La SNCF ressort exsangue des trois mois écoulés. Avec la crise sanitaire du Covid-19 et le confinement, ce sont près de quatre milliards d’euros de chiffre d’affaires qui ont manqué à la compagnie, selon l’estimation de son PDG Jean-Pierre Farandou. La moitié du manque à gagner provient, de l’arrêt des TGV : seuls 7% d’entre eux ont circulé pendant le confinement. Autant de pertes de recettes qui viennent s’ajouter à celles pendant les grèves, estimées à un milliard d’euros. Ce 15 juin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a promis que l’État serait « au rendez-vous » pour aider la SNCF, et serait disposé à faire un « geste financier », sans donner plus de détails dans l’immédiat. Jean-Pierre Farandou doit être reçu au ministère dans les prochains jours.
Au Sénat, à la commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable, on « prend acte » de cet engagement. « Je m’en réjouis, mais je ne sais pas trop comment le gouvernement va réussir à boucher les voies d’eau », réagit le président de la commission, Hervé Maurey. Le sénateur (Union centriste) de l’Eure juge que la SNCF est un « vrai sujet d’inquiétude », alors que cette dernière doit faire face à un nouveau statut et à la régénération d’un réseau vieillissant.
« On sera très vigilants »
La présentation du troisième budget rectificatif de l’année (PLFR 3) a d’ailleurs fait l’effet d’une douche froide pour certains acteurs, comme l’ONG Greenpeace, qui a dénoncé l’absence de soutien pour le secteur ferroviaire. Interrogé sur cet angle mort du troisième PLFR, qui sera examiné au cours de l’été, le sénateur Hervé Maurey reconnaît qu’il ne s’agit « pas d’un très bon signal » mais tient à rester « confiant ». « On peut espérer que dans le cadre des amendements qui pourront être déposés par le gouvernement, soit à l’occasion d’un nouveau PLFR, les choses seront faites […] On sera très vigilants sur le fait que ces engagements deviennent des réalités. »
La réponse du gouvernement, à ce stade, inquiète davantage le socialiste Olivier Jacquin, déjà déçu par la deuxième loi de finances rectificative. « La SNCF a besoin de plus qu’un geste ! Il y a eu des choix très clairs qui ont été faits : le tourisme, les avions et les voitures. C’est bien, il le faut aussi. Mais il n’y a rien pour le ferroviaire. Il faut voir les faits, les paroles c’est un peu facile », s’impatiente le sénateur de Meurthe-et-Moselle. « Le ferroviaire n’est pas traité comme il le devrait. Le gouvernement le gère dans une logique d’économies, pas de développement. »
« Le soutien que l’État apportera aux régions, aujourd’hui, c’est un grand mystère »
Sur le fléchage du soutien budgétaire de l’État, une précision de Gérald Darmanin a toutefois été de nature à rassurer les sénateurs, sur son principe. « Il y aura un geste financier de l'État, qu'il soit fait directement auprès de la SNCF ou qu'il soit fait auprès des institutions qui travaillent avec la SNCF. » Comprendre : les régions, chargées de la gestion des TER, et qui ont aussi vu fondre comme neige au soleil les recettes tarifaires et les versements mobilité des entreprises. Or, les régions semblent être les grandes oubliées des dispositifs de soutien de l’État aux collectivités territoriales, que le Sénat représente. C’est d’ailleurs ce que déplorait Hervé Morin, le président de la région Normandie, sur notre antenne, lundi. Le sénateur de l’Eure, Hervé Maurey, redoute que les régions se retrouvent « en difficulté » pour assurer leur soutien aux « petites lignes », un point sur lequel il sera « intransigeant ». « Le soutien que l’État apportera aux régions, aujourd’hui, c’est un grand mystère », constate-t-il.
Le coût de l’entretien des lignes de « desserte fine du territoire » risque aussi de rapidement poser problème, du côté de SNCF Réseau. Surtout avec la menace d’investissements différés. Auditionné devant la commission de l’Aménagement du territoire le 3 juin, son nouveau PDG, Luc Lallemand a reconnu que les enveloppes budgétaires actuelles ne permettaient pas de « stabiliser » l’entretien des câbles et des signalisations. « Il n’y a pas assez d’argent pour maintenir en bon état les 33 900 km de voies ferrées françaises », reconnaissait-il devant notre caméra. Comment maintenir l’état d’un réseau vieillissant : la question suscite une « vraie inquiétude chez les sénateurs ». « Il ne nous a pas vraiment rassurés, quant à savoir si l’objectif de 3,6 milliards d’euros [pour la régénération des voies] serait tenu », raconte le président de la commission Hervé Maurey. « Quand on a auditionné Jean-Baptiste Djebbari [le secrétaire d’État chargé des Transports, NDLR], il nous a dit que tout cela devrait être revu dans le cadre des contrats d’objectifs et de performance. »
« Les petites lignes ? Bien sûr qu’elles vont morfler »
Face à ces incertitudes sur les investissements, le socialiste Olivier Jacquin a vite identifié les potentielles victimes collatérales. « Les petites lignes ? Bien sûr qu’elles vont morfler », tempête le sénateur. « Différer des investissements, c’est grave dans la situation actuelle du ferroviaire. » Son groupe devrait formuler des propositions, dans les prochains jours, pour la relance du ferroviaire, en demandant par exemple l’accélération des engagements financiers de l’État et en réclamant une attention particulière au fret ferroviaire, lui aussi affaibli. Mi-avril, le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou avait réclamé un « plan Marshall » pour ce secteur (relire notre article).
Une autre question se pose à la commission de l’Aménagement du territoire sur l’avenir du calendrier de l’ouverture à la concurrence, dans le transport de voyageurs. Le sujet est loin de faire consensus chez les acteurs du secteur. La SNCF n’est d’ailleurs pas la seule à se rapprocher de cette nouvelle phase, en étant affaiblie : ses concurrents également. « C’est une question saine de savoir s’il faut maintenir ou non le calendrier. Elle mérite d’être posée », estime le sénateur Hervé Maurey, qui souhaite que le gouvernement fasse un « tour de table », pour parvenir à un consensus sur le sujet.
La commission de l’Aménagement du territoire n’exclut pas de réentendre Élisabeth Borne sur l’ensemble de ces questions avant la coupure estivale, elle qui avait été auditionnée dès le 2 avril, au début du confinement.