Père de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter est décédé

Robert Badinter, avocat, ancien Garde des Sceaux, président du Conseil Constitutionnel et ancien sénateur des Hauts-de-Seine, est mort dans la nuit du jeudi 8 au 9 février, à l’âge de 95 ans. Initiateur de la loi sur l’abolition de la peine de mort, il aura consacré sa vie au service des droits de l’homme.
Rédaction Public Sénat

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Né le 30 mars 1928 à Paris de parents juifs originaires de Bessarabie (région située entre l’actuelle Moldavie et l’Ukraine), il grandit dans le 16e arrondissement de Paris, où il fréquentera jusqu’en 1940 le lycée Janson-de-Sailly. Après des allers-retours entre Nantes, la Normandie et Paris, la famille Badinter quitte la capitale à la fin de l’année 1941 pour rejoindre clandestinement Lyon. Après l’arrestation de son père Simon, déporté à Drancy puis dans le camp de Sobibor, Robert, sa mère Charlotte et son frère Claude trouvent refuge en Savoie à Cognin, où ils restent jusqu’à la Libération, sous le nom d’emprunt de Berthet.

De retour à Paris, Robert Badinter entame des études de droit et de lettres. En trois ans, il décroche trois diplômes différents : licencié en lettres en 1947, en droit en 1948, et en 1949, il sort diplômé de la faculté de droit de Columbia à New York. De retour en France, il devient avocat au barreau de Paris en 1951, mais n’abandonne pas pour autant sa carrière universitaire : il obtient l’agrégation en 1965, et enseigne dans les facultés de droit de Dijon, Besançon, Amiens. En 1974, il devient professeur à la faculté de Paris Panthéon-Sorbonne.

Avocat, il commence sa carrière dans le droit privé : il cofonde en 1966 avec Jean-Denis Bredin un cabinet spécialisé dans le droit des affaires, Bredin et Badinter. Le cabinet aura des clients au profil haut de gamme, comme Chanel, Boussac, mais aussi Charlie Chaplin. Pourtant, l’avocat ne se réserve pas qu’à des affaires de droit d’auteur : en 1963, il défend au Sénégal l’ancien ministre sénégalais tombé en disgrâce, Valdiodio N’diaye.

Le goût des causes justes

Un « goût des causes justes », inspiré par son mentor, l’avocat Henry Torrès, qui définit le reste de sa carrière. Elle prend un tournant décisif en 1972, quand il défend Roger Bontems : ce complice de Claude Buffet, responsable d’une prise d’otage à la maison d’arrêt de Clairvaux, à qui il ne parvient pas à éviter la guillotine. Comme Dominique Missika et Maurice Szafran le rapporteront dans le livre « L’homme juste », c’est cette affaire qui le fait passer de « partisan de l’abolition » à « militant de l’abolition » : « En sortant de la Santé, j’ai compris que je n’accepterai plus cette justice qui tue », résume-t-il.

Il prend alors à bras-le-corps ce combat qui va définir le reste de sa vie, en publiant le livre « L’Exécution », en 1973 ; dans lequel il relate le procès de Roger Bontems. Trois ans plus tard, en 1976, il accepte d’assister Robert Bocquillon dans la défense de Patrick Henry, accusé du meurtre de Philippe Bertrand, un enfant de sept ans. Robert Badinter se chargera de la plaidoirie finale, un véritable réquisitoire contre la peine de mort. Patrick Henry sera finalement condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L’avocat évitera la guillotine à cinq autres accusés entre 1977 et 1981.

Robert Badinter a l’occasion de mener son combat pour l’abolition de la peine de mort à son terme, quand il est nommé Garde des Sceaux par François Mitterrand, tout juste élu président de la République. L’abolition de la peine de mort fait partie du programme du candidat socialiste, mais les Français ne suivent pas : ils sont en majorité pour son maintien. La réforme sera ardue : elle tient en un projet de loi court, de seulement sept articles, dont le premier énonce simplement : « La peine de mort est abolie ». Devant les deux chambres du Parlement, le nouveau Garde des Sceaux bataille et porte la réforme, qui passe in extremis à l’Assemblée nationale grâce notamment aux voix de la droite.

Mais au Sénat, l’issue semble beaucoup plus incertaine, comme le ministre le relate dans son livre consacré à cette période : « En bref, à la veille du débat au Sénat, tout n’était que confusion, hormis la conviction générale que le texte serait rejeté ».”C’était sans compter sur le talent oratoire de Robert Badinter, comme le confiait l’ancien sénateur Roland du Luart à Public Sénat en 2021.

Le Garde des Sceaux conclut ainsi son discours devant les sénateurs : « Si, en conscience, vous estimez que la peine de mort est nécessaire à la défense de notre société, qu’en France seule elle nous serait nécessaire, que notre justice, seule dans toutes les nations d’Europe occidentale, ne pourrait s’en libérer, alors vous voterez pour que la France conserve la peine de mort et une justice qui tue. Au contraire, si vous considérez, en conscience, qu’aucun homme n’est totalement coupable, qu’il ne faut pas désespérer de lui pour toujours, que notre justice, comme toute justice humaine, est nécessairement faillible et que tout le progrès de cette justice a été de dépasser la vengeance privée et la loi du talion, alors vous voterez pour l’abolition de la peine de mort »/

Robert Badinter a aussi été porteur de plusieurs réformes d’ampleur du système judiciaire, en reprenant la révision du code pénal entamée sous le précédent mandat, en supprimant les juridictions d’exceptions, ou en dépénalisant les relations homosexuelles pour les mineurs. Des réformes de la justice qui s’aligne avec ce qu’il déclarait à Dominique Missika et Maurice Szafran dans leur livre Robert Badinter, l’homme juste (éd. Tallandier, 2021) : « un système judiciaire n’est pas de droite ou de gauche, il est humaniste ou répressif ».

De la place Vendôme au palais du Luxembourg

 

En 1986, Robert Badinter quitte ses fonctions de Garde des Sceaux, pour rejoindre le Conseil Constitutionnel, dont il est nommé président. Parallèlement à son activité de « Sage », Robert Badinter consacre une partie de son temps aux questions européennes : son expertise sur les questions constitutionnelles a régulièrement été sollicitée dans les pays de l’ex-URSS. En 1991 notamment, il prend part à la commission d’arbitrage pour la paix en Yougoslavie, surnommée « Commission Badinter ». Son travail pour la médiation et la conciliation entre États font de Robert Badinter un des inspirateurs de la convention de Stockholm de 1992, qui a créé la cour de conciliation et d’arbitrage de l’OSCE. Il devient président de cette cour, chargée de résoudre les contentieux entre États membres, par conciliation, et au besoin par arbitrage, en 1995.

Avocat, ministre, Robert Badinter ne devient un véritable homme politique que tard dans sa vie. « Social-démocrate » revendiqué, Robert Badinter entretient des relations… libres avec le PS. Après une tentative infructueuse aux élections législatives de 1967, il remporte un siège de sénateur dans les Hauts-de-Seine, qu’il occupera jusqu’en 2011. Au palais du Luxembourg, il poursuit son engagement international et européen, en siégeant au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et au sein de la commission des affaires européennes.

Un juriste passionné de Victor Hugo

Coïncidence du calendrier, la fin de son dernier mandat de sénateur correspond au trentième anniversaire de l’adoption de l’abolition de la peine de mort au Sénat. Il a 83 ans, son dernier discours au palais du Luxembourg est consacré non seulement au combat de sa vie, mais aussi au rôle du Sénat dans celui-ci, comme il le confiait à Public Sénat en 2020 : « Le Sénat, ce jour-là, a assumé la fonction qui, à mon sens, doit être celle de tout Parlement dans une démocratie : être le phare qui éclaire les voies de l’avenir, et non le miroir qui reflète les passions de l’opinion publique ».

Tout au long de sa vie, Robert Badinter n’aura jamais tenu son autre passion, la littérature, trop éloignée. Ce licencié de lettres, qui a épousé une philosophe, Elisabeth Bleustein-Blanchet, a ainsi plusieurs textes d’inspiration littéraires : un livret d’opéra adapté de la nouvelle de Victor Hugo « Claude Gueux », en 2013, et une pièce de théâtre « C.3.3 », consacré au procès intenté à Oscar Wilde. Badinter se décrivait lui-même comme un « hugolâtre », idolâtre de Victor Hugo, dont il admirait à la fois la poésie et les engagements politiques.

Peu friand de récompenses ou de distinctions, de son vivant, Robert Badinter, comme sa femme Elisabeth, a toujours refusé la Légion d’Honneur ou l’ordre national du mérite. Témoin du pire et du meilleur du vingtième siècle, Robert Badinter a consacré sa vie aux droits de l’homme, à la cause humaniste.

 

 

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