Agriculture : le Sénat vote pour la réintroduction d’un néonicotinoïde à titre dérogatoire
Après de longs débats, qui ont fortement divisé la gauche et la droite dans l’hémicycle, la chambre haute a adopté la proposition de loi LR pour lever les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs. En désaccord avec certaines mesures de ce texte très controversé, qui revient sur plusieurs normes environnementales sur les pesticides, la ministre de l’Agriculture a obtenu plusieurs compromis.
« Ouvrons les yeux, arrêtons d’être naïfs, ayons le courage de sortir de l’obscurantisme vert ! Réveillons-nous avant qu’il soit trop tard ! » Dès les premières minutes de l’examen de son texte, co-écrit avec le centriste Franck Menonville, le sénateur Les Républicains Laurent Duplomb donne le ton des débats.
Après presque dix heures d’échanges houleux entre la gauche et la droite de l’hémicycle, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». L’aboutissement de longues négociations entre la majorité sénatoriale et le gouvernement, pour parvenir à plusieurs compromis sur ce texte controversé.
Ce 27 janvier après-midi, en ouverture des débats en séance, le gouvernement a fait savoir qu’il acceptait d’actionner un examen du texte en procédure accélérée, permettant d’assurer son inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Un dispositif demandé par les auteurs de la proposition de loi, qui voient leur texte comme un complément au projet de loi d’orientation agricole du gouvernement, qui doit être examiné au Sénat au début du mois de février.
L’utilisation d’un néonicotinoïde réautorisée dans certains cas
Le texte revient d’abord sur un certain nombre de réglementations sur l’usage et la vente de pesticides. Véritable nœud du débat, le Sénat a ainsi adopté la réautorisation de l’usage d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride, pour certaines cultures. « Cette substance, autorisée dans toute l’Europe, a franchi toutes les évaluations de l’EFSA [Autorité européenne de sécurité des aliments]. L’Europe n’est pas irresponsable, une matière n’est autorisée que si elle répond à des critères scientifiques, sanitaires et environnementaux objectifs », a défendu Franck Menonville.
Autorisée par l’Union européenne de façon provisoire, jusqu’en 2033, la substance a en effet été interdite par la France en 2018, avec une dérogation accordée par le Conseil constitutionnel pour les exploitations de betteraves sucrières. Mais, pour Laurent Duplomb, la filière de la betterave n’est pas la seule à avoir besoin d’une telle dérogation. « Sur la filière cerise : regardez les hectares de cerisiers que nous avons perdus pour nous jeter dans les bras des cerises turques. Sur la pomme : en dix ans nous sommes passés de 700 000 tonnes exportées à moins de 300 000 aujourd’hui », a-t-il déploré. Dans sa version initiale, le texte prévoyait ainsi de réautoriser un usage global de l’acétamipride, sans distinction entre les filières. Une proposition inacceptable pour la ministre de l’Agriculture, qui a défendu un amendement de suppression de la disposition.
Profitant de la pause du dîner pour se concerter, la commission des affaires économiques a finalement proposé un amendement de compromis, remportant l’adhésion d’Annie Genevard, qui lui a accordé un « avis de sagesse ». « Vous proposez dorénavant d’autoriser l’utilisation de l’acétamipride uniquement par voie de dérogation, selon des procédures approuvées au niveau européen : une dérogation qui peut être accordée si elle est limitée dans le temps, pour une substance active approuvée dans l’Union européenne, pour des produits pour lesquels il n’existe pas d’alternatives ou insuffisamment et s’il existe un plan de recherche d’alternatives au produit dans la filière », a-t-elle énuméré.
En matière de pesticides, la proposition de loi prévoyait également de revenir sur deux autres règles en vigueur : la séparation des activités de vente et de conseil aux agriculteurs sur l’achat de produits, ainsi que l’interdiction des rabais sur leur prix. Sur ce dernier point, le gouvernement a posé son veto et l’amendement de suppression de la disposition a été soutenu par la majorité. « Cette interdiction a montré son efficacité pour limiter l’importance de l’argument commercial dans le choix des produits », a défendu Annie Genevard. Sur la séparation de la vente et du conseil, là encore, un compromis a été trouvé entre gouvernement et majorité sénatoriale : pour prévenir les conflits d’intérêts, les fabricants de pesticides restent interdits de dispenser des conseils aux agriculteurs, les distributeurs de ces produits seront en revanche autorisés à le faire.
La gauche dénonce « l’obscurantisme » et le « populisme rétrograde » du texte
Malgré ces quelques assouplissements des mesures les plus controversées du texte sur les pesticides, la gauche sénatoriale a fustigé à de très nombreuses reprises un recul pour l’environnement et la santé des populations. « Réautoriser les néonicotinoïdes en 2025 est un non-sens historique qui frôle l’obscurantisme. Combien de temps allons-nous nier la science ? Ce texte est l’expression la plus sincère d’un populisme rétrograde, en rupture totale avec la transition écologique », a ainsi alerté le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot.
« On nous propose de prolonger l’autorisation [de l’acétamipride], de dire on va attendre un an. Mais, quand on vous écoute, on a l’impression qu’il n’y a pas d’alternatives. Donc ce que vous voulez, ce n’est pas prolonger d’un an, c’est continuer à prolonger par la suite », a dénoncé le président du groupe écologiste Guillaume Gontard, assurant que des solutions de substitution aux néonicotinoïdes existent déjà, même si elles conduisent à une diminution des rendements pour les agriculteurs.
Pour la gauche de l’hémicycle, les débats de cette soirée du 27 au 28 janvier ont ainsi bien trop écarté les questions de santé publique et environnementale, au profit d’impératifs économiques de sauvegarde de certaines filières. « Sur l’acétamipride, nous parlons quand même d’un produit que le directeur scientifique agricole de l’INRAE a qualifié il y a moins de deux ans, devant notre commission des affaires économiques, de « chlordécone de l’hexagone » », a insisté Jean-Claude Tissot. « Quelque 1 200 études ont montré le danger que représentent les néonicotinoïdes, des études indépendantes, en nombre et de qualité. Cette montée du déni environnemental, où les faits scientifiques ne sont qu’une opinion comme une autre, nous inquiète particulièrement », a alerté le sénateur écologiste Daniel Salmon, qui a défendu une motion de rejet du texte dans son ensemble en amont des débats.
Des assouplissements sur la construction de bâtiments d’élevage et de mégabassines
Mais la question des pesticides ne constituait que le premier volet de la proposition de loi. Dans un second temps, les sénateurs sont revenus sur plusieurs normes en matière de construction de bâtiments d’élevage, mais aussi de projets de stockage d’eau, à l’image des mégabassines. Sur l’élevage, le texte revient sur la procédure d’autorisation environnementale aujourd’hui en vigueur pour la construction ou l’extension de ces bâtiments : les réunions publiques, prévues à l’ouverture et à la clôture de la demande d’autorisation environnementale pour tenir le voisinage informé du projet, deviendraient facultatives.
Des réunions qui entraînent, accuse Laurent Duplomb, une stigmatisation des agriculteurs, orchestrée par les écologistes. Une accusation qui n’a pas manqué de provoquer de virulents échanges dans l’hémicycle. « On demande aux agriculteurs, à chaque fois qu’ils investissent des centaines de milliers d’euros dans un projet, d’organiser un débat avec leurs voisins au début de l’enquête publique, puis un deuxième débat à la fin de l’enquête, après que vous ayez vous-même fait monter la mayonnaise. À cause de vous, ces débats tournent au pugilat », a lancé le sénateur et agriculteur, en pointant du doigt ses collègues des bancs de la gauche. « Vous m’avez insulté gratuitement », l’a accusé Jean-Claude Tissot, lui aussi agriculteur de profession, « je fais le même métier que vous, nous n’avons juste pas la même vision ». « J’ai la prétention de défendre aussi les agriculteurs et de défendre un certain type d’agriculture qui fait vivre nos villages, pas votre type d’agriculture qui a vidé nos villages de leurs exploitations », a défendu de son côté Guillaume Gontard.
Enfin, sur la question des retenues d’eau, la proposition de loi consacre leur caractère « d’intérêt général majeur ». Une façon, pour les auteurs du texte, de sécuriser l’usage agricole de la ressource. Pour rendre la disposition conforme au droit européen, la ministre de l’Agriculture lui a apporté plusieurs précisions. Seuls les stockages d’eau « qui visent spécifiquement à répondre à un enjeu de stress hydrique pour l’agriculture » et qui ont été « décidés localement, dans un cadre concerté », pourront être déclarés d’intérêt général majeur, précise Annie Genevard. Sur ce point, comme sur tous les autres, les sénateurs n’ont pas fini de débattre : le projet de loi d’orientation agricole, examiné dans l’hémicycle à partir du 4 février, permettra de prolonger ces tumultueux débats.
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