Paris Financial Brigade raided the Rassemblement National headquarters
Laurent Jacobelli Some twenty police officers from the Financial Brigade raided the Rassemblement National headquarters this Wednesday morning on suspicion of irregularities in election financing. Searches were carried out this Wednesday, July 9, notably at the Rassemblement National headquarters, as part of a judicial investigation opened a year ago into suspected irregularities in the party's election financing. Paris, July 9, 2025//FDPRESS_sipa.15107/Credit:FD Press/SIPA/2507091818

Perquisitions au RN : que dit la loi sur les prêts de personnes privées aux partis politiques ?

Les perquisitions au siège du Rassemblement national mettent en lumière la question des prêts de personnes privées à des partis politiques ou à des candidats pour financer des campagnes électorales. Ces prêts ont été encadrés en 2018, mais sans jurisprudence, les contours exacts de cet encadrement restent flous.
Louis Mollier-Sabet

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Les perquisitions au siège du RN de ce mercredi matin ont laissé place aux accusations habituelles du parti sur les persécutions judiciaires et le gouvernement des juges. Mais, plus fondamentalement, ces nouveaux déboires judiciaires du Rassemblement national – après l’affaire de soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires qui a valu cinq ans d’inéligibilité à Marine Le Pen (voir notre article) – sont profondément liés au mode de financement particulier de ce parti politique et à la question des prêts de personnes privées.

Selon le parquet de Paris, le RN est effectivement suspecté de financement illégal lors des campagnes présidentielle et législatives de 2022, ainsi qu’aux européennes de 2024, en contractant à plusieurs reprises des crédits personnels auprès de mêmes particuliers. Les investigations doivent « permettre de déterminer si ces campagnes ont été notamment financées grâce à des prêts illégaux de particuliers bénéficiant au parti ou à des candidats du Rassemblement national », a précisé le parquet de Paris.

Financement par des entreprises interdit et dons limités

Le système de financement de la vie politique française étant largement adossé à un financement public des partis, l’apport d’acteurs privés est strictement encadré. Hormis les banques domiciliées dans l’espace économique européen qui peuvent octroyer des prêts, les entreprises ne peuvent pas financer des partis ou des candidats sous quelque forme que ce soit. En ce qui concerne les personnes privées, les dons sont autorisés dans la limite désormais connue des 7 500 euros par an et par personne. Mais il existe une dernière possibilité pour les acteurs politiques en quête de trésorerie : les prêts de personnes privées – sauf pour l’élection présidentielle depuis 2001 et l’annulation des comptes de campagne de Jacques Cheminade à cause de prêts non remboursés considérés comme des dons déguisés.

Seulement, ceux-ci sont vus comme un financement d’appoint et par conséquent strictement encadrés par une réglementation complexe pour éviter qu’ils ne servent à contourner la limitation des dons. Selon que le prêt est consenti à un candidat ou à un parti et que son taux est inférieur ou pas à un taux légal défini tous les semestres, le montant du prêt peut être plafonné ou bien la durée de remboursement limitée (entre 18 mois et cinq ans). Dans tous les cas, le débiteur doit transmettre chaque année un état des lieux de remboursement du prêt à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) pour vérifier que le prêt est bien remboursé et qu’il ne constitue pas un don déguisé.

Les prêts de personnes privées autorisées, mais pas « à titre habituel »

Surtout, le Code électoral spécifie que les personnes physiques peuvent octroyer un prêt à des partis politiques, « dès lors que ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel. » La CNCCFP estime qu’un prêt personnel devient habituel dès lors qu’un particulier prête au moins deux fois à un parti pour un montant total supérieur ou égal à 100 000 euros ou dès cinq prêts à un candidat, pour un total égal ou supérieur à 75 000 euros. Mais Romain Rambaud, professeur de droit public à l’Université Grenoble Alpes, rappelle dans un billet de blog qu’il s’agit d’une « définition administrative établie par la CNCCFP, et non juridictionnelle ou légale à ce stade », que le RN ne manquera pas de contester en justice. « La CNCCFP souligne elle-même dans ses rapports qu’il n’y a pas de définition dans la loi ou qui ressortirait des débats parlementaires. Le RN pourrait avoir un argument en remettant en cause la précision de cette définition », développe-t-il auprès de publicsenat.fr. Le parti a d’ores et déjà dénoncé ce jeudi le « flou dans le code électoral » autour de la notion de prêt « à titre habituel. »

Le juriste souligne que la formulation du code électoral reprend celle du Code monétaire et financier interdisant aux personnes autres que les banques d’effectuer « à titre habituel » des opérations de crédit et tient ainsi plus au délit d’exercice illégal de la profession de banquier qu’à la question du financement des campagnes électorales. En droit pénal, « l’habitude » débute généralement à partir du second acte, mais dans ce cas précis, les « magistrats se sont démarqués » et la jurisprudence définit divers critères pour caractériser les prêts habituels : la multiplicité des débiteurs, la recherche active de la clientèle ou encore le fait de se définir comme un professionnel. Ainsi, consentir plusieurs prêts au même parti politique, en l’occurrence le RN, ne constitue pas une « habitude » au sens du Code monétaire et financier. « Mais cette définition de la notion d’habitude au sens du code monétaire et financier sera-t-elle en tant que telle applicable en matière électorale ? On peut en douter, et on peut penser que la législation électorale pourrait avoir sa propre définition… » conclut Romain Rambaud.

Le cas particulier de l’extrême droite sur les prêts de personnes privées

C’est d’ailleurs pour le motif d’exercice illégal du métier de la profession de banquier – ainsi que celui de blanchiment – qu’est inquiété Pierre-Édouard Stérin dans une autre enquête menée par la police judiciaire de Marseille, révèle Le Monde. Dans cette affaire distincte de celle des perquisitions au siège du RN, les enquêteurs soupçonnent le milliardaire ultra-conservateur d’avoir financé de nombreux candidats d’extrême droite – très majoritairement RN – pendant les municipales de 2020 et les régionales de 2021. D’après une source judiciaire interrogée par Le Monde, « les prêteurs officiellement enregistrés dans les comptes de campagne de plusieurs candidats ne seraient en réalité que des faux nez de Pierre-Édouard Stérin », qui aurait pu prêter jusqu’à 1,8 million d’euros à des candidats par ce montage financier.

En tout état de cause, ces affaires successives témoignent du modèle particulier de financement qu’a dû mettre en place le RN. « Nous usons de cette possibilité offerte par la loi, possible pour toutes les élections sauf pour la présidentielle, car, malgré notre dossier de plus en plus solide de demande de prêt, aucune banque française ne nous finance », se défend ainsi Kévin Pfeffer, trésorier du Rassemblement national. Au total, le parti lepéniste affichait fin 2023 plus de 20 millions d’encours à rembourser « auprès de personnes physiques », le plus ancien emprunt remontant à 2007, selon la CNCCFP. Pour la seule campagne des élections européennes de 2024, le parti de Jordan Bardella s’est appuyé à plus de 87 % sur quelque 225 particuliers, qui lui ont avancé près de 4,5 millions d’euros – dont une trentaine de prêts d’au moins 50 000 euros.

Toujours d’après le dernier rapport d’activité de la CNCCFP, sept partis (sur près de 600) ont contracté des prêts de particuliers en 2023, pour un montant de 4 millions d’euros. 85,7 % de cette somme a été empruntée par le Rassemblement national, et 12,4 % par Reconquête, soit plus de 98 % des prêts à des particuliers contractés par l’extrême droite. Compte tenu de ce fonctionnement atypique du RN, « cette perquisition et plus largement cette enquête ne sont pas du tout une surprise pour ceux qui suivent de près ce genre de sujet », estime Romain Rambaud. Le RN appelle de son côté à la mise en place de la fameuse « banque de la démocratie » promise par François Bayrou, éphémère ministre de la Justice en 2017 qui avait déposé en 2017 le projet de loi pour la confiance dans la vie politique encadrant notamment les prêts personnels aux partis politiques.

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