, car nous sommes un très grand marché d’accès aux produits de santé. La France reste attachée à ce que sa politique du médicament soit construite au niveau national mais nous aurions intérêt à construire des formes de dialogue avec les multinationales du médicament en prenant appui sur l’effet de taille du continent. » Une proposition qui n’a pas totalement convaincu son auditoire.

« La réponse européenne ne peut pas constituer une excuse pour ne pas en construire au niveau national. C’est-à-dire qu’il ne faut pas s’attendre mutuellement, pour parler de manière familière. La France peut aussi apporter des réponses », a souligné la rapporteur Laurence Cohen (PCF). « J’observe ce qu’il s’est passé pendant la crise sanitaire avec l’approvisionnement en vaccins contre le covid-19 : pas de transparence, les Etats n’étaient plus souverains dans la commande… L’exemple n’est pas très convaincant pour laisser la main à l’Europe sur la commande de médicaments », observe Laurence Muller-Bronn (LR).

Autres solutions évoquées par Thomas Fatôme : promouvoir auprès des prescripteurs et des assurés un meilleur usage des produits de santé. « Notre pays connaît encore sur un certain nombre de molécules des niveaux de prescription notoirement plus élevés que d’autres pays européens comparables », indique-t-il. « C’est le cas des molécules qui ont été en pénurie ces dernières semaines, comme le paracétamol et l’amoxicilline, où nous sommes à des niveaux de prescription et de consommation, malgré les recommandations de la CNAM, encore plus élevés que ce que l’on voit chez nos voisins. »

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